Les entreprises sous emprise de la finance
Les cinquante dernières années ont été marquées par un retour en force du capital parmi les parties prenantes des entreprises. Ce mouvement de financiarisation, associé à... Lire la suite
Entretien avec Denis Durand, économiste membre du groupe de travail confédéral économique CGT.
On voit des mouvements violents sur les marchés d'actions. Les bourses ont eu des périodes de chute très fortes en début d'année. Les actions des banques sont particulièrement touchées. Autant de soubresauts annonciateurs d'une crise encore plus grave que celle qui a secoué le système financier mondial entre 2007, avec les subprimes, et 2012, le moment où l'intervention des banques centrales a permis de calmer un peu l'agitation sur les marchés.
Un krach financier, ce sont des détenteurs de titres financiers qui perdent de l'argent parce qu'ils ont spéculé sur l'évolution de tel ou tel actif financier et que l'évolution des cours va dans le sens inverse des spéculations qu'ils avaient faites. Ils avaient misé sur la montée de tel ou tel titre qui, finalement, baisse ; résultat, tous les gens qui avaient spéculé pour le faire monter se retrouvent avec des dettes parfois importantes, et difficiles à rembourser.
La tendance à la répétition des krachs financiers, des bulles spéculatives et des crises boursières se manifeste de plus en plus fortement depuis une quarantaine d'années, à partir du moment où les marchés financiers ont pris une importance déterminante dans le fonctionnement de l'économie. Cela a commencé aux USA à la fin des années 70, ça s'est étendu à l'Europe et en particulier à la France dans les années 80.
Depuis on vit dans un régime où toutes les décisions économiques sont surdéterminées par le regard permanent que les marchés de capitaux exercent sur ce que font les entreprises, les banques et les États. Cela induit un développement des opérations financières au détriment de la création d'emplois et de richesse dans les territoires.
Ce qui a changé depuis 2008, c'est qu'il y a eu des interventions publiques massives pour sauver le système financier au bord de l'effondrement. Au lendemain de la faillite de la banque Lehman, on pouvait très bien imaginer que les plus grandes banques de Wall Street, d'Europe, et les grandes compagnies d'assurance suivraient…
Pour empêcher ça, les gouvernements ont fait des plans de relance aux États-Unis, en Chine et un peu moins en Europe. Cela a permis de sauver les finances privées, mais a creusé les déficits publics et a ouvert la crise de l'euro. La deuxième chose, c'est que depuis 2008, les banques centrales ont créé massivement de la monnaie, par milliers de milliards de dollars, pour permettre aux banques et aux spéculateurs de payer leurs dettes. Cet argent a effectivement permis d'empêcher l'effondrement des cours des actifs financiers.
Mais cet argent est toujours là et continue de réclamer sa rentabilisation alors que, dans l'intervalle, on n'a pas remédié aux causes de la crise dans l'économie « réelle » : affaiblissement de l'emploi, de salaires, et de la création de richesses dans les territoires ; on a simplement repoussé l'échéance aux frais du contribuable.
Pourtant les États-Unis, la Grande-Bretagne et un peu l'Europe ont décidé de séparer les banques de dépôt et d'investissement. En outre, de nouvelles règles (notamment les accords de Bâle) encadrent désormais l'activité financière des banques européennes…
La réglementation bancaire internationale actuelle est présentée comme un moyen de protéger les banques contre leurs propres excès financiers, mais les normes dites de « Bâle III » ne sont pas ciblées sur l'objectif qui devrait être celui des politiques économiques : libérer l'économie de l'emprise de la finance.
Actuellement, on continue de faire marcher la planche à billets et à distribuer lesdits billets sans aucune sélectivité. La banque centrale européenne achète 60 milliards de titres financiers sur les marchés tous les mois, ce qui veut dire qu'elle crée chaque mois 60 milliards d'euros qui n'existaient pas avant, et aux marchés financiers qui ont récupéré ces 60 milliards d'euros obtenus en vendant des titres à la banque centrale européenne, celle-ci leur dit « faites-en ce que vous voulez ». Qu'est-ce qu'ils font ? Ils spéculent et donc préparent la prochaine crise.
Elle reste principalement attachée à sa doctrine de la « concurrence libre et non faussée ». Or, effectivement, il faudrait que cet argent aille là où la société en a besoin, c'est-à-dire dans les entreprises qui veulent investir dans la création d'emplois, dans de la valeur ajoutée dans les territoires et dans la préservation de l'environnement.
