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ÉLECTIONS US

Trump, une posture mussolinienne

11 novembre 2016 | Mise à jour le 30 novembre 2016
Par
Trump, une posture mussolinienne

Alors que le monde est encore sous le choc après l'élection du républicain Donald Trump face à Hillary Clinton, Philip Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris, spécialiste de l'histoire internationale contemporaine et auteur d'« Une autre histoire de la puissance américaine » revient sur cette sombre surprise.
161111_entretien_golubNVO : Contrairement aux pronostics des sondages, Donald Trump vient de gagner l'élection à la présidentielle états-unienne. À quel point est-ce une surprise ?

Philip Golub : C'est une surprise pour Trump lui-même. Voilà un candidat qui ne savait pas formuler des propositions cohérentes, qui n'avait pas d'idée précise, qui n'avait aucune pratique politique précédente et aucune connaissance des dossiers internes ou externes. Voilà quelqu'un qui était connu pour ses activités économiques plus ou moins douteuses et sa participation à des shows de téléréalité qui se retrouve gagnant des primaires républicaines puis de l'élection présidentielle américaine contrairement à ses propres attentes puisqu'initialement, cela n'était pour lui qu'un jeu.
C'est une forme d'accident historique, bien qu'il s'emploie désormais à réinterpréter sa victoire comme étant programmée de longue date et reflétant ses mérites.

Quelle analyse faites-vous de la campagne électorale ?

Trump a mené une campagne d'attaques frontales et de dénigrement des institutions politiques. Il s'est présenté comme une alternative au système politique américain et comme la voix du peuple contre les élites corrompues. Il a surtout mobilisé les égoïsmes sociaux, les haines raciales, les divisions ethnico-ethniques et les divisions de genre.
Ses attaques misogynes et sa posture quasi pornographique durant la campagne ont été un moyen de déchaîner dans le sens littéral du terme ce qu'il y avait de potentielle violence politique dans la société américaine. Il a rendu licite ce qui auparavant ne l'était pas tout à fait. Il a étendu, exagéré, amplifié ce que le parti républicain a toujours fait : jouer la carte ethnico-raciale et xénophobe. Sa campagne a été d'une grande violence, elle a permis une libération de la parole raciste, misogyne, et de l'idée même de la violence.

Côté démocrate, la réponse n'a pas été adaptée : elle a été technique, basée sur la parole d'experts. Hillary Clinton étant présentée comme une femme d'État capable, maitrisant les dossiers, les affaires internationales, etc. Mais ne sachant pas s'adresser aux gens dans leur vie quotidienne, leurs difficultés, leurs attentes.
Résultat : la jeunesse qui s'était mobilisée derrière Bernie Sanders ne s'est pas mobilisée en masse pour elle et il lui a manqué une partie des voix de la jeunesse plus radicalement de gauche. Il lui a manqué 3 ou 4 % du vote jeune qu'Obama avait récolté aux élections précédentes. Dans une situation politique pareille, il fallait une parole forte sur l'égalité sociale, raciale, de genre.

Cela tient-il aussi au fait qu'il y avait peu de propositions chez les deux candidats ?

Hillary Clinton a repris plusieurs propositions de Sanders, elle proposait un salaire minimum à 12 dollars de l'heure, le renforcement de l'Obama Care… Mais toujours de façon tiède, insuffisante pour engendrer une dynamique de mobilisation idéologique, politique et affective derrière elle.

Les propositions de Trump sont, elles, plus affolantes les unes que les autres : faire construire un mur de 7 000 km à la frontière mexicaine (aux frais des Mexicains) pour régler le problème migratoire ; lancer une guerre commerciale contre la Chine en imposant des tarifs douaniers de 45 % sur les produits venant de là-bas et entrant sur le territoire américain sans tenir compte du fait que ces produits proviennent de chaînes de productions globalisées et engendrées par des firmes américaines elles-mêmes ; mettre en œuvre des politiques de torture renforcée pour les terroristes et cela contre le droit humanitaire international, les conventions internationales sur la torture et même les lois américaines.
Ces propositions ne répondaient pas aux attentes économiques et sociales, mais étaient destinées à montrer qu'il serait un chef fort dans un moment de détresse. C'est, à mon sens, une posture mussolinienne.

