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Eau et environnement

L’eau, un bien commun menacé

23 juillet 2025 | Mise à jour le 23 juillet 2025
Par | Photo(s) : Lahcène ABIB
L’eau, un bien commun menacé

Rassemblement contre la construction de mégabassines à Sainte-Soline.

Dans un contexte où le changement climatique accentue les contraintes sur nos réserves naturelles, et où la loi Duplomb acte un recul écologique sans précédent, le droit pour tous, défendu par la CGT, d'accéder à une eau de bonne qualité ne va plus de soi. Exposée à toutes sortes de pollutions, aux captations opérées à grande échelle au bénéfice d'intérêts privés et à l'avidité de multinationales qui veulent en tirer profit, l'eau, source de conflits d'usage parfois violents, est plus que jamais à protéger.

Le 5 mai, les habitants de onze communes du Haut-Rhin ont appris que l'eau de leur robinet était temporairement interdite à la consommation pour les personnes vulnérables, en raison d'une teneur trop élevée en « polluants éternels ». Des restrictions dues à une contamination de l'eau par des PFAS (per et polyfluoroalkylées), ces composants chimiques persistants issus de résidus industriels ou de la dégradation de pesticides néfastes pour la santé humaine. La pollution a été identifiée comme résultant de l'utilisation de mousses anti-incendie sur le site de l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

Trois usines de traitement vont être nécessaires à la dépollution des eaux potables, pour un coût de vingt millions d'euros supporté par la communauté d'agglomération. « Mais pourquoi n'applique-t-on pas le principe du pollueur-payeur ? » s'interroge Nathalie Kern, secrétaire générale de l'union départementale CGT du Haut-Rhin. Ici, la problématique de l'accès à l'eau s'est invitée dans les préoccupations syndicales locales. En 2027, un data center doit s'installer sur le département. « Soit la consommation de plus de six piscines olympiques par an ! On a eu plusieurs années de sécheresse, l'eau va devenir rare. Il faut réfléchir dès maintenant à sa préservation et son recyclage », alerte la militante.

Points de captages pollués

La loi de 1992 définit la ressource en eau comme « un patrimoine commun de la nation ». Si le droit de l'eau s'est construit en France autour de l'affirmation du caractère d'intérêt général de sa protection et sa gestion durable, dans les faits ce principe est mis à mal. « L'eau fait face à des contaminations globales. Cela devient compliqué de trouver des ressources qui, en plus de la désinfection, n'ont pas besoin d'être traitées. Et cela coûte de plus en plus cher de produire de l'eau potable. Les communes doivent renouveler plus souvent les filtres à charbon actif qui saturent très rapidement », détaille Pauline Rousseau-Gueutin, docteure en hydrogéologie.

On ne peut qu'être inquiet, la situation est similaire à l'amiante. – Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral de la CGT Chimie

Pesticides, nitrates, résidus industriels, retombées atmosphériques, rejets domestiques… Les activités humaines exposent la ressource à des pollutions qui se cumulent. Depuis janvier, la CGT a décidé de faire de la dénonciation de la dangerosité des PFAS une priorité de l'action syndicale au sein d'un collectif confédéral et demande qu'ils soient interdits. « On ne peut qu'être inquiet, la situation est similaire à l'amiante. Sauf que le spectre est large, on les retrouve partout », alerte Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral de la CGT Chimie. La part des pesticides contenant des PFAS a considérablement augmenté depuis 2008.

En charge du contrôle de la qualité des cours d'eaux, les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) dénoncent de leur côté une baisse constante de leurs effectifs. « Il y a une perte de compétences sur les milieux aquatiques. Et nos missions de police et de contrôle ne cessent d'être remises en question par la FNSEA 1 et la Coordination rurale », déplore Olivier Ledouble, de la CGT Environnement. Des milieux agricoles qui ont pourtant un rôle de premier ordre à jouer en matière de préservation de la ressource. Entre 1980 et 2019, quelque 12 500 points de captage ont dû fermer, selon un rapport d'inspection ministériel publié en 2024, dont 34 % pour cause de pollutions agricoles. « Le curatif atteint ses limites. Il est plus judicieux d'investir dans l'accompagnement des changements », préconise la chercheuse en hydrologie.

