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BANDE DESSINÉE

Crise sanitaire : le blues des auteurs de BD

30 janvier 2021 | Mise à jour le 29 janvier 2021
Par | Photo(s) : Duffour/Andia
Crise sanitaire : le blues des auteurs de BD

2020 devait être « l'année de la BD ». Hélas, la crise liée au Covid-19 a porté un coup cruel à ses auteurs-dessinateurs déjà fragilisés. Pourtant, malgré la morosité, certains ouvrages offrent un regard pertinent sur la pandémie.

Chaque début d'année apporte son lot de bulles de champagne, d'air, et de… bandes dessinées ! Depuis quarante-huit ans, en janvier, la cité charentaise d'Angoulême accueille en effet son festival international dédié au 9e art (FIBD). Hélas, cette année, la manifestation sera reportée fin juin, pour cause de pandémie.

Cela dit, son célèbre palmarès (les « Fauves ») sera, lui, bel et bien dévoilé le 29 janvier. Mais pour le grand public, il faudra miser sur un événement parisien qui, à l'heure où nous écrivions ces lignes, maintenait sa programmation, du 5 au 7 février, à la Halle des Blancs-Manteaux (Paris 4e arr.) : le SoBD, fondé par le théoricien de la BD, Renaud Chavanne.

Au menu ? Des invités d'honneur (Willem, Jeanne Puchol, Catherine Beaunez), des expositions, des tables rondes, des ateliers, et un focus sur la BD malgache avec des auteurs-scénaristes de la Grande Île… Dans le contexte moribond de la crise sanitaire, cet événement vient réchauffer le cœur des auteurs-dessinateurs de BD qui, penchés sur leurs planches, souffrent de solitude.

Le Festival, c'est vital !

« Angoulême, c'est crucial ! martèle la scénariste Désirée Frappier – auteure avec son mari, le dessinateur Alain Frappier, du Temps des humbles (Steinkis, 2020). L'occasion de vendre, d'échanger avec nos collègues, de croiser des directeurs de festivals, des bibliothécaires : bref, des contacts précieux qui nous permettent de vivre tout au long de l'année. » Ainsi, l'annulation d'une majorité d'événements s'est révélée préjudiciable aux auteurs, maillons les plus faibles de la chaîne. Tout, pourtant, avait si bien débuté.

Fin décembre 2019, le ministre de la Culture, Frank Riester, annonçait « une année de la BD 2020 », avec, au menu, près de 350 manifestations réparties sur tout le territoire. Surtout, le ministère a remis début 2020 le rapport Racine. En écho à la colère des auteurs lors de l'édition 2018 du festival d'Angoulême, ainsi qu'à la tribune diffusée sur le site Internet du journal Libération, quelques jours avant, intitulée Auteurs de BD en danger.

Laquelle a été signée par Sattouf, Trondheim, Tardi et quelque 300 autres auteurs pour dénoncer leur précarité accrue. Ce document de 140 pages comportant 23 recommandations préconise des mesures assises sur les revendications de la Ligue des auteurs professionnels : une meilleure rémunération des auteurs ; davantage de transparence avec les éditeurs ; une rétribution pour la participation aux festivals ; etc.

Car, à l'exception des rares « têtes de gondole » (Sattouf, Sfar, Bagieu, etc.) vivre comme auteur de BD n'est pas un long fleuve tranquille. Ainsi, Emmanuel de Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac), explique les conditions d'exercice difficiles de ces créateurs sans véritable statut, puisqu'ils ne sont ni indépendants, ni salariés, ni intermittents : « Le travail exigeant d'un auteur-dessinateur de BD nécessite du temps. Compliqué de l'exercer en parallèle d'un autre emploi. Et pourtant, le montant des à-valoir, pendant la création, permet à peine de subsister. Et, de façon générale, les droits d'auteur, de 8 à 12 %, ne sont jamais perçus, puisque le nombre de ventes compense rarement cette mise de départ. »

Les éditeurs exploitent les auteurs sans vergogne

De façon concrète, la scénariste Marie Gloris (Cléopâtre – La Reine fatale, Delcourt, 2017-2020, etc.), fondatrice d'un collectif de créatrices de BD contre le sexisme, témoigne : « Les éditeurs tirent les prix au plus bas, dans un mépris global de notre travail. Ainsi, il n'est pas rare de signer des contrats à 15 000 euros, parfois à se partager entre dessinateur et scénariste, pour un an de travail. »

En 2014, dans le cadre des États généraux de la BD, 53 % des personnes interrogées déclaraient ainsi un revenu inférieur au Smic, et 36 % se situaient en dessous du seuil de pauvreté. Auteur d'Assassins – Les Psychopathes célèbres (Fluide Glacial, 2019), Jeff Pourquié, professeur d'arts appliqués à l'école Estienne (Paris), dit ressentir une vive inquiétude chez ses étudiants envers ce métier « sans filet de sécurité ».