Est-ce un échec d'Obama ?

Oui, en ce sens qu'il a réussi à arrêter une grande dépression en faisant massivement intervenir l'État fédéral américain pour stabiliser le système économique et financier, mais n'a pas su et pu utiliser la situation de crise pour changer la donne de façon plus fondamentale. Il n'a pas réussi à remettre en cause les inégalités économiques et sociales béantes aux États-Unis, n'a pas réussi à mettre en place une politique de santé universelle de façon plus hardie et bien sûr, il n'a pas réussi à faire punir les responsables de la crise financière de 2008-2009.

Car, aucun des grands responsables au sein des firmes financières américaines concernées n'a été poursuivi légalement, alors même qu'ils étaient responsables de la destruction de vies entières. Au contraire, les banques ont été sauvées, elles ont retrouvé une insolente vigueur face à un pays qui souffre encore des effets longs de la crise.
Rappelons que des dizaines de milliers de personnes ont été expropriées, des centaines de milliers ont perdu leur emploi, etc. Il y a eu un appauvrissement général. Obama avait la majorité dans les deux chambres durant ses deux premières années de mandat, c'était le moment de changer la donne. Au début, il n'a pas su, ensuite il n'a plus pu le faire à cause de la cohabitation. Il lègue, de fait, une situation compliquée.

Les minorités visibles ont été les plus violemment touchées par la crise et n'ont pas retrouvé leur position antérieure ; les minorités sexuelles qui étaient en quête de reconnaissance vont se retrouver devant un parti républicain virulemment homophobe et ultraconservateur sur les questions sociétales, ultralibéral sur les questions sociales et donc les perdants d'avant vont encore plus perdre aujourd'hui. La société américaine va être clivée comme elle ne l'a pas été depuis très longtemps.

Est-ce aussi le résultat du système électoral et constitutionnel américain ?

C'est la question. Les États-Unis sont-ils exactement une démocratie ? Non, pour des raisons formelles : d'abord parce que le Sénat ne représente pas le peuple. Certains tout petits États avec une population minime ont autant de sénateurs que les grands, ce qui est une absurdité en termes de théorie politique démocratique, mais qui se comprend peut-être dans le contexte de 1787 lorsque la constitution fut mise en œuvre. Le système du collège électoral, constitué par un nombre de grands électeurs équivalent au nombre de sénateurs et de membres de la chambre des représentants, n'est pas représentatif de la population américaine.

Ensuite, parce que du fait du vote indirect à l'élection présidentielle, un candidat peut la gagner en nombre de voix populaires et la perdre dans le collège électoral. Ce fut le cas d'Al Gore contre George W. Bush en 2000, c'est à nouveau le cas aujourd'hui. Bien sûr, il y a la tradition constitutionnelle, mais qu'est-ce que cela veut dire qu'un candidat avec une minorité des voix populaires devient président du fait de ce système de représentation indirecte ? C'est archaïque et antidémocratique.

Trump a gagné dans des États ouvriers, comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie. Comment a-t-il séduit les « cols bleus » ?
On parle des « cols bleus » blancs et pas des ouvriers noirs, ni des latinos. Aux États-Unis, des clivages raciaux s'ajoutent aux clivages de classe. Il n'y a donc pas une, mais des classes ouvrières, ce qui a joué contre la constitution d'un mouvement syndical et politique plus unifié. Et ce n'est pas nouveau. Ces clivages raciaux sont, par exemple, la raison principale qui a empêché la création d'un système de couverture maladie universelle, contrairement à ce qui est en place au Canada ou dans la plupart des pays européens. D'autant plus que les élites économiques ont joué sur ces clivages raciaux et sur l'idée qu'il ne fallait « pas payer pour les noirs ».

Le discours de victoire de Trump avait des accents keynésiens, rompant avec le ton de sa campagne libérale et protectionniste. Quel est son programme économique ?
Il n'est pas sûr que Trump le sache lui-même. C'est un caméléon politique. Il est pour le protectionnisme sans pour autant articuler une vision claire et compétente de ce que cela veut dire. Il a aussi annoncé une baisse d'impôt, ce qui contraste avec l'idée de grands travaux keynésiens. Il donne l'impression d'avoir un grand sac d'idées dans lequel il pioche, mais il va bien falloir qu'il choisisse.

