8 août 2025 | Mise à jour le 8 août 2025
Le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur la Charte de l'environnement pour censurer l'un des articles phares de la loi Duplomb qui prévoyait la réintroduction de l'acétamipride, un néonicotinoïde tueurs d'abeilles. En revanche, les membres de l’institution ont été plus nuancés concernant deux autres dispositions facilitant la construction de mégabassines et l'élevage industriel.
C'est un soulagement pour les défenseurs du vivant. Jeudi 7 août, à 19 heures, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision tant attendue sur la loi Duplomb « visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ». Les Sages de la rue Montpensier, à Paris, censurent sa disposition phare, à savoir la réintroduction de l'acétamipride, un néonicotinoïde tueurs d'abeilles interdit en France depuis 2020, mais autorisé ailleurs en Europe jusqu'en 2033.
La Charte de l'environnement consacrée
Le Conseil constitutionnel s'est basé sur la Charte de l'environnement qui consacre notamment les principes de prévention, de précaution et le devoir pour les politiques publiques, de promouvoir un développement durable. Alors que la juridiction avait admis une dérogation similaire en décembre 2020, cantonnée au traitement des betteraves sucrières et circonscrite dans le temps, il a censuré cette fois la réintroduction de l'acétamipride faute d'encadrement suffisant. Il rappelle dans sa décision la toxicité de tels produits, qui « ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux ainsi que des conséquences sur la qualité de l'eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine ».
Réserves sur les mégabassines
Le Conseil constitutionnel est plus nuancé concernant deux autres dispositions très décriées dans la loi. L'une d'elles facilite les procédures de construction de mégabassines en créant une présomption d'intérêt général majeur aux projets de stockage d'eau, ce qui permet de déroger plus facilement aux règles existantes. Sur cette disposition, les Sages émettent deux réserves : reconnaissant que ces ouvrages sont susceptibles de porter atteinte à l'environnement, ils estiment que les mesures adoptées ne doivent pas permettre de prélèvement dans des nappes inertielles –qui se vident ou se remplissent lentement- et devront pouvoir être contestées devant un juge. L'article 3 en revanche, qui relève les seuils d'élevages industriels (installations classées pour la protection de l'environnement) à 85 000 poulets contre 40 000 actuellement et de 2 000 cochons à 3 000, est jugé conforme à la Constitution.
L'Élysée prend note
Saisi par trois groupes de plus de 60 députés et sénateurs de gauche (France insoumise, Gauche démocrate et républicaine, socialistes et écologistes) entre le 11 et le 18 juillet, le Conseil constitutionnel devait aussi se prononcer sur la constitutionnalité du parcours législatif de la loi controversée. Adoptée à l'Assemblée nationale le 8 juillet par 316 voix (avec celles de la droite et de l'extrême droite) contre 223, la loi Duplomb n'a pas été examinée dans l'hémicycle, une motion de rejet ayant été utilisée en première lecture pour éviter d'avoir à étudier les amendements déposés par la gauche. C'est donc une commission mixte paritaire à dominante de droite qui s'est accordée sur une version commune. Sur ce point, l'institution de la rue Montpensier estime que « la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution ». A l'annonce de la décision, le président Emmanuel Macron a fait savoir qu'il promulguera le texte tel qu'il résulte de cette décision dans les meilleurs délais.
Opposition massive de la société civile
La loi Duplomb, défendue par la FNSEA dont est issu le sénateur LR Laurent Duplomb, a fait l'objet d'une opposition massive de la société civile. La pétition, déposée sur le site de l'Assemblée nationale, qui alerte sur l'aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire de la loi, a recueilli plus de deux millions de signatures en un temps record. Des scientifiques, des sociétés savantes, des médecins ou encore des organisations non gouvernementales (ONG) défenseures de l'environnement ont mêlé leur voix à cette résistance. Dans un communiqué publié le 30 juillet, le Conseil national de l'ordre des médecins s'inquiétait d'une loi qui « compromet l'application effective du principe constitutionnel de précaution », affirmant que « sur le plan médical, le doute n'est pas raisonnable lorsqu'il s'agit de substances susceptibles d'exposer la population à des risques majeurs : troubles neuro-développementaux, cancers pédiatriques, maladies chroniques. Ces alertes ne peuvent être ignorées ». En parallèle de la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires, plusieurs associations et ONG (Générations futures, Notre affaire à tous, la Ligue des droits de l'homme, Terre de liens, le CCFD Terre Solidaire, Greenpeace…) avaient déposé une contribution commune devant le Conseil constitutionnel pour « soutenir les saisines des parlementaires et faire censurer plus de la moitié de la loi ». « La décision du Conseil constitutionnel de censurer la réintroduction de néonicotinoïdes est positive. Nous la devons à l'exceptionnelle mobilisation citoyenne et syndicale qui a conduit à la signature de la pétition par plus de 2 millions de personnes », a estimé Fabienne Rouchy, dirigeante confédérale de la CGT, en charge des questions environnementales.
« Nous dénonçons le passage en force démocratique du processus législatif cautionné par le Conseil constitutionnel, et la politique agricole productiviste favorable aux grands groupes capitalistes que cette loi induit. » Fabienne Rouchy, en charge des questions environnementales à la CGT
Mais, si le syndicat « se félicite d'y avoir contribué, en alertant sur les dangers de la loi Duplomb et en portant avec d'autres l'absolue nécessité d'une agriculture respectueuse de la biodiversité et de la santé des travailleurs et des populations, nous dénonçons cependant le passage en force démocratique du processus législatif cautionné par le Conseil constitutionnel, et la politique agricole productiviste favorable aux grands groupes capitalistes que cette loi induit. La CGT promeut une agriculture respectueuse du vivant, au contraire des modes de production intensifs et de l'épuisement de la ressource en eau auquel ils contribuent, avec la généralisation des méga bassines dorénavant possible avec cette loi ». Plusieurs associations de défense de l'environnement mais aussi des organisations syndicales, ainsi que la Confédération paysanne appellent à continuer la mobilisation pour l'abandon du texte.