5 septembre 2025 | Mise à jour le 5 septembre 2025
Poncif de la droite, cette affirmation ressurgit à l'occasion de chaque campagne présidentielle ou débat budgétaire. Dernière version de cette marotte, la volonté du Premier ministre François Bayrou de réduire le nombre d'emplois publics et de ne pas remplacer tous les fonctionnaires partant à la retraite. Pourtant, rien ne permet d'affirmer qu'il y a trop de fonctionnaires en France.
« L'État va diminuer ses charges, reprendre la maîtrise de sa masse salariale en réduisant de 3 000 postes le nombre d'emplois publics » annonçait le 15 juillet dernier le désormais en sursis François Bayrou. Lors de son discours sobrement intitulé Le moment de vérité, le Premier ministre a précisé qu'un fonctionnaire sur trois partant à la retraite ne serait pas remplacé « pour les années qui viennent », ajoutant que cet « effort s'inscrira dans la durée ». Comprendre : il y a trop de fonctionnaires en France. François Bayrou est très loin d'être le premier à tirer la sonnette d'alarme : aux élections présidentielles de 2022, la candidate Les Républicains (LR) Valérie Pécresse promettait de supprimer 150 000 emplois « dans l'administration administrante ». Cinq années plus tôt, les candidats François Fillon (UMP devenu LR) et Emmanuel Macron (En Marche! devenu Renaissance), annonçait la suppression de respectivement 500 000 et 120 000 emplois publics. Quant à l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy, il a mis en place le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux entre 2007 et 2012, supprimant ainsi 93 000 équivalents temps plein. Plus récemment, le ministre de l'Économie, Éric Lombard, reprenait à son tour ce couplet désormais familier, et affirmait en juin dernier qu'il était essentiel d'« engager la baisse du nombre de fonctionnaires ».
Un poncif ancien
La question du nombre de fonctionnaires est une véritable « obsession française », selon le titre d'un ouvrage d'Emilien Ruiz. Dans Trop de fonctionnaires ? Histoire d'une obsession française (XIXe- XXIe siècle), l'historien montre que du révolutionnaire Saint-Just, au nationaliste Charles Maurras, en passant par Pétain ou De Gaulle, l'accusation selon laquelle il y aurait trop de fonctionnaires en France a traversé les époques. Rien de neuf sous le soleil, donc, avec le projet de budget de François Bayrou.
Selon l'Insee, au 31 décembre 2023, la fonction publique employait 5,8 millions d'agents, répartis entre la fonction publique d'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Si l'emploi public augmente légèrement (61 900 agents de plus que fin 2022, soit +1,1 %) cette évolution est très inégalement répartie d'une branche à l'autre : dans la fonction publique d'État, les effectifs stagnent depuis vingt ans tandis qu'ils augmentent dans la fonction publique territoriale par l'effet de la mise en place de la décentralisation. Dans la fonction publique hospitalière, les effectifs ont été revus légèrement à la hausse suite à la crise du Covid, qui a rendu manifeste le manque de personnel dans les établissements hospitaliers, et aux mesures de rattrapage mises en œuvre pour rendre le secteur plus attractif.
Précarité en hausse
En réalité, depuis 1990, l'emploi public a progressé au même rythme que l'emploi total mais dans le même temps, la part de l'emploi public dans l'emploi total a diminué. Selon l'Insee, en 1989, si la fonction publique représentait 22 % de la totalité des emplois, ce chiffre tombe à 19,8 % en 2022.
Par ailleurs, qui dit emplois publics ne dit pas forcément fonctionnaires. Seulement deux tiers des agents publics ont ce statut et cette proportion est en baisse. Tandis que le nombre de fonctionnaires stagnent voire diminuent dans l'ensemble de la fonction publique entre 2022 et 2023, la proportion de contractuels augmente pour atteindre 23,3% fin 2023. Autant de professionnels souvent en CDD, aux salaires inférieurs par rapport aux personnels statutaires et sur-représentés parmi les emplois à temps partiels.
Loin de la gabegie
Fin décembre 2017, France Stratégie a publié une étude comparant le poids de l'emploi public en France avec celui de 19 autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En 2015, les 19 pays de l'OCDE étudiés ont une moyenne de 83 agents publics pour 1 000 habitants, soit un taux d'administration de 83/1 000 (‰). « Avec un taux d'administration de 88,5‰, la France se situe dans la moyenne haute. C'est plus qu'au Royaume-Uni (79,4‰), qu'en Belgique (75,7‰) et qu'aux États-Unis (68,4‰) mais moins qu'au Canada et que dans les pays scandinaves », affirme le think tank gouvernemental. Par ailleurs, l'étude montre que le taux d'administration de la France reste stable depuis trente ans. France Stratégie s'est également penché sur le volume des dépenses publiques de fonctionnement. En effet, dans de nombreux pays, une partie des emplois publics ne relèvent pas d'une rémunération publique directe. Conclusion : « En termes de dépenses publiques de fonctionnement, la position de la France n'apparaît pas particulièrement atypique. »
Besoin en hausse
Dans le même temps, le collectif Nos services publics relève, dans son rapport de 2024, le même constat qu'il avait dressé l'année suivante : « les besoins sociaux évoluent plus vite que les moyens alloués aux services publics, nourrissant un écart croissant entre les attentes de la population et la capacité des services publics à y répondre. » Les difficultés de recrutement dans plusieurs secteurs de la fonction publique devraient, d'ailleurs, alerter François Bayrou, quant au bien-fondé de réduire les effectifs, donc de dégrader les conditions de travail des agents et, in fine, de rendre ces emplois encore moins attractifs. Ainsi, pour le concours enseignants 2024, sur 27 589 postes ouverts, 3 185 sont restés non pourvus, faute de candidats.
Pour Natacha Pommet, secrétaire générale de la Fédération CGT services publics, la question du nombre de fonctionnaires renvoie à celle d'un choix de société : « Veut-on des services publics de qualité ou est-ce que l'on veut faire de l'abattage, avec des classes de 35 ou 40 élèves ? Il faut sortir de la logique comptable : est-ce qu'il faut que l'hôpital ait plus de moyens pour bien soigner la population ? Bien sûr ! »