30 juin 2025 | Mise à jour le 1 juillet 2025
Ce 30 juin, dans un hémicycle désert, les députés ont voté la motion de rejet contre la proposition de loi Lafon. Le texte, qui part désormais en deuxième lecture au Sénat, porté à bout de bras par la ministre de la culture Rachida Dati, vise à regrouper sous la coupe d’un PDG unique Radio France, France Télévisions, l’Ina et peut-être à terme France Médias Monde. Le pluralisme de l’information, l’indépendance des rédactions, la qualité des contenus et les conditions de travail pourraient bien être les premières victimes.
« C’est un véritable camouflet pour Rachida Dati. Nous l’avons vu lugubre devant un hémicycle vidé de la majorité, qui visiblement ne soutient ni la ministre, ni ce projet mal ficelé, budgétairement aberrant, inquiétant pour l’information et la culture et menaçant pour les salariés. » Soraya Morvan-Smith, journaliste à France 24 et secrétaire générale adjointe du SNJ-CGT, se réjouit du vote par l’Assemblée, ce 30 juin, de la motion de rejet écologiste contre le projet de loi de holding de l’audiovisuel public.
Pendant ce temps, deux mille personnes manifestaient à l’appel des syndicats de l’audiovisuel public contre ce projet délétère. Comment analyser le vote pour la motion de rejet des 17 députés Rassemblement national ? Manœuvre concertée pour que le texte reparte plus vite au Sénat ? Reste que pour le moment, cette « réforme dangereuse » n’est pas passée, se félicite Soraya Morvan-Smith. « Si le texte revient au Sénat, nous serons là, encore plus déterminés », assure-t-elle.
Rachida Dati, ministre de la Culture, avait réussi in extremis à inscrire en session extraordinaire le projet de loi de holding de l'audiovisuel public. A Amiens (Somme), les salariés de ICI (ex-France Bleu) Picardie et de France 3 Picardie avaient pris de l'avance sur la manifestation parisienne, en se rassemblant vendredi devant l'hôtel de ville, à l'appel de la CGT, de la CFDT et du Syndicat national des journalistes (SNJ).
« Ce projet de réforme ne garantit ni l'indépendance, ni la liberté éditoriale des sociétés concernées, sur le modèle décrié de l'ORTF. Il va affaiblir l'audiovisuel public et coûter plusieurs centaines de millions d'euros à l'Etat par an, dans un contexte budgétaire de crise », dénonce la lettre ouverte destinée aux députés, qu'ils font signer. A Radio France, la grève a débuté dès le 26 juin ; France Télévisions et France Médias Monde ont embrayé ce lundi.
France Médias et son PDG unique
Votée en première lecture au Sénat en avril 2023, la proposition de loi déposée par le sénateur UDI LR Laurent Lafon a vu son examen à l'Assemblée reporté par la dissolution de juin 2024, puis la chute du gouvernement Barnier. Elle prévoit la création de la holding France Médias qui, selon la version que vient d'adopter la commission des Affaires culturelles, chapeauterait Radio France, France Télévisions et l'Ina, sous l'autorité d'un PDG unique. Un article ajouté par cette même commission ouvre cependant la voie à une intégration future dans la holding de France Médias Monde (RFI et France 24).
Sous la coupe de cette holding, un certain nombre de filiales devraient être créées, dont une qui regrouperait ICI et France 3. D'autres fusions sont à prévoir. Ainsi, « une note récente émanant du ministère de l'Economie préconise la fusion de France 24 en français avec franceinfo TV, ainsi que la mutualisation des fonctions supports et des réseaux de correspondants », dévoile la CGT de France Médias Monde. « Une vision purement budgétaire, déconnectée de nos missions spécifiques, et surtout, de toute compréhension opérationnelle », dénonce le syndicat.
Matinales filmées « low-cost »
« Réunir deux médias [ICI et France 3, NDLR] qui ne travaillent pas de la même manière, c'est produire des contenus de moins bonne qualité, diminuer le nombre de reportages locaux et cautionner les suppressions de postes », alerte le courrier aux députés cité plus haut, qui ajoute que « la holding va [localement] contribuer à diminuer le pluralisme ». Sur le terrain, les directions de Radio France et France Télévisions ont déjà posé les premiers jalons de la fusion. Avec notamment les matinales de ICI, filmées et diffusées sur France 3. « Du low-cost », dénonce Céline Autin, journaliste à ICI Picardie et déléguée CGT, qui explique que la mise en image a été sous-traitée à société de production Edenpress, dans des conditions sociales et avec des moyens au rabais.
Premiers touchés, les précaires
Les économies, imposées depuis des années par la tutelle, se répercutent directement sur le travail au quotidien. « On multiplie les tâches qui ne sont pas les nôtres, décrypte Nicolas Corselle, journaliste reporter d'images [JRI] à France 3 Picardie. Ils veulent que chaque journaliste et chaque technicien fasse tout : le web, le montage… En tant que JRI, par exemple, on nous demande de faire aussi le son, mais la qualité n'y est pas, parce que nous ne sommes pas des techniciens son. Les premiers touchés sont les précaires, techniciens intermittents et journalistes en CDD. » Les journalistes pigistes de Radio France ne s'y trompent pas, 74 apportent leur « soutien plein et entier à la grève illimitée ». « Ce projet, qui va encore coûter cher, crée en plus de nouvelles incertitudes pour nous, pigistes. Nous sommes inquiet-es de voir se dessiner une logique d'économies qui risque, à terme, de remettre en cause notre présence », souligne leur lettre ouverte.
Quant au risque de mise sous tutelle politique de l'audiovisuel public, les menaces contre le journaliste Patrick Cohen, proférées par Rachida Dati en direct sur le plateau de France 5, ne sont pas pour rassurer. Encore moins avec un Rassemblement national en embuscade, qui a clairement laissé entendre que cette nouvelle configuration, sous holding unique, lui faciliterait la tâche pour privatiser le tout, en cas d'accession au pouvoir.