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SERVICES PUBLICS

La « seconde jambe » de la Justice marche contre le tout sécuritaire

10 octobre 2025 | Mise à jour le 10 octobre 2025
Par | Photo(s) : Elsa Sabado
La « seconde jambe » de la Justice marche contre le tout sécuritaire

500 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ont manifesté pour réclamer plus de moyens et dénoncer la politique ultra-répressive du gouvernement. Paris, le 9 octobre 2025

Pour la troisième fois depuis mai 2025, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation se sont mobilisés ce 9 octobre, jour de panthéonisation de Robert Badinter. Ils exigent plus de moyens pour réinsérer les condamnés, et la fin de la politique ultra-répressive impulsée par le dernier Garde des Sceaux, Gérald Darmanin.

« On en a plein le Darmanin » : un cortège d'environ 500 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) défilait à Paris, ce 9 octobre 2025, de l'île de la Cité au ministère de la Justice, place Vendôme. 6500 personnes exercent ce métier peu connu, considéré comme la « seconde jambe » de la Justice, la première étant la « garde » des détenus. Il consiste à accompagner la réinsertion des personnes « sous main de justice », qu'elles soient incarcérées- pour 80 000 d'entre elles- ou non- pour 170 000 autres personnes. La date de cette mobilisation n'est pas anodine, choisie le jour où l'ancien Garde des sceaux Robert Badinter entre au Panthéon. Une manière de rendre hommage au grand homme qui, outre l'abolition de la peine de mort, s'est toujours battu pour rendre la justice plus humaine, qu'il s'agisse des conditions de vie en détention, de supprimer les tribunaux d'exception, ou de créer les travaux d'intérêt général comme peine alternative à la prison.

1200 postes vacants

Mais c'est la troisième fois que les CPIP se mobilisent depuis mai dernier. Ils doivent, à effectif constant, faire face à une population en constante augmentation, du fait des politiques répressives mises en place ces dernières années. « Actuellement, on enregistre une augmentation de 500 à 600 détenus par mois. On observe une augmentation de 30% du nombre de peines de prison depuis 2010 », détaille Eneko Etcheverry, du bureau de la CGT Insertion Probation. « Cela fait trois ans qu'il n'y a eu aucun recrutement. Aujourd'hui, 1200  postes sont vacants », déplore le militant syndical, par ailleurs directeur en Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP). Alors que les standards européens préconisent qu'un fonctionnaire suive 40 dossiers en milieu fermé, et 60 en milieu ouvert, les CPIP sont submergés. « C'est bien simple : en trois ans, le nombre de dossiers que je suis est passé de 70 à 105. Je travaille à la chaîne, et je ne peux pas consacrer de temps à des personnes en état dépressif ou qui ont des pensées suicidaires», s'inquiète Louise, CPIP à Boulogne-sur-mer. Caroline, de Bordeaux, voit réduire la fréquence à laquelle elle rencontre ses « suivis ». « Or ces rendez-vous aident les suivis à se mettre en action », regrette-t-elle.

Les CPIP souffrent aussi du sous-effectif des autres services publics, vers lesquels ils orientent les hommes et femmes dont ils ont la charge. « Comment soigner un condamné qui souffre d'addictions quand il faut attendre trois mois pour avoir un rendez-vous en centre de soins d'addictologie, qui souffre de traumas quand la file d'attente pour un centre médico-psychologique n'en finit pas? Comment aider quelqu'un qui n'a pas de logement quand il n'y a pas de place en centre d'hébergement ? », interroge Esther, CPIP à Paris.

Renforcement du contrôle au détriment de l'accompagnement

Le torchon ne cesse de brûler entre les CPIP qui réinsèrent et leur (ancien) ministre Gérald Darmanin. En février, celui-ci a tenté d'interdire les activités qu'il qualifiait de « ludiques ». « Quand on fait un atelier yoga, ce n'est pas pour détendre les personnes incarcérées, c'est pour que des gens impulsifs apprennent à maîtriser leurs émotions. Grâce aux activités culturelles, on peut parler d'autre chose que de leurs galères. Ils ne sont plus seulement des délinquants», détaille Christelle, qui travaille en maison d'arrêt à Rodez. Le Conseil d'État a finalement annulé, en mai, cette interdiction. Le 21 mars, Gérald Darmanin a publié une circulaire visant particulièrement les détenus étrangers. « On nous demande de transmettre régulièrement les listes d'étrangers à la préfecture et aux autorités judiciaires, en rappelant les échéances judiciaires comme la fin d'une carte de séjour. L'idée est que les magistrats refusent les aménagements de peine des personnes étrangères. Et que nous ne nous fatiguions pas à proposer des parcours de réinsertion aux personnes visées par une consigne d'éloignement du territoire », poursuit Eneko Etcheverry.

Rétablissement des prisons de « haute sécurité »

Le 28 juillet, Gérald Darmanin a présenté un projet de loi intitulé « Sanction utile, rapide et effective », qui propose par exemple de supprimer le principe d'obligation d'aménagement des peines, de rétablir la possibilité de prononcer des peines inférieures à un mois, de supprimer le sursis pour les personnes dont le casier n'est pas vierge… bref, d'incarcérer toujours plus. « Sans compter la création en avril, des prisons « haute sécurité ». Alors que les quartiers haute sécurité dans les prisons avaient été supprimés… par Badinter », conclut Eneko Etcheverry.