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ALLEMAGNE

Législatives : le boomerang de la grande pauvreté

25 septembre 2017 | Mise à jour le 26 septembre 2017
Par | Photo(s) : Björn Kietzmann / Sipa
Législatives : le boomerang de la grande pauvreté

Manifestations anti-AfD à Berlin, le dimanche 24 septembre

Victoire d'Angela Merkel en dépit d'un net recul de son parti (CDU), chute libre de ses alliés sociodémocrates du SPD, percée historique de l'extrême droite : en Allemagne, le développement sans précédent des inégalités, de la précarité et de la grande pauvreté explique en grande partie le résultat des élections législatives de ce dimanche 24 septembre.

Au pouvoir depuis douze ans, la chancelière Angela Merkel visait un quatrième mandat. Ce pari est a priori gagné. Mais son parti conservateur, les chrétiens démocrates de la CDU (CSU en Bavière) réalise, avec moins de 33 % des voix aux élections législatives de ce dimanche 24 septembre, son plus mauvais score depuis 1949 et la naissance de la RFA. Ses partenaires gouvernementaux, les sociodémocrates du SPD, ont également obtenu, avec à peine plus de 20 %, l'un des scores les plus faibles de leur histoire.

Percée historique de l'extrême droite

En revanche, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui avait obtenu moins de 5 % des voix aux élections précédentes (2013) devient cette fois avec quelque 13 % la troisième force politique en termes électoraux (devançant la gauche de Die Linke et les Verts), et peut espérer constituer un groupe de plus de 85 députés (sur 528) au Bundestag. Une première, depuis 1945, dans une Allemagne qui a fait sien après la guerre le rejet du nazisme puis des néonazis.

Dans un pays miné par la précarité et la grande pauvreté, l'AFD a fait campagne sur « l'identité allemande », laquelle serait menacée par le « grand remplacement », c'est-à-dire l'arrivée massive de migrants. Alors que l'Allemagne a accueilli plus d'un million de réfugiés syriens fuyant la guerre, l'AfD a adopté un discours anti-immigration et de haine contre les musulmans, qualifiant les réfugiés de menace terroriste potentielle. Alexander Gauland, co-tête de liste de l'AfD, a ainsi affirmé « Nous allons changer ce pays (…) Nous allons faire la chasse à Madame Merkel. Nous allons récupérer notre pays ». L'AFD se veut aussi révisionniste et Alexander Gauland n'a pas hésité à appeler à être fiers des soldats du 3e Reich durant la Seconde Guerre mondiale.

Ce qui n'a pas empêché Marine Le Pen de se réjouir de la percée historique de ses alliés (puisqu'un eurodéputé allemand de l'AfD siège au sein du groupe ENL au Parlement européen, aux côtés des élus FN) et d'y voir un « nouveau symbole du réveil des peuples européens ».

L'AfD réalise des scores particulièrement élevés dans certains Länder, notamment ceux les plus touchés par le chômage et les conséquences de la flexibilité, en particulier dans l'ex-Allemagne de l'Est qui compte pourtant très peu de migrants. Dès dimanche soir, des manifestations spontanées anti-AfD de milliers de personnes ont eu lieu dans plusieurs villes allemandes, dont Berlin.

Douze ans après les lois Hartz

Faute de majorité absolue, Angela Merkel doit maintenant chercher des alliances avec d'autres formations pour mettre en place son gouvernement. Ses alliés du SPD ont décidé de ne plus en être et de rejoindre l'opposition. Pour son quatrième mandat, Angela Merkel pourrait donc se tourner à la fois vers les libéraux du FDP et les Verts. Deux partis cependant en opposition sur nombre de dossiers, comme l'immigration, précisément. Les négociations pourraient donc durer plusieurs mois.

Les sociodémocrates, quant à eux, ont décidé de « repenser [leur] approche ». Car ils savent que nombre de leurs bases historiques, en particulier parmi les travailleurs, se sont détournées d'eux soit pour s'abstenir, soit pour rejoindre Die Linke, à gauche, soit à l'inverse pour se laisser séduire par l'extrême droite. C'est que l'agenda de Gerhard Schröder (SPD) et les lois Hartz (du nom de son promoteur, l'ancien DRH de Volkswagen), entrés en vigueur en 2005 pour réformer le marché du travail sur des bases ultralibérales, ont condamné des millions de salariés à la pauvreté et à la précarité.

La plus forte hausse de la pauvreté de l'Europe

Mesures permettant au patronat plus de flexibilité, réduction de la durée des allocations chômage et basculement vers l'aide sociale, orientation des privés d'emploi vers des petits boulots déqualifiés et sous-payés, sanctions drastiques contre ceux qui refusent, développement des « mini-jobs » (qui concernent 7,8 millions de travailleurs) et des « emplois » à un euro de l'heure, développement du temps partiel… : l'Allemagne a connu durant cette dernière décennie la hausse la plus grave dans toute l'Europe des inégalités, de la grande pauvreté, du nombre de travailleurs pauvres (voir à ce sujet notre analyse dans le numéro d'octobre à paraître, de la NVO).

Le taux de travailleurs pauvres dépasse 22 %, pour une moyenne déjà élevée d'un peu plus de 17 % en Europe et de 8,8 % en France (selon l'OCDE). Parmi les plus touchés par la précarité : les femmes, les retraités, les privés d'emploi. Les petits boulots auxquels ces derniers, notamment, sont astreints ne donnent pas droit à la protection sociale et ne comptent pas pour la retraite.

Les lois Hartz et leurs conséquences sociales dramatiques ont joué comme un boomerang contre les partis au pouvoir à l'occasion des élections. En France, Emmanuel Macron, selon qui « l'Allemagne a formidablement réformé », ferait bien d'y regarder à deux fois.