21 mai 2024 | Mise à jour le 21 mai 2024
Exposé sur l’abolition de l’esclavage en Haïti, débat sur l’esclavage contemporain dans les pays du Sahel, sur les conséquences de la loi Immigration… La journée annuelle de commémoration de l’esclavage, intitulée « Abolitions et révolutions », organisée le 17 mai à la CGT a permis à chacun de se souvenir des combats d’hier pour mieux mener ceux d’aujourd’hui.
On pourrait trouver certaines journées annuelles routinières et ronronnantes… L'embrasement de la Kanaky, dont le gouvernement français a décidé d’interrompre la dynamique de décolonisation, quelques jours en amont de cette journée du 17 mai consacrée à la commémoration de la traite et de l’esclavage, montre que cette préoccupation est plus que jamais d’actualité. « La CGT s’est toujours déclarée pour la libération des peuples, contre la colonisation et pour une décolonisation réussie, en permettant au processus de Nouméa d’aller jusqu’à son terme », rappelle Boris Plazzi, membre du bureau confédéral dans son introduction politique à l’après-midi d’exposés et de débats. « Le 1er mai, plus de 500 kanaks étaient dans le cortège CGT à Paris. Les CGT des pays d’outre-mer peuvent compter sur le soutien de la CGT », poursuit le syndicaliste.
Acquis rognés
Taux de chômage record, difficultés d’accès à l’eau potable, empoisonnement par le chlordécone, un insecticide cancérogène qui a contaminé des générations d’antillais, application partielle du droit du travail, exploitation par les grandes familles békés… La liste des maux qui affectent les territoires d’outre-mer révèle que le traitement colonialiste et raciste de ces populations n’a jamais cessé. Les travailleurs d’outre-mer qui ont migré en métropole ont eux aussi vu leurs acquis rognés en 2020. Leurs congés bonifiés sont passés de deux mois tous les trois ans à un mois tous les deux ans, sans que la mobilisation ne permette d'empêcher l’adoption de cette réforme. Si, pour trouver les chemins de la résistance, les regards sont actuellement tournés vers l’Union syndicales des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), qui a appelé à la grève dans tous les ports et les aéroports, « l’homme ignorant de son passé est condamné à rester dans l’enfance », introduit Gérard Thimodent, membre du Collectif Dom de la CGT, qui a organisé la journée. L’après-midi commence donc par un exposé de Bernard Gainot, professeur à la Sorbonne, sur la Révolution française à Saint-Domingue, qui a abouti à la première abolition de l’esclavage à Haïti en 1804.
Une loi immigration inique
Après un interlude musical, deux représentants d’associations de lutte contre l’esclavage contemporain dans le Sahel ont exposé les atroces sévices infligés aux catégories de populations réduites en esclavage et la difficulté à faire reconnaître le bien-fondé de leur action dans leurs pays respectifs, le Mali et la Mauritanie. Enfin, Céline Verzeletti et Christophe Delecourt, secrétaires généraux de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat, présentent la loi sur l’immigration promulguée en janvier 2024. Faite pour arranger les entreprises qui tirent leurs profits de la surexploitation d’une partie de la population discriminée sur la base de leur non-citoyenneté, elle aggrave les inégalités entre travailleurs français et immigrés. « Cette loi facilitait le retrait des titres de séjours, instaurait un délai de cinq ans pour que les immigrés non européens puissent toucher des allocations, donnait un pouvoir discrétionnaire aux préfets sur l’octroi de régularisations, mettait fin à l’automaticité de l’obtention de la nationalité à la majorité», égraine Christophe Delecourt. Si 40% du texte a été censuré par le conseil constitutionnel, le gouvernement l’a adoptée grâce aux voix de la droite et de l’extrême droite. « C’est une loi de la honte, qui va dans le sens de la fascisation du pays », déplore-t-il. Elle ouvre un boulevard pour le retour, avant la trêve estivale, sur le droit du sol à Mayotte.
L’esclavage est fini, mais l’asservissement, lui, continue
Dans l’auditoire, une majorité écrasante de travailleuses d’origine ultra-marine, africaine ou du Maghreb. La plupart sont syndiquées à la direction des affaires scolaires de la Ville de Paris, quelques un.e.s sont agents hospitalier ou aux finances publiques. « On est venues car c’est notre histoire, c’est ce qu’ont vécu nos parents », commente Roseline, d’origine guadeloupéenne. « Nous n’avons pas droit à ces congés car nous avons pris notre indépendance, bien que ce soit toujours la France qui pilote à distance », juge Mireille, d’origine béninoise. « Mais ce qu’on a de commun, c’est qu’on ressent toujours le racisme. On nous préférera toujours une responsable blanche plutôt que de nous faire évoluer. L’esclavage est fini, mais l’asservissement, lui, continue. Le meilleur moyen pour résister, c’est d’être unies entre nous pour faire front face à l’administration », poursuit-elle. Toutes et tous se retrouvent, à la fin de la journée, pour un repas fraternel, et une soirée au son du gwoka, une musique née des souffrances des esclaves sur les plantations guadeloupéennes.