Sans-papiers, danger assuré
C'est hier, le 14 septembre, que se tenait un bien curieux procès en référé au TGI de Paris (verdict le 20 septembre). Sur le banc des accusés, deux travailleurs sans papiers maliens du chantier Breteuil-Ségur (Paris, VIIe).
À les assigner en justice, le maître d'ouvrage du chantier Covea, qui n'est rien d'autre qu'un groupement de trois assureurs mutualistes de premier plan, GMF, MAAF et MMA, lequel demande l'expulsion de ces deux employés grévistes de l'immeuble dont il est propriétaire.
« Une assignation incompréhensible et contradictoire : d'une part, parce qu'elle cible l'évacuation de seulement deux des 25 grévistes occupant le chantier ; d'autre part, parce que Covea assure n'avoir aucun lien avec ces salariés, employés par un sous-traitant, MT-BAT-Immeubles pour le compte du donneur d'ordre du chantier, la société Capron », analyse Marilyne Poulain, responsable de ce dossier à la CGT de Paris.
Covea tenterait-elle de se défausser de sa responsabilité sociale ? « Car c'est bien au maître d'ouvrage qu'incombe la responsabilité du plan de prévention des risques sécurité, ainsi que celle de s'assurer du respect de ces règles par les sociétés qu'il embauche », poursuit Marilyne Poulain.
Idem s'agissant du donneur d'ordre, la société Capron, à qui incombe la responsabilité de s'assurer que son sous-traitant ne recourt pas au travail dissimulé.
TROIS ACCIDENTS EN QUELQUES JOURS
Petit rappel des faits. Avec leurs 23 autres collègues grévistes, ces deux employés assignés en justice occupaient bien le site du chantier d'avenue de Breteuil depuis la survenue, le 6 septembre, d'un grave accident du travail de l'un d'entre eux : la chute d'un échafaudage insuffisamment sécurisé. C'est le troisième accident du travail, sur une période de quelques jours.
Mais, ce qui a mis le feu aux poudres et provoqué l'entrée en lutte solidaire de tous les employés tient surtout à l'attitude inqualifiable de l'employeur, MT-BAT Immeubles, qui a refusé d'appeler les secours, « très certainement en raison du fait que ces travailleurs sont sans papiers, mais aussi sans fiche de paie ou, pour certains d'entre eux, avec fiches de paie aléatoires et intitulées à un alias », présume Marilyne Poulain. Comble du cynisme, l'employeur a demandé aux 25 sans-papiers de ne plus « remettre les pieds sur le chantier suite à l'accident du 6 septembre ».
Outrés par l'attitude de leur employeur exploiteur, les 25 décident donc d'appeler eux-mêmes les secours, puis d'entrer en lutte dès le lendemain en occupant la cour de l'immeuble nuit et jour jusqu'à l'obtention de toutes leurs revendications : des contrats de travail en bonne et due forme, des fiches de paie rétroactives et une régularisation de leur situation, dossiers soutenus et portés par la CGT avec le concours de l'Inspection du travail qui a sur le champ lancé une enquête.
EXPLOITATION INHUMAINE
Sur la banderole estampillée CGT accroché à la grille de cet immeuble cossu, les mots d'ordre contrastent violemment avec l'allure chic de ce quartier situé aux pieds de la Tour Eiffel : « Traite des êtres humains, travail dissimulé, exploitation, ça suffit ! »
« Nous sommes clairement face à un système d'organisation de l'exploitation humaine, avec travail dissimulé, fraude à la fiscalité salariale, sans compter les risques santé majeurs inhérents à ce chantier, comme la présence d'amiante que les travailleurs auraient eu à manipuler sans en avoir été informés et sans les protections adéquates », dénonce Marilyne Poulain.
Un système d'autant plus scandaleux qu'il s'organise sous le patronage de trois assureurs mutualistes, vantant de pub en pub leur « fibre sociale ». Quelle que soit l'issue de cet épineux dossier, leur image de marque risque de s'en trouver écornée.