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EXTRÊME DROITE

La fachosphère s’offre une nouvelle jeunesse sur le Web

13 novembre 2025 | Mise à jour le 13 novembre 2025
Par | Photo(s) : bruno mangyoku
La fachosphère s’offre une nouvelle jeunesse sur le Web

L’extrême droite a été pionnière dans l’usage des nouvelles technologies. Et ce, dès l’époque du Minitel.

Entre les discours qui prônent la supériorité de l'homme blanc et les conseils pour satisfaire tous les besoins de son mari, les influenceurs d'extrême droite cartonnent auprès des jeunes. En quelques clics, ils répandent une idéologie sexiste et raciste qui fait le lit du Rassemblement national. Cet article est à retrouver dans La Vie Ouvrière n°15 consacrée à l’internationale d’extrême droite.

En juin 2024, les parents de Théo, tout juste 18 ans, ont failli tomber de leur chaise quand leur fils leur a annoncé, entre la poire et le fromage, qu'il comptait voter pour Jordan Bardella (Rassemblement national, RN) aux élections européennes. Un impensé pour cette famille aux valeurs de gauche. Oui mais, voilà, sur TikTok, Jordan Bardella a l'air sympa. Théo n'est pas le seul à avoir cédé au chant des sirènes du RN. Le 9 juin 2024, le parti de Marine Le Pen est arrivé en tête des élections européennes, avec 31,37 % des suffrages. Loin devant la majorité présidentielle et la gauche. Il faut dire que l'extrême droite a trouvé sur les réseaux sociaux un vivier d'électeurs vulnérables : les jeunes.

Le RN, l'un des premiers partis à avoir un site web

L'extrême droite a été pionnière dans l'usage des nouvelles technologies, retrace Tristan Boursier, politologue à Sciences Po Paris. Et ce, dès l'époque du Minitel. Dans les années 1970, les réseaux néonazis allemands ont pu s'offrir une nouvelle jeunesse sur un Web encore confidentiel, rappelle le chercheur. Le RN a été l'un des premiers partis à se doter d'un site, en France.

Des influenceurs aux discours racistes et misogynes sont apparus sur les réseaux sociaux à l'occasion de la première campagne de Donald Trump, en 2016, largement portés par les suprémacistes blancs américains. En seconde position, la France, où le phénomène a explosé ces cinq dernières années, encouragé par une « porosité » avec l'espace médiatique, ajoute Tristan Boursier. Ces influenceurs jouent « un rôle pivot » entre les groupuscules d'extrême droite radicale et les partis politiques. Ils ne sont pilotés ni par les uns ni par les autres. « La plupart ne se considèrent pas d'extrême droite, précise encore le chercheur. Leur activité est purement économique. » Et dans la société actuelle, l'idéologie d'extrême droite est un fonds de commerce lucratif. Sur YouTube, Le Raptor a presque 700 000 abonnés, dont 60 % ont moins de 25 ans. Il enchaîne les propos racistes et misogynes incitant, par exemple, les jeunes hommes à forcer leurs conjointes à avoir des enfants pour contrebalancer la naissance de ceux issus de parents immigrés. Plutôt que d'argumenter, le trentenaire se contente de brailler dans son micro. Certains, comme Valek, autre poids lourd du réseau avec près de 385 000 abonnés, préfèrent égrener avec délectation des pseudo-concepts scientifiques, parant d'une dangereuse aura de légitimité des pratiques discriminatoires. Le racisme serait ainsi un simple « phénomène empirique du réel », assure le jeune homme.

Ces influenceurs sont partout. Ils recyclent au maximum leurs contenus, qu'ils découpent pour en publier les moments forts sur TikTok, Facebook, Instagram, Spotify, YouTube… Ils se sont même mis aux podcasts, avec des formats (très) longs – d'une à trois heures – réalisés pour être écoutés en faisant son footing ou en voiture. Dans leur sillage, Tristan Boursier note l'émergence d'une « nouvelle idéologie d'extrême droite », sorte de bouillabaisse libertarienne et antidémocratique dont la boussole est celle des vues sur les réseaux sociaux.

Le sexisme ambiant redevient un sujet politique

Malgré les idées rances et le vide intellectuel abyssal des discussions, les internautes trouvent ces influenceurs « lucides ». « J'ai l'impression d'être avec mes amis autour d'une table », s'émeut un certain Justin, follower de Valek. D'autres ne sont pas à une contradiction près. « En tant qu'Arabe et musulman, des fois, je prends des balles, mais c'est trop drôle », témoigne un internaute, tandis qu'une autre foudroie « la pourriture intérieure des féministes ». Pour la deuxième année consécutive, le Haut Conseil à l'égalité a constaté que de plus en plus de jeunes hommes, de 15 à 34 ans, adhèrent aux idées masculinistes selon lesquelles les femmes opprimeraient les hommes. « C'est le reflet du sexisme ambiant, qui redevient un sujet politique, analyse Tristan Boursier. L'avortement, par exemple, fait à nouveau l'objet de contestations. » Et les influenceurs l'ont bien compris. Le politologue note une augmentation des discours masculinistes, y compris chez ceux qui ne l'étaient pas. Et de manière très décomplexée. Sur sa chaîne YouTube des Philogynes (136 000 abonnés), Léo, titulaire d'un master en psychologie du travail, livre ses techniques pour obtenir des femmes qu'elles acceptent de coucher avec lui. « C'est le fruit de onze années d'expérimentation », assure-t-il. Toujours sur YouTube, Alex Hitchens explique à ses 395 000 abonnés comment « dominer » une femme et faire en sorte qu'elle reste à la maison. Il faisait partie des influenceurs jugés problématiques et auditionnés par la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok. Dans son rapport, celle-ci note « une romantisation des contenus misogynes et extrémistes, notamment masculinistes […] particulièrement efficace auprès des jeunes garçons ».

