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Débat : Quel avenir pour la recherche en France ?

22 juillet 2025 | Mise à jour le 22 juillet 2025
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Débat : Quel avenir pour la recherche en France ?

Débat entre Antoine Petit, PDG du CNRS et Patrick Boumier, co-secrétaire du SNTRS-CGT, le 2 juin 2025, à Paris.

Le cosecrétaire général du Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), Patrick Boumier, et le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, dressent un état des lieux de la recherche en France. S'ils partagent le constat d'un sous-financement chronique, ils divergent sur les moyens d'y répondre.

 

Suite au discours Choose Europe for Science, prononcé le 5 mai par Emmanuel Macron, une plateforme a été lancée visant à faciliter l'accueil de chercheurs internationaux dans un contexte d'attaques sur la recherche aux États-Unis par l'administration Trump. Comment accueillez-vous cette initiative ?

Antoine Petit : Pour nous, recruter des chercheurs étrangers n'a rien d'une nouveauté : au CNRS [Centre national de la recherche scientifique, NDLR], un tiers de nos permanents est de nationalité étrangère et c'est une chance de pouvoir travailler avec des professionnels du monde entier. Simplement, pour que cette initiative soit acceptable, il faut que les chercheurs internationaux soient au même niveau scientifique et aux mêmes salaires que les chercheurs que l'on recrute habituellement. Si ces deux conditions sont réunies, je ne comprends pas pourquoi on refuserait des personnes de valeur, prêtes à accepter les conditions de travail en France.

Patrick Boumier : Le problème, ce n'est pas d'accueillir ou non les scientifiques étrangers, mais bien l'hypocrisie du discours du ministère chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR). Lorsqu'on demande que nos primes soient intégrées au salaire ou la compensation du gel du point d'indice, on nous oppose une fin de non-recevoir. Les budgets baissent dans nos organismes de recherche, et là, 100 millions d'euros tombent d'un coup ! Pour accueillir les Américains, il y a de l'argent.

Débat sur la recherche entre Antoine Petit, PDG du CNRS et Patrick Boumier, co-secrétaire du SNTRS-CGT, le 2 juin 2025, à Paris.

Antoine Petit et Patrick Boumier, le 2 juin 2025, à Paris. ©Thierry Nectoux

Au regard de l'austérité budgétaire imposée à la recherche (moins un milliard dans le budget 2025), la France a-t-elle les moyens d'accueillir les chercheurs travaillant aux États-Unis ?

P.B. : Ce qui s'est passé à l'Ifremer [Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer] est caricatural. Lorsque le gouvernement américain a interdit aux chercheurs de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique [NOAA] de travailler avec les collègues de l'Ifremer sur le suivi de la pêche et du littoral, le ministre de l'ESR, Philippe Baptiste, a ordonné que l'institut accueille ces scientifiques. Les collègues de l'Ifremer se sont révoltés car, au regard des conditions de travail très dégradées dans leurs laboratoires, le contexte n'est pas du tout propice à l'accueil de chercheurs étrangers. Là où existe une souffrance importante, que l'on ordonne d'accueillir d'autres travailleurs, ça ne passe pas.

A.P. : Nous sommes d'accord sur le fait que les chercheurs français sont mal payés. D'un autre côté, tous les ans, au CNRS, on recrute un tiers de chercheurs étrangers, donc il ne faut pas non plus faire du misérabilisme. Nous sommes attractifs car nous offrons des postes de chercheur permanent, sans heure d'enseignement obligatoire, et c'est la vraie force du CNRS. Ce qui attire un chercheur, c'est un bon environnement de travail, c'est-à-dire des laboratoires et des infrastructures de qualité, or nous pouvons l'offrir. D'ailleurs, nous continuons d'attirer et ceux que l'on attire sont bons. Ensuite, il faut comparer ce qui est comparable. Aux États-Unis, le coût de la scolarité ou de la santé est astronomique – comptez 85 000 euros pour une année scolaire à Stanford [une des universités les plus prestigieuses du pays], sans le logement. Donc, même si en France les salaires sont moins importants, il faut regarder le tableau dans son ensemble. Enfin, un certain nombre de gens n'ont pas envie d'élever leurs enfants dans l'Amérique de Donald Trump…

P.B. : Le statut de chercheur à temps plein est, effectivement, très attractif. C'est la raison pour laquelle, dans mon laboratoire d'astrophysique, nous recevons tous les ans 150 candidats, dont beaucoup d'étrangers, pour cinq ou six postes. Les thématiques de recherche au CNRS sont illimitées, et cela grâce au statut, qu'il faut défendre mordicus.

 

Partagez-vous le constat d'un sous-financement de la recherche en France et seriez-vous en mesure de l'évaluer ?

A.P. : Il existe un indicateur objectif et partagé par tout le monde : la dépense intérieure en recherche et en développement, c'est-à-dire le pourcentage du PIB [produit intérieur brut] consacré à l'activité de recherche et développement. Cet indicateur permet d'affirmer que notre secteur n'est pas suffisamment financé et c'est le sujet numéro un de la recherche en France. Depuis 1996, ce chiffre stagne à 2,2 %, et relativement aux autres pays de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], nous avons pris du retard. Il y a un discours global consistant à dire qu'il faut mettre plus de moyens dans la recherche et le développement, mais aucun des gouvernements successifs ne l'a fait. Depuis vingt ans, l'objectif pour le financement de la recherche, c'est 3 % du budget : 1 % en provenance d'un financement public, 2 % du privé. Aujourd'hui, aucun de ces deux pourcentages n'est atteint. Or, si l'on veut être performant au niveau international, il faut faire des efforts supplémentaires, et ce n'est pas qu'un problème d'argent public.

Débat sur la recherche entre Antoine Petit, PDG du CNRS et Patrick Boumier, co-secrétaire du SNTRS-CGT, le 2 juin 2025, à Paris.

Antoine Petit et Patrick Boumier, le 2 juin 2025, à Paris. ©Thierry Nectoux

P.B. : Le constat est implacable et il s'agit du résultat des politiques menées ces dernières années. Le ministre répond que la part du financement public dans la recherche est acceptable et qu'il faut donc inciter les acteurs privés. Or, le crédit impôt recherche représente 7,7 milliards d'euros par an, c'est la plus grande niche fiscale en France. Dans ce cadre, Sanofi, par exemple, touche des centaines de millions d'euros par an et ferme malgré tout des laboratoires de recherche et développement. C'est donc que cette politique est inefficace. Des instances collégiales de la recherche scientifique ont estimé les besoins à quelques milliers de recrutements par an pour rattraper le retard. On pourrait aussi transformer les postes précaires en postes statutaires. Entre 2013 et 2023, l'emploi statutaire a diminué de 6,3 % au CNRS. Cela signifie que la stabilité des fonctionnaires est de plus en plus attaquée et cela a des conséquences sur la faisabilité de projets de recherche à long terme.

 

En décembre dernier, Antoine Petit, vous avez proposé la mise en place de « Key Labs », déclenchant l'ire des organisations syndicales. De quoi s'agissait-il ?

A.P. : L'idée des Key Labs, qui n'était visiblement pas la bonne vu les réactions suscitées, c'était de mettre en avant les laboratoires qui nous semblaient stratégiquement les plus importants – environ un quart d'entre