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Patronat

« L’extrême droite n’accède jamais au pouvoir sans l’appui du monde économique »

21 octobre 2025 | Mise à jour le 13 novembre 2025
Par | Photo(s) : Ricky Carioti / POOL / AFP)
« L’extrême droite n’accède jamais au pouvoir sans l’appui du monde économique »

Bernard Arnault, président de LVMH est présent lors de la cérémonie d'investiture du président réactionnaire Donald Trump. Janvier 2025 ( Ricky Carioti / POOL / AFP)

Porté par son hostilité à la gauche, le patronat français multiplie les signes de rapprochement avec l'extrême droite, un phénomène amplifié depuis les législatives de 2024. Dans son livre Collaborations*, le journaliste et cofondateur de Mediapart, Laurent Mauduit, alerte : ce soutien du monde des affaires pourrait offrir au Rassemblement national le levier décisif pour accéder au pouvoir. Cet extrait, livré en avant-première, est à retrouver dans son intégralité dans La Vie Ouvrière n°15 consacrée à l'internationale d'extrême droite, à paraître en novembre.

Si on faisait aujourd'hui une photo du patronat français et de son rapport à l'extrême droite, quelle forme prendrait-elle ?

Le patronat n'est pas un bloc homogène. On peut distinguer un premier groupe de patrons d'extrême droite : Vincent Bolloré, Pierre-Edouard Stérin, mais aussi les dirigeants de Dassault, notamment son président Éric Trappier, qui mène l'offensive au Medef et prône « l'union des droites ». Bolloré, lui, a permis l'émergence d'une presse néo-fasciste (CNews, JDD, Europe 1), martelant des idées racistes et xénophobes. C'est inédit depuis l'entre-deux-guerres. (…)

D'autres patrons soutiennent l'extrême droite plus discrètement, quoique de manière de plus en plus visible. On peut citer Bernard Arnault, par exemple. Le patron le plus riche en France, est très clairement un ami de Vincent Bolloré. Quand celui-ci fait sa purge au sein du Journal du Dimanche (JDD) pour y installer à sa tête un chroniqueur d'extrême droite, Geoffroy Lejeune, Bernard Arnault continue massivement d’apporter de la publicité au JDD. Ils ont des projets ensemble : tous deux, avec l’appui de Rodolphe Saadé, le patron de CMA-CGM et de BFM, ont racheté la plus vieille école de journalisme, l’Ecole supérieure de journalisme de Paris. Les accointances de Bernard Arnault font d'autant moins discussion qu'il est aussi un proche de Donald Trump et des patrons américains d’extrême droite comme Elon Musk. Dans ce groupe figure aussi bel et bien Rodolphe Saadé qui participe discrètement à l'investiture de Donald Trump et obtempère aux exigences de Trump d'investissements aux Etats -Unis. Et au-delà de ces deux premiers groupes, et c'est sans doute le plus important, un capitalisme parisien s'est installé dans une porosité générale avec l'extrême droite. (…)

Dans votre livre , vous affirmez que la responsabilité des milieux d'affaires dans le fait que le RN soit aux portes du pouvoir est écrasante…

L'histoire le montre : l'extrême droite n'accède jamais au pouvoir sans l'appui du monde économique — Mussolini en 1922, Hitler en 1933, Pinochet au Chili. En France, on a beaucoup culpabilisé les citoyens. Il est vrai que les politiques d’austérité conduites par le Parti socialiste pendant 20 ans, quand il était au pouvoir, a conduit à des situations de rage et de colère sociale. Et des citoyens ont basculé à l’extrême droite par désespoir. Mais le phénomène majeur n’est pas celui-là ! L'extrême droite peut rêver de prendre le pouvoir quand elle sent qu’elle a l’appui des milieux financiers. Or nous sommes aujourd’hui dans un possible moment de bascule. Un moment où la jonction entre milieux d’affaires et l’extrême droite peut commencer à se faire. C’est la séquence dans laquelle on entre à partir des législatives de 2024.  Depuis ce moment le barrage républicain a sauté : l'ennemi principal, pour ces élites, devient la gauche.

D’où le glissement vers le RN?

Oui. Si vous observez les déclarations du président du Medef  Patrick Martin pendant les législatives de 2024, il dit bien à plusieurs reprises que le programme du NFP est beaucoup plus dangereux que celui du RN. Dans un entretien donné à Radio Classique (le 29 aout 2025, NDLR), il dit même que seules trois personnes en France sont les plus conscientes des périls économiques: Gabriel Attal, Bruno Retailleau et Jordan Bardella. Il cite donc deux personnes d'extrême droite et même pas un socialiste qui pourrait être considéré comme de la gauche molle. Cela dit bien l’état d’esprit du patronat. Bernard Arnault, de son côté traite l'économiste Gabriel Zucman (à l'origine de la taxe Zucman qui propose de taxer les ultra riches, NDLR),  de « militant d'extrême gauche ». Ces accents trumpistes disent bien quelque chose sur le climat de violence sociale et la radicalisation auquel le patronat semble prêt.

L'évolution du capitalisme ces dernières décennies explique aussi selon vous ces rapprochements entre milieux d'affaires et extrême droite

Pendant les Trente Glorieuses, il existait une sorte d' équilibre entre capital et travail. Le leader de Force Ouvrière, André Bergeron disait alors, « Il y a encore du grain à moudre ». Puis le basculement néolibéral des années 1980 a instauré la tyrannie du capital sur le travail : le patron devient le mandataire exclusif des actionnaires et le compromis n'existe plus. Et si vous cherchez  aujourd'hui des patrons qui s'expriment contre l'extrême droite, il n'y en a pas. J'en ai trouvé un seul, Ross McInnes, le patron de Safran, un franco-australien dont les attaches étrangères font sans doute qu'il n'est pas tout à fait du sérail… Aujourd'hui, je suis convaincu qu'un nouveau capitalisme émerge : le capitalisme libertarien. Ses partisans revendiquent « toutes les libertés », en réalité celles d'accumuler profits et pouvoir sans limites. C'est un capitalisme sans règles, hostile à la démocratie. Elon Musk et Peter Thiel (fondateur de Paypal, NDLR), proches de Trump et issus de l'Afrique du Sud de l'apartheid, en sont les figures. Thiel écrivait il y a 20 ans déjà que « la liberté est incompatible avec la démocratie », influencé par le blogueur Curtis Yarvin, qui osait demander « que reproche-t-on donc vraiment aux nazis ? ». Dès lors, le salut hitlérien de Musk lors de l'investiture n'est pas le geste d'un bouffon, mais l'expression d'un bouillonement intellectual ultra réactionnaire qui intervient beaucoup dans les secteurs de la tech californienne. Le grand séisme n'est pas encore arrivé en France mais on devine que la vague se rapproche. Ce courant séduit une partie du patronat français, Arnault, Saadé, comme on l'a vu mais aussi beaucoup de start-ups qui, il y a encore cinq ou six ans, étaient très pro-Macron et qui maintenant rencontrent ou soutiennent Jordan Bardella.

*Collaborations. Enquête sur l'extrême droite et les milieux d'affaires. Laurent Mauduit. Sept. 25. Ed. La Découverte. 22 euros.