Juges, ne jugez pas !
À plusieurs reprises ces derniers mois des jugements rendus par des conseils de prud'hommes ont jugé contraire aux engagements internationaux de la France la barémisation des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils ont accordé aux salariés concernés une indemnisation un peu plus en rapport avec le préjudice réellement subi. Et ce, quelle que soit la composition de la juridiction : avec une présidence employeur ou salarié ou parfois un juge départiteur.
« Vl'à t'y pas » qu'excédée par cette vague de fond, la ministre de la Justice vient de se fendre d'une circulaire envoyée à tous les procureurs avec copie aux présidents de Cour d'appel et TGI. C'est son droit. Une circulaire peut toujours donner l'interprétation que fait un ministère de l'application de tel ou tel texte. Mais celle-ci ne s'impose pas aux tribunaux qui demeurent libres de juger comme bon leur semble.
C'est encore plus vrai lorsque la circulaire en cause contient une interprétation contraire à l'intention du législateur ou lorsque qu'elle cherche à influencer les décisions de justice par des arguments erronés. C'est précisément le cas en l'espèce où l'on peut lire des contrevérités dont même un étudiant en droit pourrait s'apercevoir à la fin de sa 1re année.
La ministre a sorti son martinet et ordonne : les juges doivent appliquer le barème sans s'interroger car le Conseil constitutionnel puis le Conseil d'État auraient validé la loi. Circulez y'a rien à voir !
Sauf que non ! D'une part, si le Conseil constitutionnel a bien déclaré conforme à la Constitution le dispositif du barème, il n'a pas compétence pour contrôler sa conformité aux textes internationaux et européens. Mais les juges prud'homaux et les autres peuvent le faire. C'est sans doute ce qui déplaît au gouvernement.
Quant au Conseil d'État, il lui était demandé dans un recours formé par la CGT de suspendre en référé l'application de l'ordonnance en raison d'un doute sérieux sur sa légalité. Le Conseil a seulement estimé qu'il n'y avait pas urgence sans se prononcer sur le fond.
Après avoir enjoint il y a quelques années sous le gouvernement Balladur aux inspecteurs du travail de ne pas inspecter, voilà que notre ministre actuel de la justice conseille aux juges de ne pas juger ou du moins de juger dans un sens favorable aux intérêts du patronat. Pour ce faire, nos juges devraient passer sous les fourches caudines de décisions qui ne s'imposent pas à eux. Bel exemple d'indépendance de la justice pourtant maintes fois affirmée la main sur le cœur par nos gouvernants.
Voilà qui devrait finir de convaincre ceux qui doutaient encore que ce gouvernement confond autorité et autoritarisme.