Timothée Régnier, alias Rover, a vécu aux Etats-Unis, aux Philippines, en France, il a bourlingué un peu partout, en famille, à la suite d'un père travaillant pour une compagnie aérienne. Le choc musical sera les Beatles et notamment « A day in the life ». Il apprend tout gosse la guitare en autodidacte, s’ouvre à la musique avec ses deux frères aînés. Et joue au milieu des années 2000 dans un groupe punk au Liban où il a rejoint son frère Jérémie.
Expulsé du Liban en 2008, faute d'avoir renouvelé à temps son visa de tourisme et après une brutale rupture sentimentale, il s'enferme tout un hiver dans la solitude d'une maison familiale en Bretagne. Il y enregistre, en analogique, à corps et à coeur perdu, les maquettes de son premier CD qui s’ouvre avec le titre-phare « Aqualast ».
Un album crépusculaire tout à fait étonnant où il assume toutes ses influences musicales (et pas des pires : Beatles/ Lennon et McCartney, Dylan, Brian Wilson/Beach Boys, Nirvana, Joy Division ou les new-yorkais d'Interpol) sans pour autant les singer, mais pour y trouver sa propre voie.
Le résultat – que Timothée Régnier pensait d’abord garder pour lui- est un album généreux, brillant, tripal, à la fois harmonique et retenu, sombre et coupant comme un diamant noir.
Selon les différentes versions (ce jeune artiste est un filon pour un label…) on atteint jusqu’à 17 titres où Rover montre un talent évident de compositeur et de mélodiste. Il semble avant tout musicien, peut-être plus encore qu’auteur, malgré de belles trouvailles et une inspiration très autobiographique. C’est sans doute du côté de l’écriture, d’ailleurs, que ce jeune artiste né en 1979 a la plus grande marge de progression…
Une divine surprise pour un premier album, au point qu’on a presque envie de remercier les Libanais de nous l’avoir rendu, certes un peu cabossé par la vie, mais artistiquement en pleine forme !
Cœur de rocker
Après le premier 4 titres qui nous avait déjà séduit, Timothée a en effet composé et réalisé seul, en artisan, les démos de ce CD très personnel (qui existe aussi en vinyl, version onze titres, on vous le recommande aussi), d’une alchimie impressionnante, sans compromis ni limites, en toute sincérité. Il est très tôt repéré et signé par le label indépendant Cinq7 et entre en studio.
À la fois mélodique et puissant -on pense parfois à Lou Reed pour la fluidité de la guitare- cet auteur compositeur interprète et multi-instrumentiste doué sans être virtuose, joue de sa voix –naturelle et d'une belle tessiture- comme d'un instrument qu’il ne craint pas de pousser à l’extrême, avec un lâcher prise et un lyrisme qui rappellent parfois les Buckley père ou fils, Tim et Jeff.
« Les œuvres d'art naissent toujours de qui a affronté le danger, qui est allé jusqu'au bout d'une expérience, jusqu'au point que nul humain ne peut dépasser« écrivait Rilke. Pour ce premier opus, Timothée Régnier semble bien être allé chercher au plus profond de lui, au plus sombre, au plus douloureux aussi…
Pour la mélancolie qui se dégage de certaines mélodies, notamment au piano, c’est à un jeune Neil Young (période After the Goldrush) que Rover renvoie et bien sûr aux harmonies d’un Brian Wilson qui aurait composé en pleine tourmente et la rage au coeur. Timothée Régnier chante comme un peintre jette des couleurs sur une toile, à l’instinct. Les imperfections, les failles, les silences rendent encore plus sensuel ce disque très addictif.
La réédition complétée du CD, avec cinq bonus permet de découvrir d’autres aspects de cette belle palette, notamment la superbe envolée de « La Roche » ou « Birds » dont on dirait les guitares sorties d’un Bowie avec ses Spiders from Mars et un « Anywhere from now ! » très énervé dans la même veine.
When the music's Rover
Album hanté qui parle de perte, de guerre, de trahison, d’amours perdues et de ruptures cruelles, de déchirements et d’un monde violent et autodestructeur, ce premier CD simplement intitulé « Rover » sonne comme une thérapie où Timothée Régnier met à nu et soigne ses blessures… et fait écho aux nôtres.
Avec Rover, il signe des compositions sinueuses et paroxystiques, à la fois rudes et éthérées, souvent teintées de mélancolie sur des textes sombres et poétiques ou pointe une colère, mais aussi une fragilité et un abandon véritablement émouvants.Des émotions universelles dans lesquelles chacun peut se reconnaître.
Sa sincérité n’a pas trompé le nombreux public d’une tournée de près de 200 dates en deux ans, un vrai marathon qui l’a mené de grands festivals en petites salles, de Pleyel aux Francofolies en passant par le Printemps de Bourges, Les Vieilles Charrues à Carhaix (voir vidéo) et un peu partout en Europe.
Sur scène, le 16 décembre 2013, pour la dernière date parisienne d’une longue tournée, au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, il donnait un concert dépouillé, seul au piano ou derrière son Epiphone rouge. Libéré de la tension de la tournée, Timothée plaisantera, remerciera (abondamment) tous ceux qui lui ont permis de réaliser son rêve de gosse et livrera de petits joyaux d’émotion.
Quatorze chansons qui ont paru bien courtes à une salle comble et conquise, avant qu’il ne reprenne sa route pour concocter une nouvelle pierre précieuse, qu’on attend déjà avec grande impatience…
En espérant que les récompenses et la quasi unanimité qui a salué ce premier disque (après le prix « Talent tout 9 », une nomination aux Victoires de la musique, le prix Francis Lemarque de la Sacem, son album a reçu un disque d’or) ne surdimensionneront pas son ego et ne détourneront pas cet artiste véritablement puissant de son authenticité et de son exigence originelles.
(*) CD Rover. Ed. Cinq7. Version simple ou deluxe (16 et 17 titres) . Existe aussi en vinyl (onze titres) et coffret luxe « Rover » 2 CD dont enregistrements épurés avec trio à cordes et live.
Voir aussi, rubrique Culture/Cinéma/Entretien avec Guillaume Brac pour le film Tonnerre/Noire romance et Culture/Cinéma/En salles : Coup de foudre à Tonnerre.
Let it glow (2015)
Call my name (2015)
VIDEOS :
Aqualast
Tonight
Les vieilles charrues. Carhaix. 2012