Quid des minorités, des droits des femmes, du racisme et de la xénophobie ?

C'est ce que je crains le plus. Lors de sa campagne, Trump a libéré une parole très violente, raciste, xénophobe, sexiste et je crains que cette libération ait des effets dans la vie quotidienne, sur le web, dans les journaux… Une vidéo le montrait se vantant de « prendre les femmes par le sexe » et d'en faire ce qu'il veut. C'est implicitement donner un feu vert au viol ou aux agressions sexuelles. Ma crainte, c'est que cela n'engendre de la violence au quotidien et renforce certaines fractures.

D'autant plus qu'il a aujourd'hui le parlement et la Cour suprême avec lui ?

L'histoire de la Cour suprême est une tragédie. C'est une autre curieuse et archaïque caractéristique de la constitution américaine. Les juges sont nommés à vie par le président après ratification par le Sénat. À la mort de Scalia [un juge ultraconservateur, NDLR], le Sénat a refusé, dans une manœuvre non légale, d'entendre le candidat d'Obama.

Nous verrons donc qui sera choisi par Trump. Cela nous en dira long sur sa philosophie politique et sociale. Nous pouvons craindre qu'il nomme quelqu'un avec des convictions ultraconservatrices, ce qui renforcerait davantage la majorité déjà ultraconservatrice de la Cour d'avant la mort de Scalia. Pire encore, deux juges centristes sont vieillissants, et il n'est donc pas impossible que Trump ait à remplacer au moins l'un d'entre eux au cours de son mandat.
Ça serait un désastre pour le droit à l'avortement, par exemple, qui fait l'objet d'un appel devant la Cour suprême. Il y a aussi une série de questions autour des limites de l'action de la police et des services de sécurité, des questions sur la participation des grandes entreprises à l'élection présidentielle.

La question syndicale sera également importante : dans certains États, comme le Wisconsin, le parti républicain mène un assaut de front contre, non seulement les syndicats, mais contre le droit syndical, et a l'intention d'étendre ce modèle au reste du pays.

Les travailleurs ont du souci à se faire ?

Ils vont avoir besoin, pour ceux qui ne sont pas syndiqués, de trouver le moyen de se défendre, de s'organiser et de se mobiliser. Les prémices d'une forme de mouvement politique se sont formées autour de la candidature de Bernie Sanders.
Nous allons voir une série d'efforts venant de la base pour se lancer dans des actions locales pour la défense des syndicats et la création de nouvelles formes de solidarité. Cet effort de structuration est urgent pour protéger ce qui peut encore l'être.

Il y a des formes d'actions à la fois politiques et symboliques comme Occupy Wall Street. Reste que ces mouvements, plutôt spontanés, ont certes une grande capacité à focaliser l'attention sur des problèmes fondamentaux, mais qui, par manque de structuration, ne perdurent pas.
C'est une question qui se pose à tout mouvement non hiérarchique aujourd'hui. Mais syndicaliser ne veut pas forcément dire créer des syndicats verticaux comme dans le passé. Ça veut dire réfléchir à la façon de constituer des réseaux de solidarités et de résistance légaux, institutionnalisés comme, par exemple, dans le secteur des services.

Quel message cette élection envoie-t-elle à l'Europe et à la France, à six mois de la présidentielle ?

C'est un encouragement aux droites extrêmes en Europe. D'autant plus important que les élites et politiques sont encore plus obstinées qu'aux États-Unis dans la poursuite de leur politique aveugle d'austérité paneuropéenne. Dans un contexte où les structures transnationales européennes — la BCE, la Commission européenne, la Cour de justice de l'Union européenne elle-même — et les gouvernements des grands pays ne veulent pas changer d'agenda économique et social, la victoire de Trump pourrait permettre – dans un contexte de lassitude – de booster les droites radicales et extrêmes de façon significative, alors que les alternatives à gauche sont faibles.

 

Une autre histoire de la puissance américaine

Éditions du Seuil. 288 pages, 19,30 €