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LOI MACRON

49-3, le retour

23 juin 2015 | Mise à jour le 7 mars 2017
Par | Photo(s) : Aurélien Morissard/AFP
49-3, le retour

Une seconde fois, le gouvernement a choisi le passage en force et l'usage de l'article 49-3 pour faire adopter la loi Macron, actuellement en débat au Sénat. Face à la remise en cause frontale des droits des salariés, la CGT appelle à se mobiliser, dans l'unité la plus large.

La démocratie, un conte des Mille et une Nuits ? C'est sans détour qu'Emmanuel Macron, interrogé par le quotidien Les Échos (le 17 juin) sur l'usage de l'article 49-3, une nouvelle fois, pour faire passer sa loi en dépit des amendements des parlementaires, répond en effet : « Faire une loi que les Français attendent, qui réforme concrètement l'économie, ce n'est pas le travail de Shéhérazade. Je ne suis pas là pour conter les Mille et une Nuits.» Selon le ministre de l'Économie, la démocratie n'est donc qu'un conte oriental.

Il y a neuf ans, alors premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande brocardait pourtant le recours à cet article de la Constitution, évoquant sa «brutalité» et un «déni de démocratie». Il s'agissait alors de la tentative de passage en force du CPE. Il a depuis tenté de justifier sa contradiction en rappelant que le refus du CPE avait mobilisé la rue.
Faute de quoi, quelle importance que de faire usage par deux fois de l'article 49-3 pour faire adopter une loi qui, comme le souligne la CGT, s'avère un acharnement «contre les droits des salariés» ? Car ce qui est en jeu, avec les centaines d'articles alignés par Emmanuel Macron, au nom de la croissance, ce sont bien des réformes structurelles du droit du travail, au bénéfice des directions d'entreprise.

RÉGRESSION MASSIVE

La CGT le rappelle : grâce à la mobilisation, le gouvernement a reculé sur quelques points non négligeables. Mais «la loi demeure la plus régressive du quinquennat», condamne la confédération, qui dénonce «la généralisation du travail du dimanche, le développement du travail de nuit, la diminution des droits des victimes de licenciements économiques, privatisation du transport de voyageurs et des aéroports, la dépénalisation du droit du travail»… comme « autant de demandes du patronat satisfaites sans aucune contrepartie pour les salariés».

LES SALARIÉS DU COMMERCE EN PREMIÈRE LIGNE

Le texte modifie ainsi considérablement, en premier lieu, les conditions de travail des salariés du commerce. Souhaitée par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, une «zone touristique internationale» permettra aux préfets de délimiter des secteurs spécifiques où les magasins pourront rester ouverts jusqu'à minuit ainsi que le dimanche, en échange d'avantages sociaux dont le contenu n'est pas précisé pour les salariés concernés. Ce, avec un avis seulement consultatif des élus locaux. Non seulement le 49-3, même parfaitement constitutionnel, méprise la démocratie, mais en outre les élus locaux se voient déposséder de prérogatives respectueuses d'une démocratie de proximité.
Pour les TPE de moins de onze salariés, il suffira au patron d'organiser un référendum. Autant dire, dans ce secteur ravagé par la précarité, que régnera en maître le chantage à l'emploi. Dans les magasins plus grands, un accord devra être trouvé avec les syndicats représentatifs. Les maires pourront par ailleurs continuer à réduire les congés dominicaux en acceptant cinq dimanches d'ouverture, et sept autres dimanches s'il obtient l'accord du président de l'intercommunalité.

