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MÉTIERS

Des métiers, un combat

10 août 2017 | Mise à jour le 17 juillet 2017
Par et | Photo(s) : Thierry Nectoux
Des métiers, un combat

Denis Gravouil, SG de la fédération Spectacle de la CGT à Montreuil, le 17 mai 2017

Entretien avec Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT du spectacle. Outre ses réactions à la série de sept portraits d'artistes et de techniciens du monde de la culture publiée dans la NVO entre septembre 2016 et mai 2017, il évoque les desseins du nouveau gouvernement. 
Qu'avez-vous pensé des témoignages des artistes et des techniciens parus dans la NVO ?

Cette série de portraits était très bien, elle a permis de parler de nos métiers. On dit « les intermittents du spectacle » de façon indistincte, comme si c'était notre raison d'être, alors que c'est l'exercice d'une profession avec un régime d'assurance chômage, mais il faut d'abord commencer par exercer la profession. On précise toujours, dans nos publications et nos expressions : artistes et techniciens intermittents du spectacle. Certains artistes et techniciens ne sont pas intermittents mais permanents, dans les opéras, à la télévision ou dans les orchestres. Il est donc juste et utile de parler de nos métiers, surtout pour les salariés précaires, qui ont des contrats à durée déterminée ; il faut pouvoir parler des conditions d'exercice de ces métiers.

Qu'est-ce qui vous semble fondamental ?

La première des choses est : « Comment négocier ton contrat ? » D'où l'importance des batailles sur les conventions collectives, fragilisées, comme pour tout le monde, par les lois Macron ou El Khomri qui remettent en cause la hiérarchie des normes. C'est un sujet particulièrement important pour des gens qui négocient leurs contrats vingt fois dans l'année ! Si tu négocies à chaque fois au-dessous de la convention collective, c'est complètement absurde.

D'autant qu'être intermittent du spectacle s'assortit d'une grande fragilité due à cette précarité et que la diversité des métiers recoupe des situations professionnelles très hétérogènes…

Après les batailles assez féroces pour l'extension de la convention collective des métiers du cinéma, on a vu, pour les techniciens en particulier, des gens venir nous dire : « Enfin on a une base, on n'est plus obligés de marchander notre salaire de gré à gré. » Il y a un barème, peut-être imparfait, mais, au moins, c'est ce qui est appliqué. Cette série d'articles, qui donne des points de vue différents, parfois même de gens avec lesquels on a été en opposition sur certains dossiers, est aussi une façon de dire qu'à la fédération CGT du Spectacle, on est disposé à discuter avec tout le monde. Par ailleurs, nos métiers sont souvent faits de contrats extrêmement courts, ce qui pose la question des heures supplémentaires et des conditions dans lesquelles on les exerce. Ce sont des métiers que l'on choisit par passion, mais cela n'autorise nullement à dire : puisque vous le faites par passion, vous n'avez pas à être traités correctement. Nous, on veut toujours le beurre et l'argent du beurre (rires).

Pour les femmes, c'est encore plus compliqué…

C'est en effet très volatil. D'une année sur l'autre, on n'est jamais sûr d'avoir une carrière qui se poursuit. Des gens qui ont eu des parcours professionnels incroyables, par exemple en travaillant avec de grands réalisateurs, se retrouvent après la cinquantaine dans des conditions extrêmement difficiles. C'est un véritable gâchis de compétences.

Et c'est particulièrement dur pour les femmes, ce que nous mettons en avant, car nous avons depuis peu des études statistiques qui le démontrent. Comme dans toute la CGT, on a tardé à prendre la mesure de ces inégalités. Dans nos métiers, c'est flagrant : on a deux tiers d'hommes et un tiers de femmes, et elles sortent deux fois plus vite de nos professions. Les durées de présence au régime d'assurance chômage – qui est un indicateur – sont plus courtes pour elles. On se bat pour le régime d'assurance chômage particulier, parce que c'est plus juste que s'il n'existait pas, même s'il n'est pas parfait et s'il reste encore sexiste. Malgré les avancées, gagnées de haute lutte, par exemple une meilleure prise en compte des congés maternité dans le calcul de l'allocation depuis avril ou un meilleur accès aux indemnités journalières de la Sécu, une grossesse, c'est une interruption de carrière qui peut être rédhibitoire.

Parmi celles et ceux que nous avons interviewés, Claire Dabry, assistante à la prise de vue, même si elle travaille régulièrement, réfléchit déjà à changer de métier, à 34 ans, parce qu'il y a ce spectre de la cinquantaine…

Claire travaille sur des productions assez longues avec des contrats de téléfilms qui durent quelques semaines. Or, en région parisienne notamment où tu as des journées souvent très longues ou un tournage loin de chez toi, se pose la question d'une vie de famille.

Ce que dit aussi la conteuse et metteuse en scène Amélie Armao qui explique que, travaillant en soirée, il n'y a rien de prévu pour garder les enfants.

C'est un point sur lequel on travaille : il est question de mettre en place une aide à la garde d'enfant, prévue par le ministère de la Culture, mais on attendait le décret d'application. On espère qu'il va sortir ces jours-ci, mais on est un peu sceptique sur son application. Les spectacles ont lieu le soir pour que le public puisse y assister, mais comment rend-on cela vivable pour les intermittents, quels que soient leur âge et leur genre ?

« Tout ce qu'on a obtenu est le résultat d'un rapport de force »
Beaucoup d'intermittents se plaignent de difficultés d'accès aux informations sur leurs droits, voire de désinformation. Comment la CGT Spectacle y pallie-t-elle ?

