Quel avenir pour Fessenheim?
Si le démantèlement de Fessenheim semble acté, la CGT a planché sur un projet innovant de démantèlement plutôt que sur la simple fermeture. Lire la suite
Le réacteur Osiris, situé sur le site du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Saclay, en Essonne, fermera bel et bien ses portes au 31 décembre 2015, malgré les alertes répétées des syndicats et de l'Académie de médecine.
Les salariés avaient même entrepris une grève de deux semaines en juin (Lire notre article du 27 juin 2014). Leur revendication : le report de la date de fermeture du réacteur, prévue pour fin 2015, afin de permettre une meilleure transition avec son successeur, le réacteur Jules-Horowitz (RJH), de Cadarache (Bouches-du-Rhône). En effet, la construction du RJH a pris du retard. Prévue d'abord en 2014, sa mise en service semble désormais ne pas être à l'ordre du jour avant 2019, voire 2020.
Au-delà de la question des emplois, les enjeux sont de taille. En termes de santé publique, le réacteur Osiris produit un élément essentiel, le technétium 99m, pour le diagnostic de certains cancers. Cet élément n'est produit que par une poignée de réacteurs dans le monde. Or, entre 2015 et 2020, deux autres réacteurs majeurs doivent arrêter leur production. La menace d'une pénurie entre 2016 et 2018 inquiète donc les experts, les syndicats, certains politiques, et même la direction.
« La date [de 2015] ne posait pas de problème au CEA avant qu'on apprenne que tout un ensemble d'autres réacteurs dans le monde allait fermer – ou être en maintenance – sur la période 2016-2018, confiait en juillet Bernard Bigot, administrateur général du CEA, ce qui explique pourquoi nous avons proposé cette prolongation. »
Le réacteur Osiris est un réacteur nucléaire expérimental. Sa mission première est de permettre à des chercheurs de tester des matériaux et protocoles afin de conseiller et d'améliorer la construction et la maintenance d'autres installations nucléaires comme les centrales nucléaires d'EDF ou le futur réacteur expérimental de Cadarache.
Les salariés se préoccupent donc de la perte de savoir-faire que pourrait causer une période de latence entre la fermeture d'Osiris et la mise en service du RJH. De fait, un système de correspondance a été élaboré par le CEA entre les employés d'Osiris et ceux travaillant sur le site du RJH. Ce système permet aux travailleurs de Cadarache de se tourner vers leurs collègues franciliens pour répondre à des questions techniques.
« Des collègues ont des questions par rapport au RJH et nous demandent notre avis, explique avec fierté Pascal Saint-Étienne, membre CGT du comité d'entreprise de CEA-Saclay, donc on leur file un coup de main en leur apportant notre expérience. » Mais la teneur des demandes déroute parfois les employés de Saclay qui s'inquiètent d'autant plus de l'avancée des travaux. Le système de détection de rupture de gaine (DRG), qui concerne la maintenance d'une des trois couches de protection entre la matière radioactive et l'environnement extérieur, a, par exemple, fait l'objet d'une question de la part de l'équipe de Cadarache récemment. « Ce circuit de DRG a été expliqué par les gens d'ici, poursuit Pascal Saint-Étienne. Nous avons été un peu surpris, car on avait l'impression que c'était une découverte pour eux. »
Loin de blâmer ses collègues méridionaux, Pascal Saint-Étienne est surtout préoccupé par l'avenir de cette collaboration ainsi que des conséquences potentielles sur l'avancement des travaux et la sécurité du RJH après la fermeture du site de Saclay fin 2015. À terme, le RJH est voué à remplacer Osiris dans cette mission d'expérimentation à destination des centrales électriques, mais d'ici là, la transition risque de ne pas être assurée.
Si Osiris ferme ses portes avant l'ouverture de Jules-Horowitz, la question de savoir vers qui pourront se tourner les clients du CEA – comme Areva et EDF – ainsi que les équipes du RJH reste encore sans réponse. « C'est une très bonne question ! Je n'en sais rien , déplore Pascal Saint-Étienne. Cela pose problème, c'est clair. Parce que là, si on a une manipulation à faire, on sait qu'Osiris tourne, on place l'objet dedans et voilà ! S'il ferme, on se prive d'un outil de recherche qui est quand même important pour RJH et notre parc de centrales nucléaires. »
Au-delà de ce système de consultation, la formation des salariés de Cadarache passe aussi par le « compagnonnage ». « Il y a une douzaine de binômes qui, par spécialité, réunissent des salariés actuels d'Osiris, avec leur expertise, et ceux qui sont en train de travailler sur les programmes futurs de Cadarache, explique Jean-François Sornein, directeur des ressources humaines du CEA. L'expérience des gens d'Osiris est prise en compte dans les phases actuelles de conception détaillée des programmes expérimentaux, de conception de ce que sera la manière d'exploiter le réacteur RJH futur. »
De plus, à leur arrivée au CEA, certains professionnels nouvellement recrutés, comme les conducteurs de pile, déjà très difficiles à trouver, doivent suivre une formation de dix-huit mois, dont six mois pour apprendre le métier auprès des anciens salariés. Mais selon la direction elle-même, la pyramide des âges est telle que de nombreux employés actuels d'Osiris partiront en retraite entre 2015 et 2020. Pour la CGT de Saclay, c'est autant de compétences et d'expertises qui ne seront pas transmises.
Pour les expérimentateurs, encore trop jeunes pour penser à la retraite et privés d'outil de travail en France, la tentation pourrait être forte de partir sur d'autres sites à l'étranger. En effet, pour les clients, comme EDF et Areva, dont les programmes d'expérimentation doivent continuer quoi qu'il arrive après 2015, il sera nécessaire de trouver un autre site où effectuer leurs expériences. « Ils risquent peut-être d'aller ailleurs », s'inquiète Pascal Saint-Étienne, avant d'ajouter : « Comme EDF a un peu financé RJH, [la direction] nous assure que ces clients vont revenir quand RJH démarrera. » Mais il reste dubitatif. Pour lui, la fermeture d'Osiris en 2015 causera le départ de certains expérimentateurs.
Syndicats, direction, médecins et politiques ont donc alerté le gouvernement sur la question, mais sans succès. Les cinq ministres et secrétaires d'État de tutelle du CEA ont tous signé la décision adressée à la direction de maintenir la date de fermeture à fin 2015.
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