28 octobre 2013 | Mise à jour le 9 février 2017
Ce qui s’est passé aux États-Unis n'est pas banal. Et cela ne devrait laisser personne indifférent, car les conséquences du conflit qui oppose républicains et démocrates peuvent avoir de lourdes retombées sur l'économie dans le monde et particulièrement en Europe.
L'origine du conflit, elle-même, est significative de la volonté des conservateurs de réduire le rôle et les prérogatives de l'État, pour limiter au minimum les dépenses publiques et développer la marchandisation de l'ensemble des activités sociales jusqu'ici assurées par l'État. On se croirait au Medef qui rève de défaire le modèle social français.
50 millions d'Américains sans protection sociale
Aux États-Unis, les plus démunis, près de 50 millions de personnes, ne bénéficient d'aucune protection sociale et ne peuvent donc se soigner normalement. Les risques sanitaires qu'une telle situation fait courir au pays ont conduit Barack Obama à proposer, il y a trois ans, une loi qui rend obligatoire et subventionnée par l'État fédéral l'assurance maladie pour tous ceux qui n'en disposaient pas. Malgré une violente opposition des représentants républicains au Congrès américain, la loi dite « Obamacare », sérieusement modifiée au bénéfice des assurances privées, a finalement été adoptée et jugée conforme à la Constitution.
800 000 fonctionnaires au chômage
Mais sous la pression d'une minorité, proche des extrémistes du Tea Party, les républicains, majoritaires à la Chambre, continuent de réclamer tantôt la révision, tantôt le report, voire l'abrogation de la réforme. Ils n'ont pas hésité à user d'une forme de chantage en refusant de voter le budget fédéral 2014. C'est ainsi que durant 15 jours le gouvernement américain a été « fermé ». Cette séquence, appelée shutdown, a contraint 800 000 fonctionnaires au chômage technique et à la fermeture de nombreux établissements publics y compris dans le secteur de la santé ou celui du contrôle de la sécurité alimentaire, tandis que des milliers d'associations se sont retrouvées sans ressources.
Le président Obama n'a cette fois pas cédé aux exigences du Parti conservateur, et le blocage de l'État fédéral a suscité un mécontentement qui a fait perdre 10 points d'opinions favorables aux républicains. Ces derniers ont donc usé d'un autre moyen de pression, inédit : le refus de relever le plafond de la dette américaine. Sans ce relèvement, l'État fédéral serait incapable d'emprunter pour faire face à ses engagements à compter du 17 octobre, date à laquelle 120 milliards de dette du gouvernement américain arrivaient à échéance. Les États-Unis, première puissance mondiale, se seraient trouvés en situation de défaut de paiement, sachant que les 24 et 31 octobre, deux nouvelles échéances de 93 et 89 milliards se présentent. C'est l'ensemble des marchés financiers, qui doivent leur fragile stabilité à l'assurance que les États-Unis paieront leurs dettes, qui seraient touchés.
« Touche pas à mes intérêts »
C'est la raison pour laquelle, si le chômage technique des fonctionnaires fédéraux et le non-financement du programme santé n'ont guère ému Wall Street et les marchés financiers, le risque d'un défaut de paiement des intérêts sur la dette a plongé ces grands humanistes dans une sourde inquiétude. Au point qu'ils ont à leur tour fait pression pour calmer les exigences des élus républicains… Ces derniers ont donc proposé à Barack Obama de négocier certaines réductions de dépenses publiques, moyennant leur acceptation sans conditions d'un relèvement du plafond de la dette durant six semaines, soit jusqu'au 22 novembre.
Le modèle français archaïque ?
Cet épisode illustre, s'il le fallait encore, la nocivité du système économique et financier qui régit nos sociétés, son pouvoir de nuisance sur la politique des États, son mépris pour les besoins fondamentaux des peuples, pour la démocratie elle-même.
Le capitalisme a confisqué ce beau mot de liberté en détruisant celui de l'égalité – jamais les inégalités n'ont été si dramatiques – et, ce faisant, a sapé les fondements de la fraternité. Comment admettre qu'une aussi grande partie de l'opinion américaine ait refusé, si l'on en croit les sondages, que les plus démunis d'entre eux bénéficient d'une assurance santé minimale ? Comment accepter en France que le principe de solidarité dans les régimes de retraites et la protection sociale soit mis en cause ? Nous prendrions le chemin de la privatisation de la réponse aux besoins de santé au moment où le temple du capitalisme financier, les États-Unis, se résout à renforcer le rôle social de l'État ?
Non, le modèle social inventé dans la résistance à la terreur nazie par le Conseil national de la Résistance, loin d'être dépassé, est plus actuel et nécessaire que jamais et doit être renforcé.