
Mouvements sociaux : les femmes en première ligne
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Raphaëlle Manière, membre de la Commission Femmes mixité et pilote de la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles de la CGT
En 2016, la CGT était la première organisation syndicale à se doter d'une cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles en charge de recueillir la parole des victimes. Membre de la Commission Femmes mixité et pilote de la cellule, Raphaëlle Manière revient à l'occasion de la manifestation du 22 novembre contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) sur le fonctionnement de ce dispositif qui vise à promouvoir des espaces militants où le sexisme n'a pas sa place, afin que les femmes puissent prendre toute leur place dans la CGT.
La cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles existe depuis presque dix ans. Dans quel contexte la CGT a-t-elle mis en place ce dispositif inédit ?
La cellule a été créée en novembre 2016 par la direction confédérale sur proposition du collectif femme mixité, un an avant l'affaire Weinstein. La CGT décide alors de se doter d'un outil pour lutter contre des violences qui peuvent exister en son sein. Elle est le premier syndicat à le faire. L'idée étant de créer un espace dédié aux victimes afin qu’elles puissent être entendues. La cellule se positionne aussi comme un relais auprès des directions syndicales pour leur faire comprendre la problématique dans laquelle se trouvent ces femmes. Ces dernières connaissent la double peine au sein de la CGT, comme au travail : non seulement elles subissent des violences sexistes et sexuelles mais elles se retrouvent en retrait de leur activité syndicale, contraintes parfois de démissionner pour se protéger. Ce qui pose la question de la place des femmes dans notre organisation. Les victimes qui nous saisissent ont besoin d'aide pour faire le récit de ce qu'elles vivent ou pour garder leur place au sein de la CGT. Aujourd'hui, quatre-vingt dossiers ont été constitués, ce qui nous donne une expertise sur le plan syndical. En presque dix ans, la CGT n'a eu de cesse d'améliorer ce dispositif.
Quels types d'agissements remontent jusqu'à vous ?
Toutes les violences sont observées, aussi bien sexistes que sexuelles, beaucoup de harcèlement. Par exemple, des militants prennent des photos au téléphone portable sous les jupes des femmes. Cette pratique -upskirting- constitue un délit. Ces photos peuvent se retrouver sur une boucle WhatsApp sans que la militante soit au courant et ça peut durer des mois. Autre exemple : des conseillers du salarié vont profiter de la vulnérabilité des femmes qu'ils sont censés accompagner pour être très tactile, faire venir la victime quand il n’y a personne à l'UL. Des systèmes de domination peuvent se mettre en place avec d'abord une mise en confiance, puis des messages, des textos. Dans ce cas il y a une instrumentalisation du temps syndical. Face à ce type de situation, il n'y a que la CGT qui peut intervenir. C'est aux collectifs de direction de prendre des décisions politiques pour remettre les relations militantes à l'endroit.
Il y a presque dix ans, les victimes étaient encore mal prises en considération…
Chaque organisation réglait, ou ne réglait pas, les situations de violences sexistes et sexuelles. Avec la mise en place de la cellule, on a une plus grande visibilité de ce qui se passe et de la façon dont sont réglées les situations. Ce n'est pas parfait puisqu'on observe encore une gestion variable des VSS. Lors de son 52ème Congrès à Dijon en 2019, la CGT a décidé de travailler un cadre commun d’action (CCA), validé par son CCN en février 2023, puis renouvelé en novembre 2025. L'objectif étant d'adopter un protocole de signalement commun pour aider à faire vivre nos valeurs d'égalité. En outre, dès mai 2022, la direction confédérale a créé un fonds d’aide aux victimes pour les aider sur le plan psychologique ou juridique selon les besoins et si les organisations ne le font pas.
A quoi sert ce cadre commun d'action ?
Il engage toutes les organisations, du syndicat d'entreprise à la fédération, en passant par l’UD et la confédération, à mettre en place un protocole en cas de signalement de violences sexistes et sexuelles. Ce nouveau cadre, détaillé et à visée pédagogique, est plus pragmatique, plus clair. Il est l'aboutissement de deux ans d'expérimentations qui ont fait l'objet d'une évaluation par la Confédération. Désormais, une commission accompagnera les victimes (commission d'accompagnement des victimes-CAV), tandis qu'une autre va entendre le mis en cause et rendre un avis politique (commission ad hoc-CAH) pour les Commissions Exécutives décisionnaires. Ce qui est enthousiasmant, c’est qu'avec ce CCA, la résolution des VSS devrait ne plus être à géométrie variable : il y a une obligation de mettre en place une culture de la protection pour les victimes, les militant.es, pour éradiquer les violences, qu’elles soient visibles ou invisibles. Car le sexisme, il faut parfois le débusquer.