Il s'agit d'une « fragilité structurelle », selon la scénariste Chantal Montellier (Marie Curie – La fée du radium, Dupuis, 2011, etc.), aggravée par « le transfert des Agessa et de La Maison des Artistes à l'Urssaf du Limousin : un sacré mic-mac ! »

La pandémie détournée en source d'inspiration

Alors, bien sûr, cette fragilité structurelle s'est trouvée renforcée par la crise sanitaire. Ainsi, nombre d'auteurs se sont vus privés d'une part conséquente – un tiers pour Marie Gloris – de leurs revenus : interventions dans les écoles, les médiathèques, résidences, etc.

Après trois ans de travail acharné sur Le Temps des humbles, qui retrace les mille jours du gouvernement d'Unité populaire dirigé par Salvador Allende au Chili, Désirée et Alain Frappier se désespèrent d'une sortie « épouvantable », avec vingt et une séances de dédicaces en librairie annulées.

« Après le succès de Là où se termine la terre [Steinkis, 2017, N.D.L.R.], notre précédent ouvrage sur le sujet, vendu à 10 000 exemplaires, Le Temps des humbles était très attendu. Nous l'avons publié en juin 2020. Et puis… rien ! Quelle frustration ! Et quelle mise en danger financier ! »

Tous, enfin, redoutent un effet dramatique du confinement dans les années à venir. Ainsi, Marie Gloris s'inquiète : « Les maisons d'éditions qui ont perdu de l'argent vont stabiliser leur trésorerie. De fait, elles signeront moins de contrats. En plus, les sorties décalées impliquent un prévisionnel éditorial à trois ans… Dans ce jeu de dominos, certains auteurs passeront à la trappe, de quoi sonner le glas de leur activité professionnelle. »

Et puis, il y a cette privation de liberté, cette panique de fond ressentie par certains, à l'instar de Désirée Frappier : « Je trouve compliqué de travailler dans cette angoisse aussi forte du futur, ce désespoir ambiant. Notre livre, sur l'un des derniers rêves politiques du XXe siècle, s'achève sur une dictature. Et nous observons à l'heure actuelle, en France, un resserrement autoritaire. »

Ce qui reste certain, c'est que la BD, dans les mois, les années à venir, sera irriguée, entre rires, angoisses et réflexions philosophiques, par cette crise sanitaire. Parmi les ouvrages déjà parus, influencés par le Covid, citons ainsi Au cœur de la vague (Les Arènes, 2020), de Chappatte, qui mêle témoignages de médecins, de malades, de personnels soignants, etc. ; Le Médecin, de Karine Lacombe et Fiamma Luzzati (Stock, 2020) ; Pendant ce temps à Fécamp… (Dupuis, 2020), sur le confinement normand, réalisé depuis leur maison respective par les auteurs Blutch, Catel et Bastien Vivès ; ou encore le neuvième tome de la saga de Jul, Silex and the City, intitulé La Dérive des confinements (Dargaud, 2020).

Au menu ? Dégustation de pangolin et mise en quarantaine au fond d'une grotte. Fidèle du SoBD, Lolmède a dessiné, lui, son quotidien durant le confinement. « Ma façon de tenir bon », raconte celui qui a créé son personnage, René le con finé, dans ses Carnets publiés sur les réseaux sociaux et sur le site de La Dépêche du Midi.

Et puis, Catherine Beaunez vient de sortir son livre On baise ?, en autoédition. « Au final, dit-elle, le confinement m'a permis de me recentrer. Dans une sorte de gymnastique régulière, j'ai dessiné ma page chaque jour, publiée sur Facebook. J'y raconte le quotidien d'une nana seule, qui passe par un arc-en-ciel d'émotions. Toujours avec de l'autodérision, car, au final, le rire reste le meilleur moyen de renforcer ses défenses immunitaires ! »

En attendant que 2021 consacre – enfin ! – la BD et ses précieux auteurs, il est toujours temps de plonger dans ces bulles qui témoignent, avec pertinence et poésie, de l'étrange expérience que nous vivons.

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