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Réforme des retraites

Travailler après 60 ans

28 avril 2023 | Mise à jour le 4 mai 2023
Par | Photo(s) : Thierry Nectoux
Travailler après 60 ans

Portrait de Véronique Basin, le 17 février 2023, à Montreuil, France.

Opposés à la réforme des retraites qui décale l’âge légal à 64 ans, trois travailleurs témoignent de la difficulté de vieillir au travail. Ils se racontent dans la Vie OuvrièrePremier portrait avec Véronique Basin, technicienne de surface à l’usine Renault de Flins (78). Un poste considéré comme moins pénible sur lequel elle a été reclassée après des années de travail à la chaîne. 

Nous croisons la route de Véronique Basin lors d'une manifestation parisienne opposée au projet de contre-réforme de la retraite qui vise un report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et une accélération de l'augmentation de la durée de cotisations à 43 annuités. À la veille de son soixantième anniversaire, l'ouvrière, exposée à des postes pénibles au cours de sa vie professionnelle dans la construction automobile, ne se voit pas travailler deux années de plus.

Des salariés comme elles, les cortèges en sont pleins : des hommes et des femmes qui travaillent dans le nettoyage, l'agroalimentaire, le commerce, le transport, la logistique… Tous sont révoltés à l'idée de travailler jusqu'à 64 ans alors que les corps se disloquent. D'autant que les entreprises ne font pas grand-chose pour maintenir les plus de 55 ans en emploi, et les poussent plutôt vers la sortie. Ouvrière chez Renault, Véronique Basin en témoigne.

La pratique est bien rodée. Trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite, Renault propose aux salariés une dispense d'activité. « Tu es payé à hauteur de 72 % de ta rémunération moyenne. Tu peux rester chez toi ou travailler à côté pour compléter à hauteur de 100 % de ton salaire », explique Véronique Basin, convoquée par sa direction deux semaines après avoir fêté ses 59 ans. En vogue chez Airbus, Stellantis, Michelin, etc., cette politique d'emploi des seniors contrevient au dessein du gouvernement de faire bosser tout le monde deux ans de plus.

« Renault, comme toutes les grandes entreprises de ce pays, pousse les seniors vers la sortie », avait déploré dans les médias l’ex-secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. Ancien technicien chez Renault, il a témoigné avoir eu ce type de proposition. La marque au losange accélère d'autant les plans de départ volontaire qu'elle a annoncé en 2020 l'arrêt de la production automobile sur le site de Flins à l'horizon 2024, destiné au reconditionnement des véhicules d'occasion.

Les épaules et les bras déglingués

Le corps déglingué par vingt ans passés à l'usine, notamment sur chaîne, l'ouvrière entrevoit ce dispositif comme une planche de salut. « De 2005 à 2009, sur chaîne, je devais visser des écrous aux essieux, à raison d'une voiture à la minute et d'une pression de six kilos dans le bras droit. Auparavant, j'ai travaillé pendant deux ans au magasin, où des pièces de rechange pouvaient peser jusqu'à 27 kg. Au total, les femmes pouvaient porter jusqu'à trois tonnes par jour. Je me suis bousillé les épaules et les bras. »

Séparée en 2009, avec trois enfants à charge, cette dure à la tâche n'a pas pour habitude de s'écouter. Mais en 2016, elle est contrainte de s'arrêter un an pour subir une opération de l'épaule. Reclassée à l'entretien sur un poste dit plus « doux », la technicienne de surface continue de s'user en répétant les mêmes gestes. « J'ai commencé à travailler à dix-sept ans et demi dans l'animation. Puis dans la vente pendant treize ans, dans une boutique, à Paris, où j'étais très bien payée. Quand mes enfants sont nés, j'ai voulu un travail proche de mon domicile. Un voisin qui travaillait chez Renault m'a pistonné. Au début, j'ai apprécié d'avoir du temps pour réfléchir. À la chaîne, mon esprit pouvait vagabonder, je travaillais le matin ou l'après-midi. Mais au bout de deux ans, j'ai commencé à m'ennuyer. »

Parvenue en fin de carrière, Véronique Basin s'est aperçue qu'il lui manquait des trimestres dus à des années de travail non déclarées. « Je me suis bagarrée auprès de la caisse de retraite pour en récupérer. Résultat, si je pars à 62 ans, je percevrai environ 1 634 euros brut. Si la “réforme” du gouvernement est adoptée, je devrai travailler deux trimestres de plus. Dans mon entourage, je ne compte plus les collègues qui meurent un peu avant ou après la retraite. Récemment, j'ai enterré un camarade, mort six ans avant la retraite. Il faut stopper cette hécatombe. »

Sarah Delattre

Cette série de portraits est à retrouver dans son intégralité dans le numéro #05 « Réinventer les luttes » de la revue la Vie Ouvrière.

Couverture de la revue numéro 5 de la Vie Ouvrière Réinventer les luttes.