La fédération fournit beaucoup d'informations sur son site  et réfléchit à une base de données sur les droits. Il est important d'informer les futurs salariés, donc on multiplie les interventions dans les écoles. On renforce également notre présence sur les festivals comme le 24 mai dernier à Cannes, mais aussi à La Rochelle, Aurillac, Charleville-Mézières ou Avignon, où la CGT met en place cette année une école du spectateur (lire l'encadré « Sur le pont en Avignon », NDLR).

Où en est-on de l'accord signé en avril 2016 sur l'assurance chômage des intermittents ? La nouvelle convention d'assurance chômage qui vient d'être agréée change-t-elle la donne ?

À peu de chose près, tous les droits acquis sont intégrés dans la nouvelle convention. Tout va dépendre de la lettre de cadrage financier qui n'a pas été respectée. L'accord de mars 2017 stipule que « l'État devra compenser les économies non faites ». Je suis plus inquiet sur le régime général que sur celui des intermittents, même si nous ne sommes pas un village d'Indiens à part. Il n'y a pas de menace ciblée contre les intermittents, et nous avons un rapport de force favorable pour défendre nos droits. Tout ce qu'on a obtenu est le résultat d'un rapport de force qu'on a construit, y compris dans l'unité qu'on a été chercher avec les coordinations formées de non-syndiqués pour avoir l'audience la plus large. Ce qui passe aussi par la nécessité d'avoir plus d'adhérents, plus de gens impliqués, ainsi qu'une présence dans davantage d'endroits. Dans nos métiers, on a plutôt fait de bons résultats lors des élections des très petites entreprises (TPE) – dans notre secteur, 95 % des entreprises sont des TPE –, mais ils étaient quand même insuffisants, notamment en termes de participation. Et seuls les intermittents ayant travaillé en décembre 2016 pouvaient voter, ce qui a exclu plein de monde.

Emmanuel Macron dit vouloir étatiser l'assurance chômage, qu'en pensez-vous ?

On ne sait pas bien ce que veut faire le nouveau gouvernement : mettre en place une négociation tripartite, État-patronat-syndicats ? Faire disparaître l'Unédic ? Quand le nouveau président dit vouloir ouvrir des droits au chômage pour les indépendants ou les entrepreneurs, par exemple, comment finance-t-on une telle mesure ? En baissant les droits de tous pour intégrer de nouveaux bénéficiaires ? Même chose pour les « offres raisonnables d'emploi » que les chômeurs devront accepter. Qu'est-ce qu'on entend par là, quand on sait que la moitié des offres sur le site de Pôle emploi ne sont pas valables ?

Pour revenir à la campagne présidentielle, on a vu les gens de la culture se mobiliser contre le FN. Comment la CGT Spectacle y a-t-elle pris part ?

Nous sommes à l'initiative de la soirée du 2 mai, « La culture contre le Front national », qui a eu lieu à la Cité de la musique, appuyée par une soixantaine d'organisations et d'associations professionnelles. Parce que la xénophobie, la préférence nationale et la culture sont antinomiques. La culture, ça sert à voyager, à découvrir l'autre, à encourager la diversité. L'exception culturelle, ce n'est pas le repli sur soi ou la culture franco-française, bien au contraire ! La rencontre « Culture et travail, un dialogue nécessaire », organisée à la bourse du travail de Paris le 29 mars (voir la NVO de mai 2017 NDLR) s'inscrit aussi dans cette bataille contre le FN.

L'École du spectateur, formation du 10 au 14 juillet 2017, à l'Institut supérieur des techniques du spectacle, 20, rue Portail-Boquier, espace Saint-Louis, 84000 Avignon.

Contacts : Chantal Marchal au 01 55 82 81 48 ou coll-activite-ce@cgt.fr

Dans son programme culturel, Emmanuel Macron met en avant un « pass culture » de 500 euros pour les jeunes de 18 ans. Quel est votre avis sur cette proposition ?

C'est avant tout une incitation à la consommation et non une mesure d'ouverture sur la culture, susceptible de faire venir les gens dans les salles de spectacle ; un retour sur investissement pour les grands groupes, qui risque de renforcer la concentration à l'œuvre dans le spectacle vivant, quand Bolloré ou Havas gèrent tout à la fois la production, la diffusion et la billetterie. Même chose pour le fonds d'investissement dédié aux industries culturelles de 200 millions d'euros. De quels investissements parle-t-on ? S'agit-il de créer des champions industriels au niveau européen ou d'aider les documentaires qui sont dans la panade, par exemple ? Nous sommes bien loin de l'éducation populaire que la CGT défend.

Sur le pont en AvignonCette année, la CGT met en place l'École du spectateur, une formation en direction des élus des comités d'entreprise (CE), mais aussi des militants des fédérations ou des unions départementales en charge des activités sociales et culturelles. « Le public concerné est large parce que les questions culturelles sont au cœur de la CGT et pas seulement dans les CE », explique Angeline Barth, secrétaire générale adjointe de la fédération du Spectacle. « L'idée est de proposer une formation socio-économique sur le spectacle, mais aussi d'aller voir des pièces et de rencontrer les artistes. Le Festival d'Avignon et son directeur, Olivier Py, sont favorables à une telle initiative. Elle s'inscrit dans le mouvement Culture et travail, lancé en mars. » En cernant les différentes offres culturelles, en développant l'esprit critique à partir d'un spectacle, l'École du spectateur entend aider à construire dans un CE un projet social et culturel et à sortir de la simple billetterie. Autre action à laquelle prendra part la fédération du Spectacle, celle organisée en direction des saisonniers, en tout début de festival, les 6 et 7 juillet. « Là encore, ça s'inscrit dans la lignée de Culture et travail. Il s'agit de rencontrer tous les salariés qui occupent des emplois induits par le festival et la culture : vendeurs, serveurs, ouvreurs mais aussi les artistes qui tractent ou qui collent les affiches… », souligne Angeline.