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Économie

Investissements 
ou dividendes ?

2 septembre 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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Investissements 
ou dividendes ?

Après une baisse au premier trimestre, l'investissement des entreprises a continué de dégringoler au printemps. Cela, malgré le déblocage d'importantes aides publiques et alors que les rémunérations des actionnaires des grands groupes français explosent.

Certains minimiseront en arguant que ce n'est qu'une histoire de coïncidence, de mauvais timing. D'autres grinceront des dents devant ce qu'ils verront comme un jeu des vases communicants. Dans un contexte économique particulièrement sombre – croissance nulle, chômage important, déficit en hausse –, la concomitance entre la publication des mauvais chiffres de l'Insee, le 14 août, et celle des résultats mirobolants des dividendes versés aux actionnaires, quatre jours plus tard, a quelque chose d'indécent. Voire de révoltant.

Car comment accepter sagement que les chiffres de l'économie réelle s'effondrent progressivement alors que ceux de la finance continuent d'augmenter ? Comment accepter le discours servi par le Medef selon lequel l'un n'aurait rien à voir avec l'autre ? Au contraire, ils sont étroitement liés. Et constituent la preuve même que la politique économique d'austérité du gouvernement et de l'Europe sont une impasse dangereuse. Explications.

RECUL DES INVESTISSEMENTS

La France a vu l'investissement des entreprises à nouveau reculer ce printemps. Les chiffres de l'Insee sont sans appel : l'investissement des entreprises non financières a reculé de 0,8 % au deuxième trimestre après avoir déjà accusé une baisse de 0,7 % au cours des trois premiers mois de l'année.

Concrètement, les entreprises ont moins investi, que ce soit dans la construction, dans les biens manufacturés, les biens d'équipements et les services. Le commerce extérieur, lui, confirme son statut de point noir, coûtant 0,1 point de PIB sur le trimestre. « La baisse de l'investissement des entreprises est paradoxale car nombre d'entre elles augmentent leurs profits, réagit Nasser Mansouri Guilani, économiste à la CGT. Et cette contradiction est d'autant plus forte que les aides accordées aux entreprises depuis des années au nom de l'investissement et de l'emploi continuent. Cela montre bien qu'elles sont inefficaces ».

En effet, à quoi a servi le CICE, mesure phare du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, pourtant en place depuis janvier 2013 ? Et, plus largement, quels résultats des aides gouvernementales d'environ 40 milliards d'euros versées aux entreprises depuis quatre ans ? Où sont passés ces fonds colossaux ? « Les nouveaux dispositifs comme le CICE sont des aides accordées au nom de l'amélioration de la situation des entreprises et notamment en vue d'augmenter l'investissement, poursuit l'économiste. Or, on s'aperçoit que souvent elles ne sont pas utilisées pour cela mais, au contraire, pour améliorer la situation des propriétaires et notamment des actionnaires. » Pas de coïncidence.

AUGMENTATION DE L'ÉPARGNE

Seulement, les chiffres de la baisse de l'investissement des entreprises révèlent également un affaiblissement de la demande qui leur est adressée. Les derniers chiffres de l'Insee montrent que les seuls facteurs ayant soutenu l'activité économique sont la consommation des ménages – qui a continué à progresser (+0,5 %) au deuxième trimestre par rapport au premier – et la dépense publique (+0,5 %). Ces deux facteurs ont permis d'éviter de justesse une croissance négative. Elle sera juste nulle.

Mais les chiffres du taux d'épargne record des Français – il est de 16 % au premier trimestre, du jamais vu depuis 2009 – révèlent pessimisme et précaution, ce qui pourrait présager un ralentissement de la consommation si la conjoncture des ménages n'évolue pas favorablement… « Il ne s'agit pas d'améliorer les marges des entreprises pour qu'elles produisent davantage, il faut améliorer leurs débouchés, c'est-à-dire la demande et donc la capacité de consommation des ménages, conclut l'économiste. Or, la dégradation de l'emploi et la pression aujourd'hui exercée sur les salaires – et de façon plus large sur les indemnités chômage et les minima sociaux y compris les pensions des retraités – risquent de plomber la consommation des ménages. »

LA SANTÉ INSOLENTE DES DIVIDENDES

« Les dividendes versés par les entreprises cotées ont fortement progressé dans le monde au deuxième trimestre, de 11,7 % par rapport à l'année précédente. Ils s'enregistrent à 426,8 milliards de dollars ou 318 milliards d'euros. » Ces résultats, révélés par l'étude du gestionnaire d'actifs Henderson Global Investors (HGI), publiée le 18 août, ont de quoi estomaquer.

Pis, alors que tous les indicateurs économiques de l'Hexagone sont dans le rouge, la finance affiche des résultats d'une santé insolente : « C'est en France que la rémunération distribuée aux actionnaires connaît la plus forte hausse, avec 40,7 milliards de dollars distribués (+30,3 %), ce qui fait du pays le plus important payeur de dividendes en Europe ». À titre de comparaison, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont respectivement à 9,7 % et 3,9 %. Bien sûr, des facteurs objectifs comme une fluctuation des taux de change favorable et un périmètre élargi des entreprises considérées, expliquent partiellement ces résultats, mais enfin…

Au deuxième trimestre 2014, le groupe Axa a versé l'équivalent de 2,7 milliards de dollars de dividendes à ses investisseurs, ce qui en fait le plus important payeur en France. Reste qu'au niveau sectoriel, la finance est le secteur d'activité qui enregistre les meilleures performances (+14,6 % de dividendes versés en un an). Sur un total de 91,7 milliards de dollars distribués par les établissements financiers à leurs actionnaires, près de la moitié émane des banques et près d'un quart (22 milliards) des sociétés d'assurances.

DISCORDE SUR 
LES MOYENS DE LA RELANCE

Face aux sombres perspectives de croissance et aux difficultés à tenir les engagements en matière de déficits, le gouvernement persiste et signe. Des mesures de soutien à l'investissement, à la construction sont certes à l'étude, mais le cap de sa politique économique reste inchangé en dépit des critiques y compris au sein de la majorité. Les ministres de l'Économie et de l'Éducation, qui plaidaient pour un changement de cap économique, en auront fait les frais. Non sans rappeler que « la relance de la demande est la condition de la réussite de la politique de l'offre qui a été faite depuis deux ans. On ne peut rien vendre aux Français s'ils n'ont pas des revenus suffisants ».

La CGT, qui n'a cessé de défendre cette position depuis le début des politiques d'austérité, revendique pour cela : la revalorisation du Smic, de l'indice des salaires dans la fonction publique, des pensions et des minima sociaux ; l'établissement d'un calendrier d'ouverture des négociations dans les branches professionnelles sur les grilles de qualifications ; la mise en œuvre d'une véritable démocratie sociale qui permettra aux salariés de pouvoir bénéficier d'un droit d'expression direct et collectif sur leur travail quelle que soit la taille de l'entreprise ; la relance de l'emploi par l'investissement industriel au travers du plan d'investissement porté par la Confédération européenne des syndicats (CES) et le contrôle des aides publiques accordées aux entreprises en les réorientant sur l'emploi et l'investissement. Sera-t-elle entendue ? Gageons que, dans les entreprises, les salariés reconnaîtront cette petite musique.