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États-Unis

Le projet antisocial de Trump essuie ses premiers revers

18 mars 2025 | Mise à jour le 18 mars 2025
Par et | Photo(s) : AFP
Le projet antisocial de Trump essuie ses premiers revers

Coupes budgétaires drastiques, licenciement de milliers d'employés fédéraux, destruction ciblée de services publics… Donald Trump a un projet clair :  il veut faire des économies et il a l'intention d'aller vite. Mais il va devoir faire face à deux obstacles : le pouvoir des juges et la voix des travailleurs. Car les syndicats américains n'ont pas l'intention de le laisser faire.

Le second mandat du président américain Donald Trump est une histoire qui se suit minute par minute, parfois avec effroi. Un jour, il prétend faire de la bande de Gaza la « Côte d'Azur du Moyen-Orient », l'autre il annule les changements de sexe des personnes transgenres. Quand il ne dresse pas par décrets des listes de mots proscrits de toutes les données et documents officiels de l’administration américaine, tels que « femmes », « Noir » ou « gay », qu’une intelligence artificielle se charge de traquer et d’effacer . Une censure visant les politiques de diversité poussée jusqu’à l’absurde : la photo originale du bombardier, l'« Enola Gay », qui avait largué la première bombe atomique sur Hiroshima, a ainsi été accidentellement supprimée des archives américaines.

Démantèlement de l’Etat fédéral

Le projet de Trump est clair : il  a l’intention de briser l’administration fédérale et les hommes et femmes qui y travaillent, comme il l’a fait savoir début mars devant le Congrès américain. Pour mener à bien son entreprise et « rendre l'Amérique grande à nouveau » (« Make Américain Great Again »), le président s'est entouré de milliardaires. Le plus emblématique et médiatique d'entre eux est sans conteste le directeur de SpaceX, Tesla et X (anciennement Twitter), Elon Musk, à qui Trump a confié le Department of Government Efficiency (DOGE), traduit en français par « département de l'Efficacité gouvernementale ». Un département créé pour appliquer le « projet 2025 » élaboré par l'équipe de campagne du Président : ni plus ni moins qu’un programme de démantèlement de « l'Etat profond » dont l'objectif est non seulement d'abaisser les dépenses fédérales du pays, mais aussi de réaliser une véritable purge de la fonction publique afin de placer des hommes à sa main.

Pour réaliser cette entreprise, Musk et son équipe d'ingénieurs informatiques se sont vus remettre les codes d'accès aux données sensibles de l'administration américaine fédérale ainsi que des citoyens américains. En quelques semaines, la tronçonneuse du DOGE s'est brutalement abattue sur les agences américaines. Licenciements massifs et coupes drastiques de budgets sont tombés à un rythme frénétique. Les équipes du département de l'Education se sont vues divisées par deux et les employés priés du jour au lendemain de faire leurs cartons.

« L’anxiété de nos membres atteint des sommets. Les attaques contre les employés fédéraux sont sans précédent », Doreen Greenwald, présidente du National Treasury Employees Union (NTEU)

Alors que 7000 fonctionnaires en période d’essai ont déjà été limogés au sein de l’International Revenue Service (IRS), le fisc américain pourrait licencier jusqu’à la moitié de ses 90.000 employés. Un projet de purge qui affole le National Treasury Employees Union, le deuxième plus gros syndicat américain, avec 37 agences représentées. Le syndicat, qui prédit que « ce sera le chaos »  si les effectifs de l’IRS sont divisés par deux, a fait du combat contre les licenciements le thème central de son action cette année.

Des coupes qui sont allées jusqu'au démantèlement quasi complet de l'agence des États-Unis pour le développement internationale (USAID), créée en 1961 et symbole du soft power américain, dont la quasi-totalité des employés ont été liquidés. L'agence, honnie par Trump, a été accusée de « poursuivre à l'étranger un programme politique et culturel qui divise et qui promeut l'avortement, l'extrémisme climatique, le radicalisme de genre ». Sur X, Musk s'est félicité d'avoir « jeté l'USAID dans un broyeur à bois », sans considération aucune pour le drame humanitaire que va occasionner cette suspension des aides américaines, qui représentent 42% des aides humanitaires mondiales. Des actions de la part du pouvoir exécutif jugées « complètement sans précédent dans l'Histoire des États-Unis », par Nicholas Allen, directeur de programmes du SEIU (Service Employees International Union, un syndicat états-unien).

