Casse de l’emploi : une situation alarmante
Alors que le Salon mondial de l’automobile a ouvert ses portes lundi dernier au parc des exposition de la porte de Versailles, à Paris ; c’est plus de 500 personnes qui, à... Lire la suite
L'actualité est marquée par la fusion PSA-FCA (Peugeot-Fiat Chrysler Automobiles), les restructurations chez Renault et la sous-traitance. Table ronde sur les propositions et le rôle du syndicalisme européen face aux évolutions d'une filière industrielle menacée.
Matteo Gaddi : Je dois d'abord souligner la catastrophe qui a frappé la production automobile en Italie depuis vingt ans. En 1999, l'Italie produisait 1,4 million d'automobiles. Ce chiffre est tombé à un demi-million en 2019. Cette chute dramatique a entraîné des fermetures d'usines, des réductions d'emplois directs et indirects et beaucoup d'heures de chômage technique.
Le deuxième problème, c'est que cet effondrement de la production menace aussi la sous-traitance. Il reste environ 2 000 entreprises de fabrication de composants, et la plupart sont des TPE et non plus des PME. Une grande partie de la production de composants a été délocalisée suite à la baisse de la production des constructeurs et cela risque de s'accentuer.
Troisième problème : la fusion PSA-Fiat. Avant de finaliser cette fusion, Fiat et PSA avaient déjà établi une coopération pour la production d'automobiles relevant du segment B (petites voitures). Or, ces voitures sont construites dans les usines polonaises de Tichy et on parle de 400 000 véhicules produits dans des pays à bas salaire.
Quatrième problématique : l'utilisation de la plateforme CMP (ou « common modular platform », mode de production particulier sur plateforme) de PSA lui permet de décider de tous les composants des autos de segment B. Or, Fiat a déjà demandé à ses fournisseurs de suspendre le développement de produits destinés au segment B. Je suis donc très inquiet pour l'avenir, mais j'espère que Stellantis (le groupe multinational résultant du mariage entre PSA et Fiat-Chrysler-Automobiles, FCA) offrira une possibilité, une chance pour l'industrie automobile italienne.
Je formule donc cette proposition : nous, syndicats italiens et français ainsi que la classe ouvrière de tous les pays, avons besoin d'un projet industriel qui définisse des objectifs de production pour toutes les usines du groupe, en France, en Italie, en Allemagne, en Pologne, etc. Et ce, afin de garantir le plein-emploi et d'éviter les doublons avec PSA.
Fiat ne doit pas se focaliser sur le segment de l'auto de luxe comme Maserati ou Alpha Romeo. Mais elle devrait se concentrer sur les segments des voitures à bas prix. Il y a donc besoin de nouveaux modèles, de sorte que la fusion avec PSA soit une intégration et non un « chevauchement. » Cette fusion va nécessairement engendrer une réorganisation générale de toute la production automobile.
Mais il reste à définir les objectifs de production de chaque site, en fonction du modèle d'auto, du niveau de production et du niveau d'emploi pour chaque usine dans chaque pays. D'où la nécessité d'élaborer un plan industriel du groupe, défini avec la participation des syndicats et des salariés.
Denis Bréant : Oui, il y a de grandes similitudes entre la France et l'Italie. Je suis d'accord avec Matteo pour dire que la crise de l'auto ne date pas d'aujourd'hui, mais qu'elle est organisée et ce, depuis des années. Aujourd'hui, pour beaucoup de fermetures d'entreprises, les employeurs mettent en avant la crise sanitaire, mais cette crise ne fait qu'accélérer des décisions déjà prises auparavant.
Parallèlement, nous assistons à de nombreuses attaques contre des entreprises de la filière automobile, les fonderies notamment, mais pas seulement. Je rejoins Matteo pour pointer un problème d'équilibrage des volumes de production. On a en France des usines chargées à 70 %, alors que dans les pays dits « low cost », elles sont chargées à 110 % en production avec des normes environnementales et des conditions de travail dégradées pour les salariés.
Cette mise en concurrence des salariés est organisée principalement depuis les années 1990. De l'argent public a été donné aux entreprises, mais sans contreparties pour l'emploi. En France, actuellement, les voitures les plus vendues sont la 208 et la Clio. On parle de relocalisations des productions et de circuits courts, mais ces deux modèles ne sont pas produits en France.
La Clio est produite en grande partie en Turquie sur un site alimenté au charbon. Ce sont ces paramètres qu'il faudrait remettre à plat avant de tenir de beaux discours qui sont rarement suivis d'effets. Avec son plan de relance de l'auto de huit milliards et le prêt consenti à Renault, Emmanuel Macron expliquait qu'il y aurait des relocalisations. Mais elles n'ont jamais été actées à l'écrit, si bien que quelques semaines après ces communications, Renault annonçait des fermetures de sites.
Bref, depuis des années, on assiste à des plans de relance, des accords etc., mais rien ne change jamais pour les salariés et la politique de rentabilité immédiate au profit de l'actionnariat perdure. C'est le problème de fond auquel on se heurte depuis des années. Après, on peut toujours parler de technologies nouvelles, du véhicule électrique, de l'usine 4.0, etc., mais il faut réaliser qu'on a voulu nous faire croire pendant des années que si on était très performants sur ce type de schéma industriel, on pourrait conserver des emplois.
