25 mai 2019 | Mise à jour le 25 mai 2019
Le Jeune Ahmed, dernier film des frères Dardenne en compétition officielle au Festival de Cannes, raconte le destin d’un jeune adolescent pris dans les mailles de l’intégrisme islamique. Ce onzième long-métrage est le plus noir de leur filmographie.
On ne présente plus les frères Dardenne, multi-récompensés à Cannes pour leurs films dont deux Palmes d’Or : Rosetta en 1999 et L'Enfant en 2005. Une jeune ouvrière révoltée, un jeune tueur reconverti en apprenti, l'impasse de la parentalité d’un trop jeune couple, le silence meurtrier d’une réfugiée en fuite…
Au fil de leur filmographie, ces deux cinéastes belges nous ont habitué à leur regard lucide sur les tourments de notre temps, à leur traitement rigoureux des aspérités sociales et intimes, à leur caméra toujours à la bonne place, à leurs personnages souvent blessés mais toujours résistants car solidement adossés à leur dignité, à leur humanité.
Portrait d’une radicalisation
En cette période dominée par le repli sur soi et la tentation du religieux, plusieurs films – et tout dernièrement L’Adieu à la nuit d’André Téchiné – ont abordé la question de la radicalisation de la jeunesse et notamment celle de la jeunesse liée au « Djihad ».
Le Jeune Ahmed, sobre portrait de la radicalisation d’un adolescent belge d’origine maghrébine – brillant à l’école mais en rupture familiale – était, lui, attendu tant sur la croisette, où il concourt en compétition officielle, que dans les salles où il a laissé plus d’un spectateur médusé ou glacé de par la radicalité à la fois juste et inquiétante de son scénario.
De nos jours, en Belgique, plus précisément à Seraing, la banlieue populaire de Liège où ont grandi les frères Dardenne et où ils ont tourné la plupart de leurs œuvres, Ahmed, 13 ans, suit aveuglément les préceptes de son imam de quartier. Avec le zèle de l’innocence, il fait le choix de ce qu’on lui a dit être le bien, le pur.
Endoctriné, il prie, il pratique consciencieusement selon les principes de l’islam radical quitte à mentir à sa famille et à mépriser sa mère qui, parce qu’elle boit de l’alcool de temps en temps, n’est pas – selon lui – une bonne musulmane. Il prend fait et cause pour Allah, au nom duquel il décide de tuer sa professeure d’arabe, une femme éclairée qu’il connaît bien mais qu’il juge mécréante car sa conception de l’arabe est plus large que celle, stricte, des versets du Coran.
L'impuissance d'une société
À la suite de cette tentative de meurtre, il est envoyé dans un centre fermé pour adolescents. L’air concentré, buté et avec encore les rondeurs de l'enfance, Ahmed traverse le film emmuré dans sa croyance de l’au-delà et totalement hermétique à son entourage, pourtant constamment bienveillant et qui tente de l’ouvrir à la vie. Au lieu d’une prise de conscience progressive du personnage, c’est l’enfermement qui l'emporte sans que sa mère, sa prof, ses éducateurs, le juge ou la psychologue n’aient de prise sur lui.
Même la scène touchante où il échange – au milieu d’un champ de betteraves – un baiser avec Louise, la fille des agriculteurs qui l’accueillent pendant sa détention, ne semble pas garantir un virage du personnage. Pas de brèche. Le scénario tiendra en haleine jusqu'au dernier plan. Avec dans le rôle d'Ahmed, le jeune Idir Ben Addi, un comédien non professionnel, est magnifique et parfaitement angoissant.
Ce onzième film est sûrement le plus sombre de la filmographie des Dardenne, laquelle constitue décidément, au-delà même du cinéma, une réflexion contemporaine des plus conséquentes sur notre société.
Le jeune AhmedDe Jean-Pierre et Luc Dardenne. 1 h 24. Sorti le 22 mai.