16 novembre 2018 | Mise à jour le 22 novembre 2018
Quelle sera l’ampleur du mouvement des gilets jaunes ? Seront-ils aussi nombreux dans la rue que sur les réseaux sociaux ? Et aussi enragés ? A en croire le tapage médiatique fait, depuis des jours déjà, autour de la « colère des gilets jaunes », la France va connaître, ce 17 novembre, un blocage inédit sans que les médias ne parlent de « prise d’otages »…
Attention, avis de vent violent sur la France ce 17 novembre. Comme pour les jours de tempête ou de grève nationale à la SNCF, les médias appellent les Français à différer leurs déplacements… C’est qu’il y a fort à parier qu’il y aura du monde sur les routes, sur les ronds-points dans les entrées des petites villes ou des villages ce jour-là. Pour autant, avant même de faire une démonstration de force, ce mouvement spontané a déjà gagné la bataille médiatique. Voici des semaines qu’il occupe les médias. Impossible d’allumer la télé sans voir un porteur de gilet jaune, un reportage en région et les éditorialistes patentés des plateaux télés débattre du phénomène « gilet jaune ».
Il est vrai que cinq millions de clics sur le post de Jacline Mouraud, de partage viral de son coup de gueule, de commentaires qui réactionnaires, qui révolutionnaires sur Facebook, cela fait du buzz. Mais cela fait-il pour autant une mobilisation ?
Étonnement dans ce bain médiatique, personne – hormis les membres du gouvernement ou les députés LREM – pour s’indigner contre le « blocage » programmé de la France ou « la prise en otage » de ceux qui, ce jour-là, aimeraient bien pouvoir circuler. On est loin, très loin des propos haineux d’un Frantz Olivier Giesbert – pour ne citer que lui – à l’encontre de la CGT et de son secrétaire général, Philippe Martinez, lors des manifestations en 2016 contre la loi El Khomri.
« Repoussant toujours plus loin les limites du ridicule, la CGT et le mouvement anti-Loi Travail incarnent ce qu'il y a de pire dans « le mal français », notamment le refus de la démocratie et l'incantation « révolutionnaire » … », Frantz-Olivier Giesbert, dans le Point du 26 mai 2016.
Il est vrai que ce mouvement du 17 novembre qui enflamme la toile et les esprits a été lancé en dehors de tout cadre habituel, en dehors de ce qu’on a coutume d’appeler les « corps intermédiaires » que sont les partis politiques et les syndicats. Dans cette absence de « tutelle » organisationnelle, les médias y voient une nouveauté qui semblent les exciter au plus haut point. A tel point que comme le note avec justesse le blogueur Hubert Huertas sur Médiapart : « Le mouvement dit des gilets jaunes n'a pas rendez-vous samedi pour prouver sa puissance à la France. Non, il est déjà là, il est partout, il est irrésistible. Tous les médias retiennent le chiffre-clé : cinq millions de clics. Il prouverait l’intensité d'une organisation sans chef, venue d'une base insaisissable mais unie dans une révolte incompressible ».
Une « objectivité » médiatique inédite
On peut alors s’interroger sur les effets d’une telle publicité. Est ce parce que les médias perçoivent par les signaux du Net que le mouvement sera puissant qu’ils en parlent autant ou est-ce parce que les médias en parlent autant que, par un effet boule de neige, les citoyens se disent : « je veux, je dois en être ? » Bref, comme le pointe encore Hubert Huertas, « L'heure de vérité approche pour les gilets jaunes, mais pas seulement. Pour les médias, et pour le monde politique aussi. L'heure des comptes sonnera samedi. Sommes-nous collectivement lucides en anticipant un mouvement puissant comme les bonnets rouges ou les printemps arabes, ou à côté de la plaque en confondant Facebook et la réalité ? »
Pour l’heure, le mouvement des gilets jaunes semble recevoir le soutien d’une large majorité de l’opinion au-delà des clivages politiques traditionnels et bénéficie d’une grande empathie médiatique. Sur les plateaux télé, les journalistes titillent les politiques sur le sujet en prenant souvent le parti du manifestant en jaune. « Que risqueront-ils à bloquer les routes ? » « La loi sera t-elle sévère envers eux ? » « Comprenez-vous ce mouvement ?« , sont en substance quelques unes des questions bienveillantes des journalistes envers les élus et responsables politiques invités dans les débats télés. Des questions ouvertes et sans jugement de valeur sur la mobilisation. Une telle « objectivité » journalistique dans le traitement de l’information voilà qui, là aussi, est inédit. Les syndicats et plus particulièrement la CGT étant nettement plus écornés par certains médias lorsque des manifestations pour les salaires, les services publics, ou la sauvegarde des emplois s’inscrivent dans l’agenda social. Et ceci au nom du « il n’y a pas d’alternative » aux choix économiques libéraux qui constitue la doxa politico-médiatique. Avec ce mouvement pourtant, « l’impression qu’on ne peut pas continuer sur la voie qu’Emmanuel Macron aimerait nous faire prendre commence à s’ancrer dans tout le pays et à se généraliser, explique une journaliste présentatrice de la webtélé Le fil d’actu. Et quoiqu’il arrive le 17 novembre, cette impression ne se dissipera pas le 18 novembre« . La suite au prochain épisode comme on disait hier à la télé.