Mais dans des usines comme PSA Poissy, il y a eu très peu d'investissements. Il est plus facile pour des constructeurs d'installer une usine flambant neuf dans un pays « low cost » qu'on active d'emblée en 4,0. On aura beau évoluer en technologie et en automatisation maximale dans nos usines, cela ne nous garantit en rien que nous préserverons des volumes de production sur le territoire français.
S'il n'y a pas une prise de conscience et une réelle volonté d'allier les aspects sociétaux, environnementaux et les conditions de travail des salariés, l'existence même de la filière auto est menacée. Nous ne demandons pas que 100 % de la production revienne sur le territoire national mais, pour commencer, il faudrait que les voitures vendues en France soient produites en France. Et il faut un débat public sur l'usage des fonds publics et une stratégie de long terme sur l'industrie.
Michaël Imhoff : Il y a vingt ans, Peugeot et Citroën faisaient chacun leurs voitures. Jusqu'en 2008, l'objectif de PSA était de produire 4 millions de voitures par an. Mais ces objectifs n'ont jamais été atteints. PSA a commencé à fermer des usines, dont celle d'Aulnay en 2010. Puis, est arrivé Tavares qui a appliqué chez PSA 100 % de ce qu'il faisait chez Renault, à savoir fabriquer des usines clés en main dans les pays à bas coûts pour y délocaliser une grosse partie de la production. Par exemple, mon usine de Trémery (Moselle) était la seule à produire des moteurs pour le groupe et, aujourd'hui, c'est fabriqué au Maroc.
Du coup, nous baissons en production et on perd des dizaines de milliers d'emplois en France. J'ai souvenir qu'il y a trois ans, on nous disait que la Chine, c'était l'avenir. On y a investi, mais malgré un marché porteur, on a produit moins de 50 000 véhicules en 2020. C'est donc un échec. Reste donc l'Europe. Mais c'est dans les pays à bas coûts salariaux qu'on fabrique les petits véhicules pas chers tandis qu'en France, on produit de grosses berlines. Or, on se demande bien qui pourra acheter ces véhicules avec les baisses de pouvoir d'achat et la stagnation des salaires. On a déjà cessé de produire certaines berlines et gros véhicules.
Ensuite, on nous a annoncé qu'à l'horizon 2025, la France ne produirait plus de moteurs thermiques pour nous concentrer sur l'électrique. Très bien, sauf que pour un volume d'un million de voitures, cela nécessite seulement 400 personnes, soit beaucoup moins que pour un million de moteurs thermiques. Sans compter la chaîne de la sous-traitance qui risque de disparaître puisqu'il y a beaucoup moins de composants à fabriquer sur un moteur électrique.
Or, je viens de voir dans la presse que la Chine commence à produire des véhicules électriques à destination de l'Europe et, dès lors, on peut s'interroger sur l'avenir du groupe Stellantis. Précédemment PSA a absorbé Opel. En un an, on est arrivés à l'équilibre, mais au prix de 500 suppressions d'emplois dits « doublons ». On peut s'attendre au même phénomène avec Stellantis : des mutualisations avec des sites chargés à 140 % et d'autres qui vont disparaître.
Fabien Gâche : Oui, nous avons travaillé avec des ingénieurs et techniciens à partir des technologies existantes : l'hybride, le thermique, l'électrique. D'abord, il faut resituer les enjeux dans leur contexte : l'électrique n'est pas la solution aux problèmes environnementaux, mais une solution de mobilité pour les petits parcours avec des petites voitures légères et des petites batteries. En France, 80 % des trajets sont de moins de 30 km, ce qui veut dire que le petit véhicule électrique – à condition qu'il soit populaire – peut être une réponse mais à un type de mobilité.
Deuxième chose : l'hybridation et, là aussi, il y a diverses technologies, et ça signifie de l'électrique et du thermique, puisqu'on parle de moteurs hybrides. Or, Renault ne produit aucun modèle hybride en France.
Troisième point : y a-t-il encore un avenir en France pour le thermique et le diesel ? La réponse est oui. Aujourd'hui, en tout cas pour l'utilitaire, il n'y a pas de technologie alternative qui réponde aux besoins. Il n'y a donc pas une seule solution, mais un mix de solutions. Or, les choix des constructeurs en termes de gammes de véhicules ne répondent pas à des problématiques de mobilité ou environnementales mais à des exigences de marge.
C'est tout le paradigme de l'industrie automobile qu'il faut changer. C'est-à-dire que les choix des gammes, des activités et de leur implantation doivent d'abord répondre aux enjeux sociaux et environnementaux. Cela implique concrètement de fabriquer au plus près de là où on vend les voitures. Voilà le projet que porte la CGT Renault et qui est susceptible d'être mis en discussion avec les salariés et les populations.
Cela pose la question politique du rôle de l'État et de l'entreprise. Est-ce qu'une entreprise du xxie siècle a pour seule vocation de réaliser des bénéfices ou doit-elle à répondre à des besoins ? Le syndicalisme a une responsabilité importante dans ce débat, parce qu'il ne peut pas se réduire à la simple dénonciation des politiques néolibérales.