On pourrait alors payer des salaires et, par conséquent, des impôts et des cotisations sociales, ce qui permettrait de développer des services publics. En d'autres termes, il faudrait mettre en place un cercle vertueux fondé sur la sécurisation de l'emploi et un nouveau statut du travail salarié, autant de revendications qui supposent, en amont, de recomposer les présupposés économiques et financiers, avec notamment un crédit bancaire dirigé vers l'emploi et les services publics, c'est-à-dire vers toute la société plutôt que vers une petite minorité qui, en spéculant, accumule les profits sur le dos du plus grand nombre comme c'est le cas aujourd'hui.
En d'autres termes, plutôt que vouloir réduire le coût du travail, comme le fait le gouvernement actuel, il faudrait baisser le coût du capital. Ce type de crédit bancaire coûterait globalement moins cher, à condition de servir au développement de l'emploi, de la recherche, de la formation et donc à créer la valeur ajoutée qui permette de développer les salaires et les services publics. C'est au passage la seule façon d'arriver à faire baisser la durée du travail et d'aller vers les 32 heures.
Aujourd'hui, notre économie ne consiste pas seulement à transformer la matière, mais de plus en plus à travailler sur de l'information. Le capitalisme s'est développé sur une base technologique qui était la révolution industrielle. La machine-outil tend ainsi à remplacer la main d'œuvre, un phénomène qui se perpétue à présent avec le développement de la robotique – sur ce point, on est pleine révolution numérique.
Ce qui est en train de se développer, c'est que depuis la Seconde Guerre mondiale, la machine est aussi en train de remplacer certaines fonctions de notre cerveau et de l'esprit humain, par exemple dans la gestion des informations. Or, l'économie des biens informationnels possède des propriétés différentes de l'économie des biens matériels. Le dictaphone, que vous avez là, va emporter les informations que je vous transmets, mais que, pour ma part, j'aurai toujours.
C'est en effet beaucoup plus difficile de transformer des informations ou des opérations en propriété privée que des biens matériels. Les grandes firmes capitalistes y parviennent de façon artificielle grâce à leur puissance financière et à leur influence sur la législation. Par exemple, alors qu'il y a 20 ans, beaucoup de résultats de la recherche existaient en accès libre, désormais, on fait des brevets pour les transformer en marchandises avec lesquelles les multinationales peuvent accumuler des profits.
Le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et ses comparses ont trouvé là un moyen financier de mettre la main sur de nouveaux gisements de profits tirés de la privatisation des ressources informationnelles. Or, ces nouvelles technologies apportent des gains de productivité gigantesques dont on ne se rend même plus compte (80 % des effectifs dans les services comptables des banques ont disparu aujourd'hui).
Différentes études annoncent des suppressions massives d'emplois dans les vingt ans qui viennent en raison de ces énormes gains de productivité. Or, ceux-ci devraient être utilisés pour augmenter les salaires, pour développer le service public, pour faire baisser le temps de travail, pour développer d'autres activités informationnelles pas forcément salariées…
Au lieu de ça, ils sont utilisés pour accumuler les profits entre les mains des actionnaires des multinationales et des financiers. Ces gains de productivité qui ne vont pas au salariat, du coup, ne relancent pas la demande, d'où la déflation que nous connaissons actuellement.
Cette capacité accrue pour créer de la richesse, on ne s'en sert pas pour développer les êtres humains, mais pour accumuler sur les marchés financiers. Quand la CGT dit qu'il faut développer l'emploi et les services publics, c'est une réponse à ça : puisqu'on a la possibilité de créer des richesses en économisant sur le capital matériel, allons jusqu'au bout et utilisons ces économies pour faire baisser le coût du capital de façon délibérée et relancer l'activité économique.
Apple par exemple, qui a raflé tout ce qui était possible sur le marché du smartphone désormais devenu un objet banalisé, cherche désespérément de nouveaux objets à vendre pour en extraire de nouveaux profits. Or, il est très difficile de créer de la demande sur la base d'une initiative privée alors que sur la base d'une initiative publique, c'est possible.
Remettre les hôpitaux en état de fonctionner, remettre le système d'éducation publique en bon état, financer la transition énergétique, autant de tâches qui justifient une activité économique basée sur le développement des services publics, car ce ne sont pas les marchés financiers et les multinationales qui vont s'en occuper. Mais clairement, c'est alors un autre modèle de société. Et si on ne prend pas cette orientation, on va dans le mur…
Les cinquante dernières années ont été marquées par un retour en force du capital parmi les parties prenantes des entreprises. Ce mouvement de financiarisation, associé à... Lire la suite
Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a présenté ce mercredi 24 avril 2024 en conseil des ministres son « Projet de loi simplification de la vie économique »,... Lire la suite