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Économie

Le piège des emprunts toxiques

15 novembre 2017 | Mise à jour le 29 novembre 2017
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Le piège des emprunts toxiques

Ce volet de la crise de 2008 a révélé la pleine responsabilité des banques mais aussi les défaillances de l'Etat. © Frank Krems / Plainpicture

Cet autre volet scandaleux de la crise de 2008 a révélé la pleine responsabilité des banques mais aussi les défaillances de l'État.
Cet article a été publié dans l’édition de novembre 2017 de la NVO
Communes, conseils départementaux, établissements publics, hôpitaux… Ils ont été des milliers en France à s'être laissés rouler dans la farine par des banquiers cupides et, disons-le, machiavéliques, qui leur avaient fourgué des prêts ruineux en leur faisant miroiter des taux d'intérêt plus bas que le marché. Selon un premier rapport d'État de 2012, 1 478 collectivités ou groupements étaient à cette date embourbés dans des emprunts à risque pour un montant de 14 milliards d'euros.
À la pointe de cette ingénierie financière sordide, la banque franco-belge Dexia, qui avait fait des collectivités territoriales son cœur de cible et qui fut très vite talonnée par ses consœurs, Crédit agricole, Société générale et bien d'autres. La genèse de cette escroquerie bancaire commence dans les années 2000, lors de l'ouverture du marché des collectivités à la concurrence. Une aubaine pour la finance folle, Dexia en tête, qui dégaine la première une offre de prêt cyniquement baptisée « Tofix Dual », au TEG (taux effectif global) en réalité très volatile et indexé sur des formules si opaques et trompeuses que la plupart des souscripteurs n'y ont vu que du feu.

L'étau des taux

Lorsque la crise éclate en 2008, les taux d'intérêt de ces emprunts s'envolent. On passe alors de 2 % à 8 %, puis à 20 %, 40 %, voire à 54 % selon les communes et les prêts concoctés. Le cas de la ville de Saint-Germain-en-Laye est édifiant : le TEG (taux effectif global) du prêt souscrit par son syndicat des ordures (Sidru) atteindra 56 %. « Les prêteurs ont réussi à imposer une situation paradoxale où, au lieu d'être rémunérés pour prendre un risque de crédit supplémentaire, ils l'ont été pour faire prendre un risque de taux à leurs clients », analysait alors l'agence de notation Fitch Ratings.
Face à l'insolvabilité de cette équation bancaire diabolique, plusieurs communes et départements (Saint-Maur-des-Fossés, Asnières, Angoulême, Rhône-Alpes, Ain, Seine-Saint-Denis…), sous l'égide de l'APCET (Acteur public contre les emprunts toxiques), tentent alors la voie de la renégociation de leurs prêts. En vain : le refus des banques est catégorique.
L'APCET n'est guère plus audible du côté du gouvernement qui restera longtemps sourd à sa demande de mise en place d'une structure de défaisance des dettes toxiques. Seule marge de manœuvre à la disposition des collectivités surendettées, le recours en justice fondé sur la forme : le TEG mal ou pas mentionné dans les contrats d'emprunt.
Bonne pioche ! Coup sur coup, les jurisprudences favorables se multiplient, qui cassent ces contrats de prêt et ramènent les TEG à 0 % ou au taux d'intérêt légal en vigueur. En 2014, la Seine-Saint-Denis obtient ainsi la baisse de son TEG de 30 % à 0,04 %. Stupeur et tremblement du côté des banques, condamnées en série. Et sueurs froides du côté de l'État qui, suite à la commission d'enquête commanditée en 2011 par Claude Bartolone, alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, commence à mesurer l'ampleur du désastre qui s'annonce : une ardoise chiffrée à plus de 18 milliards d'euros.

Amnistie bancaire

Ce rapport met bien en évidence la responsabilité des banques, coupables de tromperie, mais aussi les défaillances de la puissance publique qui, à tous les échelons, trésoreries, préfectures, chambres régionales des comptes, etc., n'a rien voulu voir venir. Si bien que, pour se sortir du carcan des emprunts toxiques tout en évitant la banqueroute des prêteurs, l'État est contraint de légiférer rétroactivement au nom de l'intérêt général. Contre l'APCET qui militait pour une solution de cantonnement des emprunts toxiques permettant leur extinction progressive, la loi du 29 juillet 2014 entérine la validation rétroactive de ces prêts à risque via un dispositif de désensibilisation. Doté de 3 milliards d'euros et financé à parité par l'État et les banques, il est accessible aux collectivités à la condition qu'elles renoncent à tout recours en justice. « Une amnistie pour les banques fautives », dénonçait l'APCET.
À ce jour, 676 collectivités ont sollicité l'aide du fonds. Le gouvernement considère le problème des emprunts toxiques comme réglé. Loin de cet avis, l'APCET critique un arbitrage trop favorable au système bancaire. Car si l'essentiel des dettes est en cours d'assainissement, la facture de ce scandale à 5,5 milliards d'euros reste pour les trois quarts à la charge du contribuable. Pour la CGT, d'autres mécanismes de financement des collectivités sont d'autant plus nécessaires que celles-ci développent des services publics de proximité de qualité, déploient des budgets de solidarité indispensables à la cohésion sociale et favorisent le développement de la commande publique. Pourtant, le gouvernement leur réclame encore des économies supplémentaires pour l'année 2018…