Matteo Gaddi : Je partage totalement la position de Fabien Gâche, s'agissant de l'existence des différentes technologies pour la voiture. Hélas, la Commission de l'Union européenne n'a retenu qu'une seule technologie : le tout électrique, alors qu'il existe aussi l'hybride qui associe les composants du thermique et de l'électrique, ce qui induirait plus de production et donc, plus d'emplois.
De plus, en misant sur l'hybride, nous pourrions remplir à la fois les objectifs écologiques et les objectifs sociaux. Cela suppose que les syndicats se dotent d'un projet international, en particulier aujourd'hui pour affronter ce géant Stellantis qui vient d'être créé. Car si chaque syndicat pense pouvoir négocier seul dans son pays, ce sera l'échec des revendications des travailleurs de chaque pays. Stellantis aura des usines en France, en Italie, en Espagne, en Pologne, en Allemagne, etc.
Du côté du monde du travail, il faudrait avant tout coordonner l'action des différents syndicats nationaux afin de porter une vision et un projet communs. Je voudrais aussi souligner le rôle que pourrait jouer la Confédération européenne des syndicats (CES) qui, je le regrette, est trop attentiste, alors que nous avons en face une stratégie internationale du capital et que nous n'avons pas une stratégie internationale de la classe ouvrière à lui opposer.
Pour terminer, je tiens à souligner un deuxième aspect problématique : en Italie, nous n'avons pas de lois garantissant un minimum de participation démocratique pour les syndicats aux orientations de l'entreprise et c'est là une bataille à mener.
Fabien Gâche : Nous partageons le constat de Matteo et l'idée de travailler à un projet syndical commun. Mais il faut dire les choses comme elles sont. Chez Renault, le travail intersyndical est impossible sur ce type de projet. On le sait pour avoir sollicité sans succès les trois autres organisations syndicales, lesquelles apparaissent comme inféodées à la stratégie définie par la direction de Renault qu'elles considèrent comme inévitable.
Au niveau européen, nous n'avons toujours pas réussi à aborder ne seraitce qu'une question de fond sur nos analyses respectives, pays par pays et sur ce qu'on serait capables de porter ensemble. Ceci dit, je pense que le contexte actuel devrait permettre davantage de provoquer enfin ces débats de fond dont nous avons besoin.
Denis Bréant : Les organisations syndicales de site réfléchissent à leur échelle parce qu'elles n'ont pas de vision globale de la filière industrielle. Or les constructeurs ont déstructuré leurs entreprises afin d'externaliser des pans entiers de métiers. Cela a donné naissance au marché des équipementiers et, dans cette configuration, le constructeur a quasiment droit de vie ou de mort sur la sous-traitance.
C'est lui qui décide du choix du prestataire et de son lieu d'implantation. En conclusion, tant que nous n'aurons pas une réflexion d'ensemble de la filière auto en Europe et dans le monde, on aura bien du mal à réaliser des actions communes ou des convergences. Dans chaque pays, le donneur d'ordre continuera de jouer la carte du chantage au coût du travail entre pays, et c'est à ce mécanisme-là qu'il faut s'attaquer. Pour terminer sur la fusion, trois éléments importants sont à retenir. D'abord, elle permet à PSA de pénétrer des marchés où il était absent (l'Amérique du Nord).
Ensuite, le siège du groupe est au Pays-Bas par opportunisme fiscal. Enfin, les organisations de PSA et de Fiat ne sont pas les mêmes, et si jamais PSA devait calquer son modèle, ça risquerait d'être très compliqué pour les salariés de Fiat.
Matteo Gaddi : Le siège de Fiat est aux PaysBas depuis plusieurs années, en effet, pour des raisons fiscales. Je veux souligner l'importance de sortir du cadre marqué par le nationalisme, sinon, Stellantis va pouvoir poursuivre sa stratégie de mise en concurrence et de dumping social entre salariés de tous pays.
Michaël Imhoff : Tavares, qui était le no 2 de Renaut, n'a-t-il pas toujours rêvé de remplacer Ghosn ? On voit qu'il arrive chez PSA en appliquant à 99 % ce que Ghosn a mis en place chez Renault. Il y a deux ans, la fusion Renault-Fiat a capoté, et on voit qu'elle a réussi avec PSA alors que ça paraissait improbable. Dans l'alliance Renault et Nissan, ça se complique et on se demande si Nissan ne va pas se délester de Renault. Et je ne serais pas surpris qu'à l'avenir, Renault entre dans la boucle Stellantis avec PSA et Fiat. Ce qui, pour Tavares, serait une sorte de revanche contre Ghosn.
Alors que le Salon mondial de l’automobile a ouvert ses portes lundi dernier au parc des exposition de la porte de Versailles, à Paris ; c’est plus de 500 personnes qui, à... Lire la suite
Le sous-traitant, dernière entreprise de la filière automobile de Seine-Saint-Denis (93), est occupé depuis cinq mois. Une moitié du personnel refuse le plan de sauvegarde de... Lire la suite