Où est passée la démocratie sociale ?
De contre-réforme en contre-réforme, le pouvoir d’agir des syndicats a été affaibli et, par ricochet, les droits des salariés s’en trouvent amenuisés. La négociation... Lire la suite
Après avoir célébré mercredi soir le premier jour du 120e anniversaire d'une CGT «créative, moderne, innovante et combative», ou encore «dérangeante et à l'offensive», Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, était, jeudi matin, l'invité de l'Association des journalistes de l'information sociale (AJIS). Il y a défendu une démarche, celle d'un syndicalisme d'adhérents. Une approche à la fois garante de démocratie et condition de succès.
C'est en effet d'abord sur sa vision de la CGT que le secrétaire général, élu depuis peu, était attendu. Réformisme? Radicalisme? Pas de case, tout simplement, a-t-il répondu en substance, rappelant que la confédération, ses organisations, les syndicats… se veulent à la fois forces de résistance et de propositions. En particulier face à l'idée selon laquelle il n'y aurait pas d'alternative aux politiques menées. Mais c'est surtout l'efficacité de la démocratie qu'a défendue Philippe Martinez. Car, si la confédération respecte la diversité des conceptions, elle se veut, pour sa part, aux antipodes d'une démarche délégataire selon laquelle des représentants des salariés pourraient décider à la place de ceux-ci et ne vérifier la validité de ces choix qu'à l'occasion des élections. Pour la CGT, la loi que prépare le gouvernement à l'issue de l'échec de la négociation entre organisations syndicales et patronales sur la «modernisation du dialogue social» devra en tenir compte, alors que les militants et représentants du personnel sont trop souvent happés par une multitude de réunions institutionnelles, laissant trop peu de temps à la relation avec les syndiqués, et avec les salariés, que la CGT entend privilégier.
Là où le gouvernement et le Medef rêvent d’un «syndicalisme de professionnels», pour mener des «débats d’experts», la confédération oppose une autre vision articulant démocratie syndicale et démocratie salariale, celle d'un syndicalisme «de masse et de classe». C'est aussi pour y donner consistance que la CGT a décidé d'amplifier sa campagne de syndicalisation, à la fois là où elle est déjà organisée, mais aussi là où elle est absente. Auprès des précaires, des privés d'emploi, des actifs comme des retraités, des travailleurs migrants, comme des ingénieurs et des cadres, des femmes, des jeunes…
C'est de même pour mieux tenir compte des évolutions du salariat et des réalités actuelles du travail que la confédération envisage les coopérations ou les rapprochements entre ses fédérations et ses organisations. Ainsi sur certaines filières, comme l'automobile, qui concerne non seulement la métallurgie, mais aussi la plasturgie et le textile, avec des entreprises donneuses d'ordre et d'autres participant d'une chaîne de sous-traitance, ou comme la navale, qui concerne notamment la métallurgie et les travailleurs de l'État…
Philippe Martinez a prôné le débat. D'autant plus nécessaire dans le cadre d'un syndicalisme de masse. Il a tenu en même temps à souligner qu'au-delà du débat, il y a aussi le temps des décisions, et celui de leur mise en œuvre. Et de se réjouir, par exemple, que la campagne de rencontres avec les adhérents dans quelque 2000 syndicats, décidée lors du CCN de février, ait effectivement commencé au début de ce mois.
Reste que pour avancer dans un contexte où le patronat se veut particulièrement offensif, l'unité des salariés est en général incontournable. «Syndicalisme rassemblé». Le principe n'est pas neuf pour la CGT. Confidence: Philippe Martinez a été marqué par cette perspective en entendant Louis Viannet l'expliciter tandis qu'il participait lui-même pour la première fois à un congrès confédéral…
Pour l'actuel secrétaire général de la CGT, le besoin d'unité syndicale est évident. Et les salariés le réclament dans les entreprises. Quand elle existe, les revendications ont davantage de chance d'aboutir, et ils le savent. Pour autant, des divergences existent au niveau des confédérations, entre CGT et CFDT, sur nombre de sujets. Mieux vaut le dire, et se parler, et mesurer aussi les sujets sur lesquels il y a matière à avancer ensemble, y compris sur certains enjeux interprofessionnels, analyse Philippe Martinez.
La rencontre a été également l'occasion de revenir sur l'intensité des mobilisations en cours dans nombre d'entreprises. Pour les salaires, en premier lieu. Ce qui met en lumière la nécessité de poursuivre la campagne syndicale sur le «coût du capital» désastreux pour l'économie réelle, quand le patronat prétend vouloir réduire ce qu'il nomme le «coût du travail». Sur les conditions et l'organisation du travail, aussi. Avec des luttes parfois moins visibles, car certaines se jouent au niveau du service ne concernant que quelques salariés, mais qui n'en sont pas moins indispensables.
Et puis arrive dans le calendrier social une série de négociations. Sur les retraites, en particulier. Philippe Martinez l'a rappelé, l'enjeu financier n'est pas négligeable pour l'appétit des compagnies d'assurances; et, alors que le patronat cherche encore à réduire les dépenses, il s'agit au contraire de chercher des recettes nouvelles pour les régimes. Et de souligner notamment que l'égalité salariale entre femmes et hommes permettrait de couvrir des manques à gagner dans des régimes complémentaires à préserver; en particulier l'Agirc, qui constitue l'un des éléments du statut cadre. À l'ordre du jour également, les questions de formation professionnelle. Pour la CGT, la question n'est pas celle de l'adaptabilité des salariés à tel ou tel poste. Mais bien celle de la qualification et de sa reconnaissance.
Philippe Martinez est enfin revenu sur le temps de travail. En rappelant que le sens de la modernité, c'est celui du progrès social; que le chômage, les progrès techniques et la dureté actuelle des conditions de travail appellent moins à augmenter le temps de travail qu'à le réduire.
Travailler mieux, sortir des logiques d'austérité, pour permettre l'emploi, la protection sociale, le développement des services publics… c'est au fond le sens de l'appel unitaire à la journée d'action du 9 avril, quelques jours après les élections. Tandis que certains, notamment à l'extrême droite, appellent à une fausse sortie de crise par l'éviction des plus exploités, des travailleurs migrants, par la concurrence entre les salariés, entre actifs et privés d'emploi, ou entre les peuples, etc., il s'agit tout au contraire de mettre en lumière l'urgente nécessité d'une autre politique et l'existence d'alternatives, dans la solidarité entre tous les salariés.
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Karel Yon, sociologue et politiste, chargé de recherches au CNRS et coordinateur d’un ouvrage sur le renouveau du syndicalisme (La Dispute, 2023), revient sur la mise à... Lire la suite