N'est pas difficile, pour des militants, de voir dans leurs camarades des agresseurs ?
Oui bien sûr. Il faut sortir de la camaraderie car c’est vraiment un frein. Les camarades, bien souvent, ont cette vision de l’agresseur sexuel comme d'un monstre. Sauf qu’il est tout sauf un monstre. Il peut être un bon dirigeant, un super élu au CSE. Parfois, il est même très mobilisé dans les collectifs femmes mixité. Il faut vraiment déconstruire cette idée et prendre les récits des victimes en les politisant. On n’est pas dans du conflit, on est dans de la violence où se jouent une relation déséquilibrée et un rapport de domination. En repolitisant ce qui s'est passé, en prenant de la hauteur sur les récits et en repartant des faits, on analyse les mécanismes et on qualifie la nature des violences. Est-ce une ambiance sexiste ? Du harcèlement moral à caractère sexiste ? Des agissements ? Du harcèlement sexuel ? Des agressions sexuelles ? Cela permet au collectif de direction de prendre les bonnes décisions politiques et de faire vivre nos valeurs d'égalité. Lutter contre les VSS, c'est une bataille politique.
La CGT et sa cellule de veille ont fait face à plusieurs procès intentés par des mis en cause pour diffamation. Dans le dernier en date, qui a été finalement abandonné en octobre, Philippe Martinez, était lui-même poursuivi en tant qu'ancien dirigeant.
Ce sont des procédures baillons, des tentatives de déstabilisation par la voie judiciaire. Dans ce cas, c'est un soulagement de voir le plaignant se désister après cinq ans de procédures, et en même temps cela suscite beaucoup de colère. C'est une honte de se retrouver au tribunal alors qu'il est question de lutte contre les VSS en interne. Cela envoie un mauvais signal aux victimes à qui on dit : taisez-vous.
Au même titre que la lutte contre le racisme a été intégré par les militants, il est essentiel de comprendre que le sexisme n’est pas compatible avec les valeurs du syndicat ?
C’est indispensable car la gravité du sexisme est minorée. Quand il s'agit de propos homophobes, racistes, antisémites, les camarades seront beaucoup plus réactifs, avec des décisions politiques beaucoup plus fermes que face à du sexisme. Chez nous, le sexisme est encore banalisé, avec des commentaires sur la tenue des femmes, du brouhaha quand l'une prend la parole, des réflexions déplacées comme « ma belle », « tu es jolie ».
Les dirigeants en responsabilité doivent-ils être formés pour pouvoir se positionner comme des alliés des femmes militantes ?
Oui, c’est un enjeu important. Les directions syndicales sont garantes de nos valeurs, elles ne rendent pas la justice mais doivent garantir des environnements militants non-sexiste où les femmes ont toutes leur place. Un module d'une journée existe suite à la demande de Philippe Martinez en 2020 qui s’adressait aux membres de la Commission exécutive confédérale. En février 2023, le CCA a généralisé ce module à tous les collectifs de direction, UD/FD en priorité.
Pour atteindre l’égalité, il est indispensable d’éradiquer les violences sexistes et sexuelles ?
Oui, tout à fait. On revendique un syndicalisme féministe qui vise la transformation des rapports sociaux de classes et de sexes. Pour ce faire, il faut impérativement éradiquer les violences sexistes et sexuelles. Tant que les relations militantes ne sont pas équilibrées, la démocratie ne peut pas jouer son rôle à plein, car les mécanismes de domination restent en place. La CGT compte environ 39% de femmes. La question est aussi celles des mandats que les femmes occupent et de leur place dans les sphères de pouvoir. Au travail ou dans la CGT, si on veut l'égalité réelle, il faut qu'on donne une place réelle aux femmes. C’est un projet d’émancipation pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Si on arrive à sortir de ce carcan violent des relations militantes, on aura fait un grand pas. Nous travaillons à la mixité constamment. Plus jeune, j'étais déjà féministe mais le mot patriarcat, je ne le prononçais pas. Aujourd’hui, il est partout. C’est quand même assez extraordinaire de pouvoir expliquer constamment le patriarcat, sa dimension, son rôle, comment il s’illustre, y compris dans la CGT.

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