L’Europe n’est pas un supermarché
Le conglomérat américain qui a acquis l’ensemble des activités énergie d’Alstom, brevets et technologies compris, est plus intéressé par le business que par... Lire la suite
« Résistance, résistance », une chorale enchaîne des couplets aux accents de lutte, en allemand. Le refrain est repris en chœur au pied de la Grande Arche, sur l'esplanade de La Défense, à Paris. Plus de 2 500 manifestants et manifestantes y étaient rassemblés vendredi 8 avril, venus d'Île-de-France, de province, mais aussi de plusieurs pays européens.
Pour exprimer leur refus commun de laisser General Electric (GE) casser l'emploi et les savoir-faire dans une filière industrielle stratégique. Trois mois après le rachat, en novembre dernier, de l'activité énergie d'Alsthom, le conglomérat américain a annoncé son intention d'y supprimer 6 400 emplois en Europe : 785 en France, 1 700 en Allemagne, 1 300 en Suisse, 500 environ au Royaume-Uni, autant en Espagne…
Dans la foule, les drapeaux CGT, CFDT, CFE-CGC, FO côtoient les banderoles des syndicats allemands, italiens, belges, espagnols, polonais. « Tous ensemble, tous ensemble », scande-t-on régulièrement, entre sifflets, coups de sirène et crécelles. Luc Triangle est le premier à prendre la parole. Le dirigeant d'Industriall Europe à l'initiative, avec tous les syndicats qui en sont membres, de cette journée d'action européenne, dénonce un plan de restructuration mettant en péril « un acteur majeur de l'énergie et du médical en Europe ».
Une décision prise au mépris de tout dialogue social, sans aucune information aux organisations syndicales, ni aucune concertation avec les élus des salariés. Mais aujourd'hui, « cette mobilisation transnationale, une première chez GE » est susceptible de « les contraindre à nous écouter ».
À son tour, Frédéric Sanchez, secrétaire général de la FTM-CGT, salue, au nom de toute la CGT, cette initiative « unitaire et européenne » face à une direction qui a fait « le choix de donner la priorité à la rentabilité financière, au détriment de l'activité réelle ». Les chiffres en témoignent : avec une capitalisation boursière mondiale de 284 milliards de dollars, GE a versé, en 2015, 26 milliards de dividendes.
Aujourd'hui, le géant américain entend réaliser une économie de 3 milliards d'euros pour satisfaire les actionnaires qui entendent récupérer, au plus vite, les 6,5 milliards d'euros engagés dans l'acquisition partielle d'Alsthom, réalisée avec la bénédiction du gouvernement français.
Les prises de parole se succèdent, pour dénoncer « cette dictature des actionnaires », et pour souligner l'urgence d'« une stratégie industrielle d'avenir ». Un cortège se forme, animé autant que déterminé, pour traverser l'esplanade, jusqu'au siège de Général Electric. Une délégation de syndicalistes doit être reçue, qui exige l'arrêt du plan de suppressions d'emplois et de fermetures de sites, une véritable stratégie industrielle par un plan d'investissements, de développement de l'emploi et de la formation, le respect du dialogue social et du droit à l'information.
Au pied de la tour, les échanges se poursuivent, dans plusieurs langues. « Comment retrouver un emploi à plus de 50 ans ? », s'inquiètent ces deux cadres ex-Alsthom, l'une non syndiquée, l'autre adhérente de la CFE-CGC. Béatrice, petit fanion de la CFDT en main, dénonce ces licenciements destinés à faire « grimper les actions en bourse ». Et se félicite de l'unité syndicale basée « sur un socle de revendications communes » pour « être plus forts ».
À quelques pas, une banderole affiche : « General Electric destruye la industria europea ». Ce matin, indique un syndicaliste espagnol, une manifestation a eu lieu à Barcelone avec un lâcher de 250 ballons. De l'autre côté des Pyrénées, comme en Allemagne, en Belgique, en Suède, en Autriche… des actions faisaient écho au rassemblement parisien.
Reçue par des représentants du groupe, notamment Mark Hutchinson, président GE Europe chargé de l'intégration, la délégation retrouve les manifestants, sous les applaudissements. « Ils nous ont écoutés », déclare Luc Triangle. « Nous voulons maintenant des réponses » de leur part et « en attendant, la lutte continue », ajoute le syndicaliste, en appelant à une mobilisation toujours plus forte.