Coupures en Outre-mer

Si les effets du changement climatique aggravent les problématiques d'accès à l'eau, certains territoires sont particulièrement impactés. En outre-mer, en raison d'un assèchement de la ressource, mais aussi d'un sous-investissement dans les infrastructures, des « tours d'eau » (coupures alternées) sont programmés par commune depuis 2022, au grand dam des populations. « À Mayotte, plus de 30 % de la population n'a pas accès à l'eau courante ; en Guyane, c'est 15 à 20 % des habitants ; à La Réunion, une personne sur deux ne peut pas boire l'eau du robinet », rapportait Michèle Chay, représentante CGT au Conseil économique, social et environnemental (Cese), lors d'une journée d'étude sur l'eau organisée par la CGT le 20 mai. Et ces tensions font peser un risque de multiplication des conflits d'usage, comme dans les Deux-Sèvres où l'installation de mégabassines en faveur d'une poignée d'agriculteurs a viré à l'affrontement.

Pour y remédier, le gouvernement a lancé un « Plan eau » en 2023, dont l'objectif est de réduire de 10 % les prélèvements d'ici 2030. Saisi sur cette question, le Cese a émis quant à lui des recommandations afin d'anticiper l'inéluctable augmentation du coût de l'eau, parmi lesquelles l'encouragement à la sobriété des entreprises. À STMicroelectronics, qui fabrique des puces à Crolles, en Isère, le syndicat CGT a obtenu qu'une partie des subventions publiques perçues soit investie dans la réutilisation des eaux souillées. « Notre production consomme l'équivalent d'une ville de 150 000 habitants. Et c'est de l'eau potable ! L'investissement public doit servir, aussi, à réduire l'impact industriel sur le territoire », considère Aimeric Mougeot, secrétaire du syndicat CGT du site de Crolles.

Scandale des eaux en bouteilles

Par ailleurs, si la distribution d'eau en régie privée fait la fortune de groupes comme Suez ou Veolia, au détriment du consommateur, les sources souterraines suscitent elles aussi l'appétit d'entreprises privées, quitte à frauder sur la réglementation pour maintenir leurs profits. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales de 2022 a démontré que 30 % des marques d'eaux minérales en bouteille avaient effectué des traitements illégaux. En 2020, des traitements non conformes de ses eaux de source ont été signalés aux autorités par un salarié du groupe Alma (Cristalline, St-Yorre, Vichy…), entraînant une enquête des services de l'État, ainsi qu'une plainte de Foodwatch, organisation de défense des consommateurs, pour « tromperie ».

Également visé par une plainte, le groupe Nestlé Waters a été contraint de reconnaître, l'an dernier, qu'il avait utilisé des procédés illicites pour assainir les eaux destinées à la marque Perrier dans le Gard, mais aussi Hépar, Vittel et Contrex, dans son usine des Vosges. Et ce, en raison de bactéries et pollutions organiques, ainsi que de la présence de PFAS. Des systèmes de filtrage et de traitement interdits pour les eaux minérales, vendues 100 à 400 fois plus cher que l'eau du robinet. La fraude, étalée sur au moins quinze ans, aurait rapporté trois milliards d'euros à Nestlé, selon la commission parlementaire en charge d'enquêter. Avec la complicité des services de l'État qui ont cédé aux pressions du groupe en acceptant d'effacer toute trace de pollution d'un rapport.

Pour Pauline Rousseau-Gueutin, il est important de ne pas détourner l'usager de l'eau du robinet : « Il faut consommer l'eau minérale de façon modérée. Et diluer nos expositions. Selon une étude de l'Anses 2, 5 % des pesticides viennent de l'eau et 95 % de l'alimentation. Une des sources d'exposition, ce sont les ustensiles de cuisine et les emballages alimentaires contenant des PFAS et des plastiques. » De quoi nous rassurer…

Cet article a été publié dans Ensemble N°36 – Juin 2025.