Interview : Catherine Perret, secrétaire de la CGT, décrypte l'allocution présidentielle
Emmanuel Macron annonce qu'il faudra reporter l'âge légal du départ en retraite dès 2022, au nom de la solidarité s'attaquer aux régimes spéciaux et assurer une retraite minimale de 1000 euros pour une carrière complète. Comment analysez-vous ces déclarations ?
C'est un discours de candidat à la présidentielle. Il a marqué que le dossier des retraites allait être un thème majeur de sa campagne et nous ne sommes donc pas complètement surpris sur cette annonce. Il ne pouvait pas relancer cette réforme qui a échoué avant la crise pandémique, par contre il a clarifié des choix qui ne l'avaient pas été jusqu'à présent. Au moment de la grande mobilisation contre le régime universel, il y avait quand même une dichotomie entre ce que portait Macron avec la réforme par points, et ce que portait une partie de son gouvernement et notamment Édouard Philippe qui allait vers une réforme paramétrique. Aujourd'hui, il dit clairement qu'il veut déplacer l'âge légal, c'est-à-dire dans un premier temps une réforme paramétrique. Pour autant, il a aussi affirmé que c'était une réforme structurelle puisqu'il y met la disparition des régimes spéciaux. Cela concerne des salariés comme ceux de l'énergie ou les cheminots, mais aussi des agents de la fonction publique. Cela signifie qu'il veut aussi la disparition de régimes spécifiques comme dans la fonction publique. C'est donc bien une réforme structurelle. Le président indique aussi qu'il veut poursuivre une politique d'étatisation de la Sécurité sociale et le terme de solidarité est effectivement important puisqu'il renvoie à l'impôt. Cela fait écho aux déclarations d'Olivier Véran sur la grande Sécurité sociale. Ce projet n'est pas du tout celui que porte la CGT puisqu'il consiste à faire basculer le financement de toute la protection sociale sur l'impôt en poursuivant une politique d'exonération des cotisations sociales. Et ceci aboutit à affaiblir le système de protection sociale qui repose sur le fruit du travail avec le salaire socialisé. Et pour ce qui concerne la retraite à 1000 euros, c'est aussi un leurre. En son temps, la réforme Fillon prévoyait déjà un alignement sur le Smic. Or ça n'a pas été mis en place et ça fait déjà longtemps que ça aurait dû être fait. Et ce que Macron ne dit pas non plus, c'est comment c'est financé. Encore une fois, probablement par l'impôt et pas par les cotisations sociales. La CGT revendique une revalorisation de toutes les retraites au niveau du SMIC CGT, mais ce basculement vers les 1000 euros est dangereux d'autant qu'il y a fusion entre le minimum vieillesse et le minimum contributif. Ce n'est pas la bonne solution pour revaloriser les pensions et ce alors qu'il ne dit rien sur l'absence de revalorisation des retraites complémentaires au 1er novembre 2021. Un autre élément est inquiétant dans les propos du président sur la retraite. C'est la question de la liberté, ou de la retraite à la carte. Il amorce dans son discours la question du cumul emploi-retraite. Finalement, il remet la retraite à points sans le dire. Et c'est pour cela qu'il s'agit d'une réforme structurelle. Tout ceci amorce des dérégulations des retraites pour départ anticipé par exemple. On a bien compris qu'il voulait la disparition de tous les départs anticipés qui sont aujourd'hui encore en place pour les régimes spéciaux et particuliers. A la place ce serait des points qui permettraient de partir progressivement, mais sans qu'on sache avec quel niveau de pension ni dans quelles conditions. Or aujourd'hui la majorité des salariés ne travaillent plus à l'âge légal de la retraite parce que beaucoup sont victimes de la pénibilité au travail ou sont en inaptitude. Sur la retraite, Macron pose la question des dépenses, mais pas celle des recettes. Or les recettes nécessitent qu'on mette fin aux exonérations de cotisations sociales et qu'on s'attaque à d'autres ressources. On ne l'a pas entendu parler de l'évasion fiscale, du versement des dividendes ou encore des plateformes et l'ubérisation qui échappent aux cotisations sociales. C'est une opération séduction à droite.
« Et les salaires monsieur le président? »
Emmanuel Macron réaffirme dans son intervention que le travail est le fil rouge de l'action du gouvernement. Qu'en pensez-vous ?
A la CGT, nous sommes très attachés à valoriser le travail, mais la première valorisation c'est de le rémunérer. Il n'a pas parlé des salaires ni de leur augmentation. Or la première des choses serait d'augmenter les salaires. Hier, il aurait pu annoncer un texte qui prévoit l'automaticité de l'augmentation des minima de branches dès qu'il y a une augmentation du SMIC, mais il ne l'a pas fait, alors que de plus en plus de salariés sont passés plusieurs échelons en dessous du Smic dans quantité d'emplois et ce notamment dans des secteurs où on dit qu'on manque d'emplois ; agroalimentaire, commerce-hôtellerie-restauration, nettoyage etc.
