Construire l’alternative
Tunis accueille une seconde fois le Forum social mondial. À un mois de son ouverture, les organisations se préparent à cet événement incontournable pour tous ceux qui sont... Lire la suite
C'est sous une pluie battante que les plus courageux parmi les quelque 70 000 participants au Forum social mondial de Tunis ont déroulé leurs banderoles mardi 24 mars et marché de la place Bab Saadoun au musée du Bardo où, la semaine précédente, trois hommes avaient ouvert le feu sur des visiteurs, tuant 23 personnes.
Le désormais classique slogan «Un autre monde est possible» a laissé place à une formule plus longue et plus laborieuse, mais dictée par les événements et adoptée par le Conseil international du forum: «Les peuples du monde unis pour la liberté, l'égalité, la justice et la paix, en solidarité avec le peuple tunisien et toutes les victimes du terrorisme, contre toutes les formes d'oppression.» Des Tunisiens avaient quant à eux saisi l'occasion pour afficher un «Je suis Bardo» aux couleurs rouge et blanche de la Tunisie, paraphrasant «Je suis Charlie», comme pour revendiquer une dignité égale et un refus du terrorisme en tous points semblables à ceux des Français.
Le 12e FSM se tient pour la seconde fois à Tunis. La fois précédente, en 2013, il saluait le pays qui, fer de lance des printemps arabes, incarnait l'espoir de révolutions possibles contre les dictatures et l'émergence de paroles citoyennes. De ce que certains nomment les «sociétés civiles» d'Afrique et du monde arabe.
N'en déplaise aux esprits chagrins, même si l'enthousiasme de l'après-«révolution du jasmin» s'est quelque peu calmé, les attentes des citoyens tunisiens demeurent grandes et leur détermination à ne pas se laisser voler leur révolution est inchangée. Les débats qu'ils mènent au sein du FSM et les stands qu'ils tiennent sur le campus de l'université Al-Manar témoignent de la volonté des organisations syndicales, des associations des jeunes, des femmes, des ligues de défense des droits humains… de continuer à lutter pour l'accès à l'emploi des jeunes et des chômeurs, les droits des travailleurs, l'égalité effective entre les hommes et les femmes, la liberté d'expression et l'éducation, la Sécurité sociale et le droit à la santé pour tous.
La délégation de la CGT, accompagnée de partenaires africains invités, participe aux échanges, en particulier à des ateliers sur les migrations internationales, le climat, les droits fondamentaux, les services publics, le commerce mondial et les accords de libre-échange, ainsi qu'aux ateliers sur les luttes démocratiques en Afrique.
Concernant cette dernière thématique, Christian Pilichowski, un «ancien» du FSM qui représente la CGT dans le Programme concerté pluriacteurs (PCPA) de l'Agence française de développement, justifie le choix des partenaires africains par la nécessité de «démontrer que le syndicalisme africain existe et est actif»; qu'il «s'inscrit dans une vision de changement» enrichissante pour tous. Sa vision semble partagée par d'autres centrales syndicales, notamment par l'emblématique Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui a préparé le terrain et encadré la révolte tunisienne. La centrale tunisienne multiplie en effet les espaces de réflexion sur le rôle des organisations syndicales, que ce soit dans les processus de démocratisation ou dans les luttes pour la justice sociale, la transition écologique ou contre la surexploitation des travailleurs du Sud par les multinationales.
Quand on demande à Christian Pilichowski ce que les organisations syndicales ont apporté de spécifique à cette vaste université citoyenne qu'est le Forum social mondial, il répond qu'elles ont participé à placer la question du travail au centre des revendications pour la justice sociale. Par leur présence sur les forums sociaux, elles disent et redisent que la transformation du travail est au cœur de la transformation des sociétés. Elles contribuent dans les débats à dépasser les slogans incantatoires «contre la pauvreté» ou «contre la guerre» et les approches revendicatives par le droit en apportant l'expérience de la lutte pied à pied dans un monde en crise où l'aspiration à plus de justice sociale est désormais le moteur de la revendication démocratique.