5 octobre 2017 | Mise à jour le 6 octobre 2017
Les résultats des élections législatives allemandes ont suscité de nombreuses réactions pointant le danger de la montée du parti d'extrême droite AfD. Pour le sociologue Christian Dufour, pourtant, le risque est davantage du côté de l'accroissement du vote en faveur du FDP, le parti libéral, qui prône le libre marché total.
Les résultats des élections législatives allemandes du 24 septembre ont constitué un sérieux revers pour le parti de Angela Merkel même si celle-ci rempile pour un quatrième mandat à la tête du Bundestag.
La coalition CDU/CSU remporte seulement 32,9 % des voix, alors que les sondages la créditaient de 36 % des intentions de vote. Ce qui va rendre compliquée la formation d'une coalition.
Le SPD, de centre gauche, réalise son pire score depuis la Seconde Guerre mondiale, à 20,5 %. En revanche, le parti d'extrême droite AfD (Alternative pour l'Allemagne), lui, réussit son pari en remportant 13,5 % des voix et les libéraux du FDP aussi, en revenant au Parlement fédéral avec plus de 10,7 %. Les Verts, avec 8,9 %, s'en tirent moins mal que prévu. La gauche radicale, Die Linke, obtient 9,2 %.
Entretien avec Christian Dufour, sociologue spécialisé dans les comparaisons internationales des relations professionnelles et des syndicats rattaché au CRIMT (centre de recherches interuniversitaire sur la mondialisation et le travail) et installé en Allemagne depuis 30 ans.
La presse française, dans son analyse des résultats des élections législatives allemandes, s'alarme de la montée de l'extrême droite que représente l'AfD…
Les commentaires des résultats électoraux — hors de l'Allemagne — se concentrent en effet sur l'aspect spectaculaire de la montée de l'AfD. C'est faire beaucoup de publicité indirecte à un parti dont ont démissionné, au lendemain des élections, sa présidente ainsi que le président de sa plus grosse région (Rhénanie du Nord-Westphalie). L'AfD, jusqu'à présent, se déchire à tous ses congrès et entre eux. On passe du coup sous silence la percée du FDP, le parti libéral, qui est un parti ancien et crédible en interne et en externe, et dont les positions sont beaucoup plus dangereuses dans les années qui viennent pour l'équilibre politique et social de l'Allemagne et de l'Europe. Ce parti qui a pendant longtemps servi de juge de paix entre CDU et SPD pour composer les gouvernements a un moment disparu pour réapparaître en doublant ses pourcentages ; il est allé chercher ses électeurs à la CDU, la CSU, chez les abstentionnistes et un peu au SPD.
Il s'est entretemps libéré des oripeaux de l'économie sociale de marché chère à la doublette CDU/SPD au profit d'un capitalisme sans entrave et manifestement cela séduit. Il n'est ni xénophobe ni nationaliste, il est simplement pour le marché, avec l'Allemagne comme centre de sa réalisation (standort Deutschland). Sans lui, la CDU ne sera pas capable de gouverner, d'autant qu'il est un peu l'âme damnée et inavouée d'une partie de la CDU dans sa radicalité en faveur du capitalisme libéral et de la réussite par la performance individuelle. Le FDP a derrière lui des troupes électorales moins nombreuses que l'AfD, mais bien plus cohérentes politiquement, et bien plus influentes dans les lieux décisifs de l'économie et de la décision politique. La montée du FDP et du libéralisme militant aura des répercussions évidentes sur les compromis sociaux en Europe.
Comment analysez-vous la montée de l'AfD ?
Il faut d'abord comprendre la dualisation de la société allemande. Et notamment la progression de la pauvreté. Celle-ci doit se lire en lien dialectique avec le maintien d'un effectif de salariés, majoritaires, plutôt bien installés dans leur vie professionnelle, qui profitent de… la pauvreté de leurs collègues. À la question de savoir quel est le degré de satisfaction des électeurs quant à leur situation personnelle, les électeurs de tous les partis donnent des opinions positives, à plus de 65 %, sauf ceux de l'AfD qui plafonnent à 35 % de satisfaits. 21 % des ouvriers et des chômeurs votent pour l'AfD. Mais beaucoup ne votent pas (comme les immigrés, par exemple…).
Les effets des lois Hartz se sont combinés à la politique de modération salariale soutenue par les syndicats pendant des années : les salariés des services à la personne et des services tout court (magasins, coiffeurs, restaurants…) perçoivent des salaires de misère pour produire des services peu chers, qui viennent abonder le niveau de vie des salariés mieux lotis. Restaurants, services à la personne, alimentation, etc. sont plutôt moins coûteux en Allemagne qu'en France sous cet effet. Les syndicats se sont pendant longtemps opposés à la mise en place d'un salaire minimum (IGChemie en particulier).
Lorsqu'ils ont trouvé un consensus suffisant sur ce point, la situation était très dégradée. Le salaire minimum est introduit en 2015, au forceps. Le clivage social s'est aggravé depuis près de deux décennies, les exceptions et les évitements du salaire minimum étant nombreux (un salarié sur deux ayant un mini-job n'atteint pas le salaire minimum suivant le centre de recherche du DGB (confédération allemande des syndicats). Les femmes et les salariés immigrés font la grosse masse des salariés pauvres et très pauvres. L'AfD fait des voix en attirant près d'1,2 million de personnes [sur 5 millions en tout] qui n'avaient pas voté en 2013. Si les leaders de l'AfD sont peu ragoûtants, il ne faut pas trop vite ranger leurs électeurs sous cette bannière brune. La question est plutôt de savoir pourquoi syndicats et partis de gauche ne les rallient pas.