Management à la française : le goût des pyramides
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La stupeur se lit sur le visage de la responsable de l'agence intérimaire Ekors, située près de la place de la Nation à Paris, lorsque neuf hommes envahissent ses locaux exigus. Majoritairement originaires du Sénégal, ces travailleurs sans-papiers ont décidé de rester là le temps qu'il faudra, jusqu'à leur régularisation. « Bonjour, ceci est une occupation liée à un conflit de travail » claironne Alexia Muller, responsable de l'Union locale CGT du douzième arrondissement parisien, seule femme de l'escouade. « Nous accompagnons ces personnes qui sont en emploi chez vous et qui sont en grève pour leur régularisation. Nous voulons rencontrer votre direction pour qu'elle leur délivre les documents Cerfa (indispensables à l'obtention d'un titre de séjour, ndlr) », annonce la militante syndicale devant une responsable d'agence médusée, qui jure que « c'est fini, ils ne feront plus travailler personne ! ».
Il est 9h30, mardi 17 octobre 2023 et un scénario similaire s'est produit de manière coordonnée sur 33 piquets de grève en Ile-de-France. Au total, à Paris, en Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine, le Val-d'Oise, près de 600 travailleurs en situation irrégulière, venus d'Afrique de l'Ouest (Mali, Cote d'Ivoire, Sénégal…) ont décidé d'occuper en même temps leur entreprise, dans l'intérim et le nettoyage. « Salariés dans le bâtiment, la logistique, les déchets, le nettoyage, la distribution…au bénéfice d'entreprises tel Sépur, Chronopost, Véolia, Suez, GLS, DPD, Fedex, Géodis, Onet, Atalian, Carrefour, Franprix, les grossistes du marché de Rungis…Pour la très grande majorité d'entre nous, nous travaillons sous le statut d'intérimaire, qui permet de masquer la surexploitation dont nous sommes victime. Nous sommes en grève dans nos entreprises pour gagner notre régularisation et nos droits », peut-on lire sur un tract déposé sur le présentoir de l'agence intérimaire parisienne.
Pour Demba Ndiaye, ouvrier du bâtiment, ce mouvement est une première : « je travaille beaucoup depuis quatre ans. Je paie des impôts, je cotise pour la protection sociale, mais je n'ai aucun droit. Quand je tombe malade, je ne peux bénéficier ni de l'Aide Médicale d'Etat, ni de la Sécu. Tout est compliqué quand tu n'as pas de titre de séjour, il faut sans cesse se débrouiller. Et je ne peux même pas retourner voir la famille en Afrique ». Son alter ego, Amadou Sow, lui aussi originaire du Sénégal témoigne d'un quotidien tout aussi précaire. « Cela fait mal de ne pas avoir de papiers alors que l'on travaille ici depuis des années, raconte ce manutentionnaire qui vit en France depuis plus de quatre ans. Comme bon nombre de travailleurs en situation irrégulière, Amadou Sow utilise un alias pour travailler, c'est-à-dire qu'il emprunte l'identité d'un proche, parfois au vu et au su des employeurs. « Nous voulons être traités comme les autres salariés, avoir les mêmes droits. Etre sans-papiers, cela signifie qu'on est obligé d'accepter n'importe quel travail, des employeurs en profitent. Se loger, se soigner, tout est compliqué. On est prêt à aller jusqu'au bout ».
En gestation depuis plus d'un an, ce mouvement de grèves coordonnées intervient alors que les parlementaires vont démarrer en novembre les discussions portant sur un énième projet de loi immigration, dominées par les idées de droite et d'extrême droite. « Les politiciens de droite font semblant d'ignorer que vous travaillez dans leurs restaurants préférés, que vous ramassez leurs poubelles. Ils nient la place essentielle que vous occupez dans l'économie de ce pays, au même titre que d'autres travailleurs« , dénonçait Jean-Albert Guidou, secrétaire CGT de l'UL de Bobigny, lors d'une Assemblée Générale qui se déroulait au siège de la centrale le dimanche précédent le top départ de la lutte. En Ile-de-France, d’après la CGT, les travailleurs immigrés avec ou sans papiers représentent 40 à 62% des travailleurs des branches de l'aide à domicile, du BTP, de l'hôtellerie restauration, du nettoyage, de la sécurité et de l'agroalimentaire. Considéré comme la caution sociale du projet de loi par ailleurs restrictif, l’article 3 du projet de loi prévoit une carte de séjour d'un an pour les métiers en tensions, délivrée sous certaines conditions.
« Le but d'une grève coordonnée, c'est de discuter directement avec le Ministère de l'Intérieur, afin d'obtenir les mêmes règles de régularisation pour tous, aujourd'hui laissées à la discrétion des préfectures et des employeurs », rappelait Jean-Albert Guidou, lors de l’AG. Par ailleurs membre du collectif confédéral « travailleurs migrants », ce militant est impliqué depuis « la grande grève » de 2008, où plus de 6800 hommes et femmes avaient occupé jour et nuit une quarantaine de sites, l'opéra Bastille et la cité de l'immigration. Depuis cette date, les grèves de travailleurs sans papiers se sont multipliés en 2019, en 2021, jusqu'à aujourd'hui. Avec toujours le même slogan : « on bosse ici, on vit ici, on reste ici ». En Ile-de-France, mais pas que. En témoigne la grève démarrée début juillet dans la communauté Emmaüs de Saint-André-lez-Lille dans le Nord, et qui a gagné cinq sites. La CGT se tient à disposition pour coordonner et structurer les actions. « Vous vous êtes rapproché de la CGT pour la conquête de vos droits, pour l'égalité entre les travailleurs, ce pour quoi la CGT se bat. A partir de maintenant, on démarre un combat ensemble, on ira jusqu'à la victoire », promettait Gérard Ré, membre du bureau confédéral en charge des questions liées à l'immigration, lors de l'AG tenue dimanche 15 octobre 2023. Mardi soir, des employeurs comme Derichebourg avaient déjà délivré des Cerfa.
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