11 octobre 2021 | Mise à jour le 22 octobre 2021
Industrie, banques, habillement… Le logo vert se propage dans tous les pans de l'économie sans imposer une véritable remise en question du modèle de production.
Produits bancaires verts : la seule tête de gondole « Auparavant, nous disposions du détail des entreprises qui constituaient les fonds communs de placements ou les Sicav, explique Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la fédération Banques et Assurances CGT. Alors que désormais, on ne connaît plus que les critères de sélection de ces dites entreprises et ceux-ci restent flous. C'est presque pire qu'avant, car on ne dispose plus de la liste des entreprises et le consommateur ne sait plus vraiment où il place son argent. »
Et de développer : « Total, par exemple, figure dans ces fonds communs, car un des critères peut être d'avoir une ligne budgétaire pour le développement durable. Mais où est fixé le curseur de cette ligne budgétaire pour déterminer si une entreprise est dite “verte” ? Il n'y a ni minimum ni obligation. Le patron de Total avait ainsi annoncé lors de la dernière réunion des actionnaires que l'entreprise avait bien dégagé une ligne budgétaire à cet effet, mais qu'il n'était pas question d'abandonner les énergies fossiles qui sont celles qui lui rapportent le plus. L'autre angle mort, c'est le décalage entre l'affichage et la réalité : c'est le cas entre le renfort de publicité qui accompagne la multiplication des offres “durables”, “vertes”, “climat”, etc. et l'effort de vente marginal concrètement déployé pour les vendre aux clients. Et puis, en fond, l'autre décalage colossal est celui qu'il y a entre les budgets minimes que représentent ces produits de tête de gondole et ceux, massifs, qui – au quotidien et par défaut – financent des projets pharaoniques d'exploitation liés aux énergies fossiles et à une main d'oeuvre sous-payée aux quatre coins de la planète. »
Plus juste, plus durable, plus responsable, plus écologique, plus respectueux de la planète,… quel que soit le vocable, aujourd'hui, toutes les entreprises se mettent « au vert ». Quitte à ne le faire qu'en façade. Poids de l'opinion publique oblige, le marketing est désormais marqué du logo du recyclage. Mais qu'en est-il en réalité ? Sommes-nous en plein changement de paradigme menant à un monde plus juste et plus durable ? Ou bien le greenwashing est-il devenu une pratique banalisée destinée à permettre une consommation accrue, mais déculpabilisée, destinée à encore démultiplier les profits ?
Certes, l'obligation de reporting RSE (Responsabilité Sociale de l'Entreprise), instaurée en France par la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001 et ensuite son extension (loi Grenelle de 2011), oblige désormais bon nombre d'entreprises à publier des informations sur leur responsabilité sociale et environnementale. Cela dit, les PME et TPE n'y sont pas soumises et cette contrainte n'est que déclarative.
Du coup, que ce soit dans l'industrie, dans le secteur bancaire ou dans l'habillement, quantité d'exemples montrent l'écart entre l'affichage et les moyens réellement alloués pour satisfaire les exigences sociales et environnementales dignes de l'urgence. « Il y a de fait un changement de curseur dès qu'existe une mobilisation citoyenne, syndicale, médiatique qui pourrait ternir l'image de l'entreprise, pose Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire de la fédération banques et assurances CGT… On est souvent monté au créneau, au sein de la fédération bancaire française, pour dénoncer le financement de grands projets de mines de charbon ou autres énergies fossiles. Le Groupe BPCE (Banque populaire, Caisse d'Épargne) s'est, par exemple, retiré de l'exploitation du gaz de schiste aux USA. Mais en tout état de cause, les banques ne raisonnent qu'en termes d'arbitrage entre la sauvegarde de leurs intérêts économiques et celle de leur image. »
Sous la pression citoyenne
La question de l'image prévaut également au sein des majors de l'habillement. « Les grandes enseignes commencent à faire un effort sous la pression citoyenne et politique, concède Nayla Ajaltouni, déléguée générale du collectif éthique sur l'étiquette. Les multinationales de l'habillement verdissent leur discours, voire même y intègrent la question sociale, parce que la société civile a réussi à imposer dans le débat public la question de l'impunité avec laquelle ces grands groupes polluent et bafouent les droits humains. »