S'il voulait parler travail, il aurait pu aussi parler de la reconnaissance des qualifications. Et là aussi, pas un mot, ni sur la formation qualifiante en dehors du contrat d'engagement jeunes, mais qui n'est qu'un pansement sur une jambe de bois au vu de la situation de la jeunesse aujourd'hui. C'est pourquoi nous disons qu'il ne faut pas revaloriser seulement le Smic mais toutes les échelles de qualification.
Sur le travail encore, il ne parle pas de le partager. Or la CGT est engagée dans une campagne sur la réduction du temps de travail. Cela permettrait de travailler tous, mais aussi d'agir sur la qualité du travail. Réduire le temps de travail permet un gain de qualité, mais aussi d'améliorer la productivité du travail. Par exemple, Airbus Nantes a expérimenté la réduction du temps de travail durant le confinement et le constat est une diminution du taux de rebuts.
Emmanuel Macron soutient que l'emploi s'améliore et s'est félicité de la réforme de l'assurance chômage qui oblige à cumuler 6 mois de travail au lieu de 4 dans les deux ans pour ouvrir droit à l'allocation. Qu'en pensez-vous ?
C'est quasiment de la provocation. Il ne parle ni salaire, ni politique d'emploi. Et ce alors que la CGT a amené des projets de pérennisation d'emploi qui n'aboutissent pas, comme à la SAM en Aveyron, dans les fonderies etc. Il n'y a donc pas de politique d'emploi dans le discours présidentiel. Tout ce qu'il dit, c'est qu'on va faire la chasse aux chômeurs. Nous sommes donc en désaccord total avec le décret qui durcit les droits des chômeurs. Nous l'avons attaqué en justice et nous attendons d'ailleurs un premier rendu de jugement sur le fond ce lundi 15 novembre. En attaquant ce décret, nous démontrons d'ailleurs qu’il est faux de prétendre qu'il y a des emplois partout en adéquation avec ce que recherchent les chômeurs. Les analyses, y compris de l'UNEDIC, attestent qu'il y a un emploi pour 23 chômeurs. Les chômeurs ont une qualification, un passé professionnel et il est normal qu'ils ne prennent pas n'importe quel type d'emploi. Il y a donc un problème de manque d'emploi dans le pays. Ensuite, il y a des secteurs qui sont certes en demande d'emploi, mais il est étonnant qu'on ne s'interroge pas sur les raisons qui font que les gens ont fui ces secteurs. Il y a deux problèmes ; le premier c'est évidemment les salaires trop bas, et aussi il y a un problème de conditions de travail qui nuit à l'attractivité des emplois. Macron annonce qu'on va plus contrôler les chômeurs. Il est toujours sur le schéma « il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi ». En baissant les allocations, il veut véritablement qu'on accepte n'importe quel emploi dans n'importe quelles conditions. C'est grave. Il considère que puisqu'il y a « retour à bonne fortune » la réapparition de la croissance, il devrait y avoir une masse d'emplois qui apparaissent ce qui contraindrait les privés d'emploi à accepter n'importe quel type d'emploi et de contrat quel que soit leur qualification. On est donc sur une montée de la précarité. La CGT dénonce cette chasse aux chômeurs. De plus on se demande comment il va le mettre en œuvre. Les agents de Pôle emploi sont déjà à l'os et on va transformer leur métier de conseillers en celui de contrôleurs. J'ajoute qu'il y a des masses de fausses offres d'emploi que le Comité CGT des privés d'emploi ne cesse de dénoncer.
Emmanuel Macron vante aussi sa politique en faveur de l'emploi, notamment le chèque inflation et le blocage du prix du gaz. Comment percevez-vous ces mesures ?
Encore une fois ce ne sont pas des mesures qui vont résoudre les problèmes sur le fond avec l'augmentation du prix d'un certain nombre de produits comme l'énergie. Ce sont des mesures ponctuelles, limitées à une partie de la population et différées. Ces mesurettes électorales ne vont pas changer la vie des gens. Pour nous la première des solutions est l'augmentation des salaires puisque démonstration est faite qu'il y a baisse du pouvoir d'achat. Et il faut aussi s'interroger sur les raisons de la hausse des prix, notamment de l'énergie. Il y a d'autres solutions, et l'une d'entre elles est d'analyser les conséquences de l'ouverture du capital de toutes les entreprises productrices d'énergie, en particulier l'électricité ou le gaz. Cela nécessite de travailler sur le fond avec pôle public de l'énergie qui seul pourra garantir un accès à des tarifs réglementés.