21 février 2025 | Mise à jour le 21 février 2025
Ce dimanche 23 février, les électeurs allemands se rendent aux urnes pour un scrutin fédéral plus qu'incertain, après l'éclatement de l'alliance entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux dirigée par Olaf Scholz. Le résultat de cette élection sera décisif, dans un contexte de montée de l'extrême droite, incarnée par l'Afd (Alternative für Deutschland), et de crise économique. Dans le secteur industriel, les suppressions de postes se multiplient, entraînant l'inquiétude et la colère des salariés. Reportage.
Sous la neige d'Osnabrück, les travailleurs du matin sortent de l'usine Volkswagen vers 13 heures. Cette semaine, ils sont peu nombreux : le site de Basse-Saxe tourne en effectif réduit, seulement avec ceux qui participent au montage et démontage des lignes de production. Et pour cause, Porsche – marque détenue par le groupe Volkswagen – a annulé sa commande de véhicules électriques. Résultat : il faut changer les machines pour permettre la fabrication des voitures Boxster et Cayman jusqu'à l'automne.
« Nous voulons un concept pour l'après-2027. Nous mettrons en place tout ce qui est nécessaire (…) »Stephan Soldanski, représentant du syndicat IG Metall
Ensuite, le T-Roc Cabriolet sera produit ici, jusqu'en septembre 2027. Après, c'est l'incertitude. « Ça va fermer », assure, convaincu, l'un des 2 300 travailleurs de l'usine. Du côté des syndicats, on refuse cette éventualité. « Nous voulons un concept pour l'après-2027. Nous mettrons en place tout ce qui est nécessaire, le combat continue », assure Stephan Soldanski, représentant à Osnabrück du puissant syndicat IG Metall.Stephan a pu reprendre des forces lors des fêtes après un automne intense : trois usines Volkswagen – dont celle d'Osnabrück – ont été menacées de fermeture. De longues journées de négociation avec la direction ont permis de trouver un accord peu avant Noël : une garantie d'emploi jusqu'en 2030, mais une baisse de production dans certaines usines, le renoncement à des primes et la suppression de 35 000 postes via des départs non remplacés (soit un peu plus de 10 % des effectifs).
Hémorragie sur l'emploi
Volkswagen est loin d'être le seul à connaître la crise. Outre-Rhin, les annonces de suppressions de postes s'enchaînent : l'aciériste ThyssenKrupp, les équipementiers de l'industrie automobile Bosch et Schaeffler, les sous-traitants ZF et Brose… « Actuellement, 10 000 emplois sont supprimés dans l'industrie chaque mois, ce qui pose un problème important dans un pays fortement dépendant de ses usines », résume l'économiste Achim Truger, l'un des cinq « sages » à conseiller le gouvernement. Et si l'industrie automobile se porte particulièrement mal, c'est bien toute l'économie allemande qui est à la peine.
Des exportations en berne
En 2024, pour la deuxième année consécutive, le pays était en récession, après une période de stagnation depuis la pandémie de Covid. Une situation inédite : « Normalement, lorsque la conjoncture mondiale s'améliore, les exportations et, par conséquent, l'industrie allemandes se portent mieux. Ce n'est pas le cas en ce moment », explique Achim Truger. Ce dernier craint que la situation ne se détériore davantage, surtout après les incertitudes provoquées en matière douanière par l'élection de Donald Trump aux États-Unis.
Un modèle économique en crise
Le modèle économique de l'Allemagne, fondé sur l'exportation, semble à bout de souffle : la Chine est devenue une concurrente sérieuse, y compris dans la fabrication de produits haut de gamme pour son propre marché, mais aussi à l'exportation (notamment dans le secteur des voitures électriques). C'est, entre autres, une conséquence de l'explosion du prix de l'électricité après le début de la guerre en Ukraine. « Dans les secteurs gourmands en énergie, les entreprises allemandes ne sont plus concurrentielles », déplore Stephan Soldanski, favorable à l'instauration d'un prix plafonné de l'électricité pour certaines industries, comme celles de l'acier ou de la chimie.
Une ligne politique incertaine
Pour l'heure, le taux de chômage outre-Rhin reste néanmoins faible (6 % au mois de décembre 2024) et les salaires réels ont augmenté au cours des deux dernières années. « Malgré tout, la consommation des ménages ne se rétablit pas en raison de l'incertitude générale », constate l'économiste Achim Truger. Selon lui, l'économie allemande – et avec elle européenne – se trouve à un point de bascule. L'avenir se jouera en partie ce 23 février : des élections fédérales anticipées sont organisées après l'éclatement de l'alliance entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux dirigée par Olaf Scholz depuis trois ans. L'occasion, peut-être, de voir émerger une ligne politique claire.
« Les usines ont besoin de fiabilité et de pouvoir prévoir »Stephan Soldanski, représentant du syndicat IG Metall
« Avec la coalition à trois partis, nous n'avons pas eu de fil directeur nous permettant de dire : “Il y a un plan qui sera encore le même demain et après-demain.” Les usines ont besoin de fiabilité et de pouvoir prévoir », insiste Stephan Soldanski, selon qui l'inconséquence politique a nourri la crise. Il en veut pour exemple les primes à l'achat de véhicules électriques, introduites en 2016 et supprimées brutalement en décembre 2023 pour des raisons budgétaires, déroutant l'industrie automobile.
L'AfD et Musk s'entendent en fait sur un point : le rejet des syndicats…
Résultat, les sondages prévoient la reprise en main du Bundestag par les conservateurs de la CDU/CSU, crédités de 30 % des suffrages. Mais ils auront besoin d'au moins un allié – les sociaux-démocrates du SPD ou les Verts, voire les deux – pour former un gouvernement. Et l'opposition risque d'être retorse, avec l'extrême droite (AfD) qui pourrait arriver en deuxième place, avec 22 % des intentions de vote, selon les derniers sondages.D'autant que l'AfD a obtenu un soutien de taille : celui d'Elon Musk, l'homme le plus riche du monde. Paradoxal, puisque l'AfD s'était opposé de manière virulente à l'implantation de son usine Tesla près de Berlin en 2021. L'AfD et Musk s'entendent en fait sur un point : le rejet des syndicats…Cet article a été publié dans Ensemble n°32, février 2025.