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Thomas Coutrot propose de « Libérer le travail » dans un livre

19 avril 2019 | Mise à jour le 19 avril 2019
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Thomas Coutrot propose de « Libérer le travail » dans un livre

Si la gauche a beaucoup parlé du travail, elle en a rarement mis en question les modes d'organisation. C'est ce à quoi s'attache l'économiste Thomas Coutrot dans un ouvrage au titre programme : Libérer le travail.

« Libérer le travail » : pour Emmanuel Macron, ce slogan de campagne n'a jamais signifié rendre le travail plus libre. Il s'est agi en fait, comme le rappelle Thomas Coutrot, de « le débarrasser, autant que possible, des “rigidités” qui découragent les investisseurs ». Car « de nos jours, il faut bien ça pour que les » investisseurs »… investissent au lieu de spéculer ». D'où toutes « les réformes néolibérales du travail » qui « accompagnent l'effritement du salariat et l'ubérisation de la société ».

Face à « l'explosion des pathologies liées au travail, reconnues par la sécurité sociale ou non », face au mal-être au travail qu'exprime la moitié des citoyens, face à son organisation néo-taylorienne, Thomas Coutrot, économiste et statisticien du travail (ancien porte-parole d'Attac et cofondateur des Économistes atterrés) propose dans son nouvel ouvrage, Libérer le travail, de repenser le travail lui-même, pour en réhabiliter la part vivante, l'autonomie, de trouver les ressorts permettant d'y refonder la démocratie, indispensable, souligne-t-il, à la démocratie dans la cité. Une réflexion qui poursuit utilement celle, notamment, du syndicaliste et chercheur italien Bruno Trentin, ancien dirigeant de la CGIL.

Quand l'organisation du travail épuise

Karl Marx le disait déjà : le capitalisme ne peut « se développer qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute sa richesse : la terre et le travailleur », rappelle l'auteur.

De fait, observe-t-il, d'une part « Le productivisme capitaliste déstabilise les écosystèmes et d'autre part “À l'ère du numérique, plus encore qu'aux premiers temps du taylorisme, les restructurations du travail visent à standardiser les connaissances et les tâches” », dans tous les secteurs et les professions intellectuelles ne sont pas épargnées.

Car « les actionnaires ont transféré les risques sur le travail » lui-même.

Pourtant, le chômage et la précarité détruisent bien davantage que le travail. Or dans la diversité des situations de travail — aujourd'hui de plus en plus polarisé —, chacun recèle, en dépit d'une organisation toxique, sa part d'autonomie et de créativité et la fierté naît du travail bien fait. C'est notamment ce qu'il s'agit de restaurer, comme l'ont montré, rappelle Thomas Coutrot, nombre de « recherches-actions » menées avec les salariés par des syndicalistes, élus de CHSCT, médecins du travail, ergonomes, dans des entreprises telles que Renault par exemple.

La gauche et l'impensé du travail

Thomas Coutrot interroge dès lors les rapports que la gauche a diversement entretenus avec le travail comme activité humaine. « La gauche a évidemment beaucoup parlé du travail comme facteur de production, comme effort méritant salaire, comme moyen d'accéder à la dignité, comme espace de lutte et de solidarité… mais elle a très peu considéré l'activité de travail en elle-même, comme espace et temps d'exercice et de développement des facultés humaines ».

Il distingue deux courants historiques. Le premier se veut étatiste et productiviste et a soutenu activement ce qu'il qualifiait d'organisation scientifique — comme le taylorisme lui-même. En jeu, en particulier, l'attachement à la croissance plus qu'à la liberté. Le second en a proposé une critique radicale, mais n'a pas été en capacité d'en proposer une alternative.

De la « commandite ouvrière » aux expériences autogestionnaires

Pour mieux le comprendre, l'auteur revient sur une résolution, oubliée par beaucoup, du congrès d'Amiens de la CGT en 1906 : celle d'une organisation alternative du travail, la « commandite égalitaire ». Celle-ci existe alors déjà dans certains métiers tels que l'imprimerie de la majorité des grands journaux parisiens : il s'agit pour les ouvriers d'élire leur « metteur en page » et de se partager chaque semaine les fruits du travail réalisé avec un léger avantage à ce dernier.

