20 décembre 2016 | Mise à jour le 27 décembre 2016
Signe que la question des migrations est une question centrale aujourd'hui pour nos sociétés, le Collège de France a consacré son colloque de rentrée à la question. Deux jours et demi d'exposés rassemblant toutes les disciplines pour livrer des connaissances et mettre à mal les fantasmes et les manipulations.
Fait exceptionnel, la table ronde d'ouverture rassemblait des acteurs européens prenant en charge la situation des populations déplacées. Ce qui est ressorti de leurs interventions, c'est que nous n'assistons pas à une « crise des migrants » mais plutôt à une crise de l'Europe, une crise morale et politique, créée par un déficit de solidarité sans précédent.
Inerties européennes
Fabienne Lassalle, de SOS Méditerranée, une association civile de sauvetage en mer, est venue rappeler que plus aucun dispositif institutionnel n'était dédié au sauvetage. L'Union européenne n'apporte que des réponses sécuritaires et militaires, les navires de Frontex se tiennent éloignés des zones où ont lieu les naufrages. De même, Dimitris Christopoulos, président de la Fédération internationale des droits de l'homme, a-t-il exposé la situation des migrants en Grèce, quand 50 000 personnes se retrouvent bloquées du fait de la fermeture de la frontière gréco-macédonienne. « L'Europe se trouve dans un état de panique morale vis-à-vis de l'immigration qui n'est pas justifié par la taille du phénomène », a-t-il conclu. En effet, sur les 21,3 millions de réfugiés dans le monde actuellement, l'Europe n'en a accueilli que 1,5 million en 2015.
Revenant sur les origines des conflits en Syrie ou en Irak, les guerres et les régimes qui ont fait fuir les classes moyennes et la jeunesse du fait de virages capitalistes, Peter Harling, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient, mettait en avant les crispations et les inerties européennes : « Nos rapports aux migrants sont d'autant plus anxiogènes qu'ils sont confrontés aux mêmes maux que les nôtres. »
« Le XIXe siècle a été celui des droits de l'homme, le XXe, celui des droits des femmes, le XXIe doit être celui des droits des migrants. » Contre une approche sécuritaire et même humanitaire de l'immigration, Leoluca Orlando, maire de Palerme, plaide pour une approche juridique – la mobilité est un droit humain –, économique et culturelle. Dans sa ville, les migrants sont déclarés citoyens honoraires, et un Conseil de la culture, constitué de 21 membres élus par les migrants, est chargé non pas des problèmes des émigrés mais de ceux de la ville. Et l'édile de batailler pour l'abolition du permis de séjour qui ne fait qu'engraisser les passeurs et les mafiosi qui organisent le travail des migrants. C'est sur ce programme que le maire a remporté haut la main les élections.
Questionner les peurs et accueillir
La table ronde d'ouverture a donc remis les pendules à l'heure de l'hospitalité. Il en a été de même des exposés de chercheurs quant aux mouvements de population dans leur dimension historique, démographique, anthropologique, biologique, psychologique ou juridique. Loin de l'image médiatique d'un déferlement sans précédent mettant en péril la sécurité de l'Europe, ce colloque, dont la plupart des interventions sont visibles sur le site Internet du Collège de France*, a été comme un appel au calme pour questionner les peurs au regard de réalités multiples et complexes.
* www.college-de-france.fr