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Le travail invisible des salariés des « drives »

17 mai 2015 | Mise à jour le 9 mars 2017
Par | Photo(s) : AFP/Denis Chalet
Le travail invisible des salariés des « drives »

Faire des dizaines de kilomètres dans les rayons des entrepôts, répondre à la moindre sonnerie, courir, galoper, ne pas discuter… Voilà le quotidien des salariés des drives de la grande distribution. Témoignages des délégués syndicaux de différentes enseignes.

Franck Gaullin,

Délégué syndical central CGT Carrefour et délégué syndical CGT Carrefour Port-de-Bouc (13)

« A Carrefour Port-de-Bouc, un drive a été ouvert. Ce sont les copains de travail qui se le tapent en plus de leur charge de travail habituelle. Ce n'est pas anodin car ça a été fait à embauche constante. Les organisations du travail et les cadences de travail sont perturbées et ça aboutit à ce que le patronat recherche : la productivité à tout va. »

« Le système de notre drive est le suivant : les commandes sont passées par les clients sur Internet, croyant commander chez Carrefour Port-de-Bouc. En fait leurs commandes arrivent au drive autonome de Carrefour Vitrolles où elles sont préparées.

Donc, l'entrepôt de Vitrolles nous livre deux fois par jour en camion réfrigéré. Le travail du copain, à Port-de-Bouc, c'est de réceptionner la marchandise, de la contrôler. Si par exemple il fait le rayon auto, on le bipe sur son téléphone, et hop !

Il s'arrête au rayon auto, il cavale derrière le magasin, il contrôle la réception de marchandise, il la met dans une chambre froide ou dans le sec et il retourne au rayon auto. Après il y a des heures de ramassage pour les clients.

À l'extérieur il y a une sonnette et dès que le client sonne, le téléphone du copain sonne et il est à nouveau obligé de cavaler. »

« Avec les salariés des drives qui ne dépendent pas d'un magasin, il n'y a pas de contact, ils ont des instances indépendantes car ce sont des entrepôts autonomes. Ils ne sont même pas rattachés à notre accord d'entreprise. »

 

Thierry Sartre,

délégué syndical CGT Leclerc Bourg-lès-Valence (26) :

« On dirait que, malheureusement, il y a une attente de la part d'une certaine clientèle pour aller vers les drives. »

« Il y a différentes stratégies quant aux drives ». Leclerc a poussé le processus au maximum : dans certaines enseignes ils font juste du « picking », c’est-à-dire qu'ils se servent sur le magasin… Mais ce qui rapporte le plus c'est l'orientation prise par Leclerc.

La marchandise est déjà sur place, c'est un entrepôt. Chez nous c'est tout de même un secteur du magasin mais le drive est pratiquement autonome. Pour beaucoup d'autres drives Leclerc, ils poussent le vice plus loin : le drive ne fait pas parti du magasin. »

« Automatiquement ce qu'il se passe dans le drive a une incidence sur ce qu'il se passe dans l'hyper. Moi je suis dans l'hypermarché depuis 30 ans mais je vois bien que nous sommes en train de revenir des années en arrière au niveau des conditions de travail. On essaie de mettre en place dans le magasin ce qui existe dans le drive. Cela se fait petit à petit mais je vois bien la différence. Plein de choses se mettent en place qui sont dans l'état d'esprit des drives. »

« Le drive chez nous a à peu près les mêmes dimensions que l'hypermarché. À l'hypermarché, nous sommes 300 salariés, au drive ils sont une vingtaine. Avec ces entrepôts les patrons ont véritablement trouvé le filon. »

« En tant que délégué syndical CGT j'ai déjà beaucoup de problématiques liées aux conditions de travail qui posent problème à l'hypermarché. Mais, sur ces questions, je pense que le drive se situe encore un niveau au dessus.

Les conditions de travail y sont très compliquées : les personnes ont un rythme de travail élevé, elles marchent au moins une dizaine de kilomètres par jour, la manutention est importante et les marchandises sont souvent en hauteur. À cela s'ajoute les courbes de cadences qui sont établies avec un logiciel pour les faire monter en puissance. Ces aspects me paraissent assez fous. »

« Dans les drives il y a beaucoup de jeunes et ils sont plus facilement malléables. Ils sont conditionnés par la hiérarchie et la direction du Leclerc. »

« En tant que délégué syndical à l'hypermarché je peux rentrer au drive via des heures de délégation. Mais c'est impossible de discuter avec les salariés. Ou alors il faut le faire en marchant avec eux dans l'entrepôt… Tu vois l'image ! »

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Pour info

DANS LES DRIVES, le modèle dominant est le « drive-entrepôt » qui fonctionne avec son propre stock sur un site dédié. C'est la stratégie de Leclerc et de ses deux challengers Auchan drive et Chronodrive (galaxie Mulliez). L'autre option, moins rentable, est le « picking magasin » : des salariés font les courses dans les rayons à la place du consommateur (Courses U.com, Le drive Intermarché. Carrefour mixe les deux systèmes.  

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Mais encore…

 

LE DRIVE, « UNE BOMBE SOCIAL A RETARDEMENT »

 

Olivier Dauvers –  est expert en grande consommation aux ressources humaines des drives de la grande distribution alimentaire.
« Les exemples ne manquent pas pour illustrer la difficulté physique du drive (…) Il y aussi les confidences sur les pertes de poids des salariés : moins dix ou moins quinze kilos, ce n'est pas si rare ! (…)

Selon les zones, les médecins du travail sont encore très différemment sensibilisés. Mais le sujet viendra forcément. Et s'il ne venait pas de manière préventive (par la médecine du travail ou les syndicats), nul doute qu'il arrivera par les médias. Imaginez l'article suivant : « Préparateur drive : les nouveaux forçats du commerce ». Dévastateur… »

« Quelle solution ? (…) Éviter l'accumulation des kilomètres. Cela peut se faire en favorisant le temps partiel ou les contrats étudiants qui, par principe, se renouvellent fréquemment.
Pour résumer : un drive qui serait opéré par une équipe en CDI et à temps complet serait alors une bombe sociale à retardement. »