LES PRUD'HOMMES À L'ENCAN

Après le passage de son projet grâce à un premier usage du 49-3, le gouvernement a ajouté en deuxième lecture des amendements qui dégradent encore le droit des salariés, notamment concernant les indemnités qu'un tribunal des prud'hommes peut accorder à un salarié en réparation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour Emmanuel Macron, «il fallait réformer les prud'hommes qui concernent plus du tiers des licenciements individuels». Le «plafond» des indemnités devrait, souhaite-t-il, permettre au patron en faute de «savoir ce qu'est le maximum en termes de réparation, sauf pour les cas les plus graves comme les discriminations ou le harcèlement».
Donc de juger tranquillement ce qu'il lui en coûtera de mépriser la loi et de jouer avec la vie d'un salarié si cela rapporte à ses actionnaires… «C'en est fini du principe de la réparation intégrale du préjudice. Qui peut croire que cette mesure va créer un seul emploi ?», analyse la CGT.
Mais le ministre veut aussi davantage de flexibilité. Comme avec ses accords dits de maintien dans l'emploi le cas échéant allongés. Une façon, encore une fois de «porter atteinte au contrat de travail». Aussi la Confédération alerte-t-elle les salariés: « Avec la loi Rebsamen bientôt examinée au Sénat, la loi Macron dessine les contours d'une autre société, dans laquelle les salariés seront privés de tout recours face à l'arbitraire patronal

VERS LE RENVERSEMENT DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES

Le texte, annonce Emmanuel Macron, devrait être voté avant le 14 juillet, après son passage au Sénat, pour une promulgation en août permettant «l'application immédiate de nombreuses mesures».
Au-delà, le ministre souhaite une refonte du droit social qui réduirait fondamentalement le Code du travail pour accorder plus d'importance aux accords de branche ou d'entreprise. C'est l'inversion de la hiérarchie des normes si chère au patronat, qui souhaite limiter le droit commun pour soumettre les droits des salariés au rapport de force qui leur soit le plus défavorable. Il entend d'ailleurs explicitement qu'à l'automne, une nouvelle conférence sociale – ici probablement nommée par antiphrase – ouvre une «discussion» sur «la place des accords collectifs dans la détermination des règles sociales sur la base des recommandations que nous fera la mission conduite par Jean-Denis Combrexelle».
C'est Pierre Gattaz qui l'affirme. Le recours au 49-3 pour faire adopter le projet de loi Macron, c'est un «bon choix». Pour le patronat.

L'ARME LOURDE

«Quel spectacle offre la France ! Vingt-cinq gouvernements se sont succédé depuis la fin de la guerre.» Appelé à 38 ans à la présidence du Conseil en novembre 1957, Félix Gaillard est le plus jeune chef de gouvernement jamais nommé en France. Et pourtant, le voilà déjà usé par ses fonctions au bout d'à peine trois mois. Il faut dire que nous sommes dans les dernières années de la IVe République, c'est-à-dire dans une instabilité politique intenable.

Les gouvernements valsent à tout-va, ne durant au mieux qu'un ou deux mois. Et c'est donc dans cette tourmente que plusieurs élus pensent à une réforme constitutionnelle pour tenter de stabiliser les choses. Comme le rappelait Robert Lecour, ministre de la Justice du gouvernement Gaillard : «L'idée consistait à organiser les scrutins sur la «question de confiance» de manière à contraindre les députés à se prononcer sans faux-fuyant sur la chute du gouvernement.»

Proposée à l'Assemblée, dès 1953, par un amendement des députés Édouard Moisan et Jean Cayeux, elle fut reprise en 1957 dans une proposition de loi de Paul Coste-Floret, député MRP. Quand le gouvernement Félix Gaillard lance une révision constitutionnelle, le projet du futur 49-3 y figure.
Après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958, la Constitution de la Ve République est promulguée le 4 octobre, sur fond de massacres en Algérie. Elle contient le fameux article prévoyant l'adoption sans vote d'une loi, en cas de non-majorité. Evitant de fait les débats à l'Assemblée. Depuis 1958, les gouvernements ont eu recours à plus de quatre-vingts reprises au 49-3. Une «arme lourde» (selon l'expression de Pompidou à propos des ordonnances), une fois encore dégainée par Manuel Valls.

Amélie Meffre