11 février 2022 | Mise à jour le 11 février 2022
Romancier et réalisateur militant, Gérard Mordillat s'engage cette fois-ci dans une bande dessinée dans laquelle, en compagnie de Sébastien Gnaedig, il suit l'ascension, la chute d'un quidam relooké en candidat d'extrême droite. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes…
Ulysse Nobody, de Gérard Mordillat et Sébastien Gnaedig. Éditions Futuropolis, 144 pages, 20 euros.
Ulysse Nobody, vous connaissez ? Non. Normal. C'est que, depuis un prix au Conservatoire déjà ancien et quelques apparitions dans une émission de FR3 disparue des programmes, il court après les castings et les petits boulots dans sa bonne ville du Havre, sans grand succès d'ailleurs. Ruminant son infortune pendant que les factures impayées s'accumulent. Jusqu'à ce jour où un ancien camarade lui propose de l'accompagner à Lille pour assister à un meeting du PFF, le Parti fasciste français. Et de chauffer la salle avant la prise de parole du président Maréchal.
Transcendé par la présence du public, Ulysse se lance alors dans un vibrant discours à la gloire de la langue, de la culture, de la civilisation françaises. Déclenchant l'enthousiasme de la foule. Et celui du président du PFF, qui le propulse aussitôt porte-parole de la culture pour son mouvement et en fait l'un de ses candidats pour les législatives qui se profilent. De quoi transformer radicalement la vie d'Ulysse qui enchaine alors meetings et télévisions, bénéficie des largesses d'une assistante dévouée corps plutôt qu'âme. Lui assurer enfin la reconnaissance qu'il attendait.
Las, la gloire médiatique et l'ascension sociale fulgurantes n'auront qu'un temps. Brisées, balayées par les résultats et l'élimination du candidat Nobody au premier tour du scrutin. Adieu veau, vache, cochon, couvée et petite amie. Viré comme un malpropre du PFF, Ulysse Nobody n'est à nouveau plus personne. Renvoyé à l'anonymat de la rue puisque « la farce était jouée, comme on dit quand la pièce est finie. »
Une véritable fable politique
Portée par la verve jubilatoire et tranchante d'un Gérard Mordillat dont on connaît l'engagement depuis son premier roman intitulé Vive la Sociale ! adapté ensuite à l'écran, cette bédé se lit comme une véritable fable politique. D'autant plus contemporaine que des élections présidentielles approchent à grands pas aujourd'hui en France et que les discours du candidat Nobody, pourtant imaginés par l'auteur bien avant la campagne présidentielle, s'entendent désormais quasi quotidiennement dans la bouche de certains aspirants au poste, bien réels ceux-là, sur nos chaines d'information. Sans oublier ce parcours pour le moins atypique du « héros », Ulysse Nobody, candidat sorti de nulle part, dont le nom est à lui seul un slogan, ce qui n'est pas sans rappeler celui de l'un des prétendants à la course présidentielle, « assistante » comprise.
Reste que si tout ceci n'est qu'une fable, délicatement et sobrement illustrée par ailleurs, dont l'issue sera tragique pour Ulysse Nobody, c'est aussi un sérieux avertissement qui nous est envoyé à l'heure où notre démocratie se montre vacillante, gangrenée depuis maintenant des décennies par les idées de l'extrême droite. Avertissement doublé d'une invitation en bonne et due forme à nous pencher d'un peu plus près sur le contenu des images qui nous sont proposées, des paroles, des messages/mensonges qui nous sont assénés. Bref, à lire et à méditer. Rapidement.