La diversité dans le viseur

L'offensive est massive en particulier contre les politiques de diversité et d'inclusion (DEI), les « nouveaux woke » honnis par l'Amérique Trumpiste, elle l'est aussi plus globalement contre les savoirs. La prestigieuse université de Colombia à New York, en pointe de mobilisations pour la Palestine, a vu ses budgets fédéraux amputés de 400 millions. Si le DOGE n'épargne aucun secteur, le monde des sciences et de la recherche  – domaine dans lequel les États-Unis excelle – est le plus sévèrement attaqué. A titre d'exemple, quelque 1200 employés du National Institues of Health (Instituts Nationaux de la Santé) se sont fait licenciés et des budgets ont été coupés, mettant à l'arrêt des programmes de santé en cours.

La purge touche aussi les plus grands scientifiques américains. Le 10 mars, une vague de licenciements a emporté la climatologue et scientifique en chef de la NASA, Katherine Calvin, chercheuse pour le GIEC. Dans le même mouvement, le Bureau de la technologie, de la politique et de la stratégie a été fermé, ainsi que la branche des politiques de diversité, équité et inclusion de l'agence étatsunienne.

En réponse contre toutes ces attaques, le mouvement Stand up for Science a appelé à une mobilisation massive des scientifiques le 7 mars. Plus de 30 villes des États-Unis se sont mobilisées, et des manifestations ont pris place dans le monde entier, dont une à Paris réunissant plus de 5 000 scientifiques.

Premiers revers pour Trump

Le 5 mars, la Cour suprême, à majorité conservatrice, a créé la surprise en prenant la décision à une voix près d'ordonner à Donald Trump de reprendre les versements à l'USAID, que ce dernier avait gelé depuis le 20 janvier. Un premier revers pour l'hyper président qui pensait la Cour Suprême acquise à sa cause. Christopher Cooper, juge nommé en 2013 par Barack Obama, a par ailleurs demandé au DOGE, seule agence à ne pas transmettre d’informations sur ses activités, à rendre publics ses dossiers.

Toutefois, Nicholas Allen conseille de rester prudent quant au pouvoir de la Cour suprême. Selon lui, « si les choses continuent ainsi dans la trajectoire actuelle, nous ne pouvons compter sur la Cour suprême pour arrêter Trump. Il en reviendra à la société civile, dont les syndicats, de résister de façon importante. »

Le SEIU (Service Employees International Union), qui a formé un front commun  avec le syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) pour s’opposer aux décisions anti-sociales de Trump, a prévu trois modes d'action essentiels. Premièrement, défendre les personnes immigrées, notamment en les informant de leur droit face à l'agence de contrôle de l'immigration américaine (United States Immigration and Customs Enforcement, ICE), gonflée à bloc. Car des vagues massives d'arrestation et de déportation de personnes en situation irrégulière, accusées par le président d’être des « criminels » qui « sucent le sang des Etats-Unis », ont été lancées parfois en dépit de la loi. Si ce dernier avait fait savoir qu'il prévoyait d'enfermer 30.000 étrangers sur la prison militaire de Guantanamo, cette opération a finalement tourné au fiasco : l’installation du campement a été jugé illégal, car impropre à la détention.

Deuxièmement, il s'agit pour l'organisation syndicale de protéger l'assurance maladie Medicaid, dans le viseur des Républicains qui tentent de couper 880 milliards de dollars d'aide au cours des dix prochaines années. Le SEIU s'engage à se battre dans les rues, au Congrès et au tribunal pour préserver ce programme dont dépendent 70 millions d'Américains.

Troisièmement, il va leur falloir résister aux attaques contre les syndicats qui se multiplient depuis la réélection de Trump. Le président a déjà renvoyé un haut fonctionnaire de l'agence protégeant les droits des syndicats (National Labor Relations Board, NLRB), et a placé des idéologistes de droites dans des postes importants au département responsable du travail.

Pour Nicholas Allen, il reste des motifs d'espérer car rappelle-t-il, Trump semble oublier que ses citoyens sont attachés à leur démocratie : « Les actions de Trump auront de réelles conséquences qui toucheront les gens – à un moment, cette souffrance se transformera en mobilisation. » Certaines décisions prises par décrets présidentiels ont déjà été invalidées par les juges fédéraux et d'autres pourraient suivre, notamment si elles sont inconstitutionnelles. Le 13 mars, des juges de Californie et du Maryland ont ordonné sur demande des syndicats de réintégrer des milliers de fonctionnaires limogés dans 19 agences pendant leur période d'essai.

Les juges, qui sont régulièrement vilipendés par le nouveau locataire de la Maison blanche, ont qualifiés « d'activistes partisans qui tentent d'usurper la volonté du président » par sa porte-parole. Un bras de fer entre le pouvoir judiciaire et un pouvoir exécutif en pleine dérive illibérale qui aura valeur de test pour la démocratie américaine.