Certains intellectuels libéraux (comme Yves Guyaut), inquiets des progrès du socialisme révolutionnaire, y voient un moyen de gagner la paix sociale. Sur quoi Jean Jaurès ironise : « si ce système prévalait, le patron n'apparaîtrait plus que comme le commanditaire, et l'idée viendrait très naturellement à tous de lui enlever par la socialisation du capital la seule fonction qui lui serait restée, celle de possédant ».

Mais cette résolution de congrès « ne résistera pas à la vague taylorienne et aux profondes transformations de la classe ouvrière qui s'ensuivront ».

Quant aux coopératives ouvrières qui se créent depuis le XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, le principe de démocratie y est de nouveau à l'ordre du jour. Mais si elle concerne la détention du capital, elle néglige l'organisation même du travail, toujours hiérarchisé.

Même les tentatives autogestionnaires des années 1970 (Lip, par exemple), si elles ont modifié les rôles de chacun (ceux des femmes, des travailleurs immigrés, par exemple), n'ont pas été au bout, dit l'auteur, d'une remise en cause des modes d'organisation du travail, à l'exception de brèves tentatives en Italie.

Managers humanistes ?

Dans une troisième partie, Thomas Coutrot analyse « les apports et les impasses » d'un courant de managers qui ont tenté de théoriser et d'appliquer de « alternatives à la vision mécaniste et déshumanisante portée par le taylorisme et l'automatisation fordiste ».

Il revient par exemple sur l'expérience scandinave, citant le cas de l'usine Volvo de Kalmar (Suède) avec la généralisation des équipes autonomes, ou l'implication des syndicats norvégiens et suédois dans le contrôle de l'innovation technologique. Mais « ces expériences audacieuses n'ont pas survécu au tournant néolibéral ».

Il décrypte les avancées et les limites des tentatives d'« entreprises libérées » qui, en France, maintiennent le capital entre les mains des directions, mais restructurent l'entreprise en laissant plus de place aux propositions des salariés. Des expériences qui s'avèrent très insuffisantes, parfois contradictoires, mais tout de même moins dommageables pour les salariés que de travailler « chez Carrefour ou chez un sous-traitant de Renault ».

Mais l'auteur remarque aussi que de telles expériences suscitent « très peu de débats dans les milieux intellectuels et militants de la gauche et du syndicalisme ».

Le « pouvoir d'agir »

Thomas Coutrot résume la thèse de Bruno Trentin dans La Cité du travail : « le mouvement ouvrier majoritaire a toujours monnayé la subordination du travail plutôt que de la contester. Il a revendiqué le pouvoir d'achat du travail plutôt que le pouvoir d'agir. La gauche n'a jamais su rendre fertile l'une des contradictions du capitalisme, celle qui oppose “les droits formels reconnus au citoyen dans le gouvernement de la ville et les droits formels refusés au travailleur dans la gestion de son propre travail” ».

Cependant, l'auteur juge insuffisante l'explication qu'en avance Bruno Trentin, selon qui « le courant marxiste étatiste l'aurait emporté sur l'autre gauche, antiautoritaire ». Car dans celle-ci aussi, le travail et son organisation demeurent « impensés », à l'exception notable des apports de Simone Weil.

À l'instar de la philosophe, Thomas Coutrot l'affirme : il ne s'agit pas seulement de réduire le temps de travail, ce qui est souhaitable, et surtout pas de considérer la RTT comme « une compensation à l'intensification et à l'aliénation du travail », mais bien de libérer celui-ci. L'enjeu en est aussi démocratique : « comment la servilité et la peur qui règnent dans le travail pourraient-elles n'avoir aucune influence sur le comportement des salarié-e-s dans la sphère civique ? »

Un espoir naît pourtant concrètement dans de nouvelles expériences. Celles du travail « collaboratif » (un terme qu'usurpent impunément des plateformes numériques qui en réalité exploitent le travail d'autrui) ou du « care ».

En jeu : la « construction du commun » et la refondation démocratique.