D'après Tristan Boursier, les réseaux sociaux auraient joué un rôle non négligeable dans les trois attentats masculinistes déjoués ces deux dernières années en France, où « le phénomène est peu pris au sérieux », regrette-t-il. Le danger est pourtant bien réel, comme en témoigne l'attentat antiféministe de l'École polytechnique de Montréal, au Canada. Le 6 décembre 1989, un jeune homme de 25 ans, Marc Lépine, y a assassiné quatorze étudiantes avant de se tirer une balle dans la tête. Sur lui, une lettre-manifeste dans laquelle il étalait sa haine des féministes.

Les femmes entre quatre murs

Pour les jeunes femmes aussi, l'extrême droite a un plan de carrière. Entre quatre murs. Dans son livre Les Vigilantes, la journaliste Léane Alestra s'est intéressée aux figures féminines de l'extrême droite, en plein « renouveau » depuis le mariage pour tous. Certaines, qu'elle nomme « les mères de la Nation », y ont gagné une légitimité liée à leur héritage de sang (Marine Le Pen) ou spirituel (Giorgia Meloni). Une génération de militantes plus jeunes est apparue, dont certaines se sont même emparées du combat féministe. Depuis 2019, les jeunes femmes du collectif identitaire Némésis, qui se dit ouvertement « féministe », militent contre le harcèlement sexuel… de la part des étrangers uniquement. « Il faut avoir peur de dehors et donc rester à l'intérieur, sur l'écran, analyse Léane Alestra. Alors que ce sont chez elles que les femmes sont le plus en danger ! » C'est même le ministère de l'Intérieur qui le rapporte : l'année dernière, plus de la moitié des violences physiques ont été commises dans le cadre intra-familial. à la maison, les trois quarts des victimes sont des femmes.

Un environnement propice aux tradwives [mouvement prônant le retour des femmes au foyer, NDLR]. Rester à la maison, ces femmes en ont fait leur credo depuis les années 1960, lorsque l'Américaine Helen Andelin a remis au goût du jour des fascicules anonymes de 1922 qui encensent la maîtresse de maison. Aujourd'hui, elles sont organisées politiquement et ont porté la campagne de Donald Trump. Certaines, de véritables autoentrepreneures, gagnent beaucoup d'argent grâce aux contenus qu'elles publient sur les réseaux sociaux.

En France, les tradwives restent « un microphénomène », largement construit par les médias pendant le confinement, nuance Léane Alestra. Les femmes concernées mettent en avant le choix d'une slowlife (vie lente, tranquille) où elles peuvent se consacrer à l'éducation de leurs enfants et à leur foyer dans un environnement sain – comprendre isolé en pleine nature – et quasi en autarcie. Leurs contenus paraissent inoffensifs : recettes bio, astuces déco et de récupération, tutos beauté à base de produits naturels… Erreur. Elles véhiculent « une féminité hétérosexuelle, blanche, très docile », résume Léane Alestra. Et réactionnaire. A 37 ans, Laurette est une tradwife française suivie par 20 000 personnes sur Instagram. Elle travaillait dans le secteur de la petite enfance jusqu'à ce qu'elle accouche de son premier enfant. Depuis, elle assume à visage découvert son nouveau rôle de maîtresse de maison, qui implique une disponibilité sexuelle de chaque instant pour monsieur. « Je me soumets et je sers mon mari », abonde Sara Winford, 6 000 abonnés. Janel, 28 ans, prône, elle, « le retour à la nature ». Après avoir rencontré son mari, elle a décidé de s'installer avec lui dans une maison isolée à la campagne pour y faire des enfants. Entre deux recettes bio antigaspi, elle glisse à ses 25 000 followers être complotiste et antivax. A 19 ans, Louisette (5 000 abonnés) fait du prosélytisme et milite contre l'IVG. Elle dit recevoir chaque jour « une dizaine de messages de jeunes filles chrétiennes » qui lui témoignent leur soutien.

Heureusement pour eux, les parents de Théo ignorent tout ça. L'histoire ne dit pas quel bulletin leur fils a finalement glissé dans l'urne. Ils espèrent de tout cœur qu'en 2027, pour l'élection -présidentielle, ce ne sera pas celui du RN…