Cette prise de conscience est une victoire, car des initiatives ponctuelles se font jour, mais « le point noir, c'est qu'on n'a pas d'initiative concrète systémique visant à faire évoluer leur modèle économique, analyse la militante. H&M peut utiliser plus de coton bio dans la fabrication de ses vêtements, Étam faire des programmes sur la transparence, etc., mais toutes ces enseignes de la fast-fashion comme celles de la grande distribution refusent de faire évoluer leur modèle économique qui demeure très rentable et qui consiste à minimiser les coûts de production pour maximiser les profits. Leurs mesures restent donc limitées, cosmétiques. Notre rôle est de continuer à faire pression sur les pouvoirs publics pour promulguer des lois contraignantes. […] Et nous avons une ouverture encourageante avec la loi sur le devoir de vigilance qui est actuellement discutée au niveau européen. »
Risques et contraintes externalisés et déplacés
Pendant ce temps, malgré de beaux discours, les multinationales tendent à parier sur un déplacement des risques vers des contrées moins « exigeantes » pour sauvegarder leur rentabilité. « Dans l'industrie textile, le travail forcé des Ouïgours a remplacé la main-d'œuvre du Rana Plazza, dont la catastrophe devait constituer un tournant il y a près de vingt ans. L'industrie de l'habillement est ponctuée de drames et de violations massives des droits humains ; elle ne réagit que sous l'effet du scandale médiatique ou sous la contrainte de la loi. Tout seul, le secteur ne se régule pas : il est illusoire de penser qu'on peut faire confiance à ces grands groupes pour prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux au même titre que leurs profits », explique Nayla.
On observe la même mécanique de sauvegarde des profits dans l'industrie (voir l'exemple de la raffinerie de Total à Grandpuits ci-contre). « Il ne suffit pas de trier et de faire brûler quelques bouteilles en plastique par Total, pose Adrien Cornet, délégué syndical CGT, l'écologie est un geste profondément politique qui pose la question de la place du pouvoir : en parallèle de la fermeture des capacités de raffinage de Grandpuits, Total fait construire un pipeline réchauffé de 1 500 km au milieu des parcs naturels d'Ouganda… c'est ça, l'écologie dans les mains des capitalistes. »
L'exemple de Total à GrandpuitsEn septembre 2020, le groupe Total annonçait la reconversion de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) en un site « zéro pétrole ». Le projet faisait suite à une panne polluante que les syndicats – dont la CGT – expliquent par un manque d'investissement dans les infrastructures. Véritable changement de paradigme ou opportunisme et conversion de façade ? C'est cette deuxième version que dénoncent syndicats et ONG écologistes.
« Cette nouvelle usine censée produire du biocarburant va entraîner la suppression d'environ 750 emplois et l'occupation de terres arables pour ne produire qu'entre 5 et 10 % du carburant destiné aux avions. Lesquels avions continueront à voler au rythme actuel et à consommer près de 90 % d'énergie fossile… », regrette Adrien Cornet, délégué syndical CGT de la raffinerie de Grandpuits. Après avoir fait grève pendant un mois et demi, début 2021, pour s'opposer au projet de la direction de fermer la raffinerie Total de Grandpuits, les salariés restent mobilisés contre le projet. De leur côté, la CGT et plusieurs ONG écologistes, dont Greenpeace et Les Amis de la Terre, bataillent pour informer le grand public de la réalité d'un projet beaucoup moins vert qu'annoncé.
« On est un symbole du greenwashing, résume le syndicaliste. Total veut s'imposer comme l'entreprise indispensable pour régler la transition écologique de demain. Avec 200 milliards de chiffre d'affaires et plus de 12 milliards de bénéfice, Total, implanté dans 130 pays, a en effet plus de moyens qu'un État… mais ces moyens-là seront toujours mis au service du profit. La preuve : la raffinerie ferme, et les trois unités qu'on va construire pour la remplacer vont générer au bas mot 60 millions de flux de trésorerie, alors qu'on n'en faisait que la moitié jusqu'ici. Ils vont doubler les bénéfices… »
La série d’audios sur Grandpuits