Chantiers de l’Atlantique : la direction la joue à l'intox
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Après six mois et treize séances, la négociation interprofessionnelle sur la santé au travail s'est conclue le mercredi 9 décembre 2020. L'accord national interprofessionnel (ANI) ratifié par la CFDT, FO et la CFE-CGC, ne l'a pas été par la CGT : « Ce texte aura des conséquences désastreuses sur les salariés, voire sur leur espérance de vie. Je ne suis pas là pour avoir du sang sur les mains. Je suis là pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et ce texte ne répond pas à cette question », avait déclaré Jérôme Vivenza, membre de la commission exécutive confédérale et négociateur, dans le cadre d'une conférence de presse organisée par la CGT le 3 décembre dernier.
Non seulement ce texte ne contient aucun droit nouveau, mais il constitue en outre une véritable régression sociale.
Une de plus, après la suppression des comités d'hygiène, de santé et des conditions de travail (CHSCT), à travers les ordonnances Macron, ou bien le recul orchestré en matière de reconnaissance des accidents du travail au moyen de l'ANI sur le télétravail.
« Dans le document qui nous a été proposé, nous sommes confrontés au même dogme que lors des négociations sur le télétravail, c'est-à-dire une volonté d'aboutir à un accord sans droits nouveaux et à coût zéro. On renvoie au maximum les négociations vers l'entreprise », poursuit Jérôme Vivenza.
Cet accord met sur les rails une « réforme » qui va dédouaner les employeurs de leurs responsabilités. Pourtant, cette responsabilité est imposée par le droit européen dans la directive-cadre européenne relative à la sécurité et à la santé au travail (directive 89/391 CEE) adoptée en 1989. Un cadre juridique que ce texte vient détricoter.
Le texte rappelle ainsi les jurisprudences défavorables aux travailleurs concernant la responsabilité des employeurs sur la protection de leur santé : « La jurisprudence a admis qu'un employeur et ses délégataires pouvaient être considérés comme ayant rempli leurs obligations s'ils ont mis en œuvre les actions de prévention. »
Ce transfert de responsabilité se traduit par un traitement individualisé de la désinsertion professionnelle (alors que chaque année environ 80 000 salariés sont déclarés inaptes par le médecin du travail et licenciés) et la création d'un « passeport prévention ».
Du fait des formations qui leur sont octroyées, les salariés seront rendus responsables des conséquences de leurs activités professionnelles sur eux-mêmes comme pour autrui. Par exemple, des salariés en conflit parce qu'ils évoluent professionnellement dans de mauvaises conditions de travail seraient sanctionnables.
Autre parent pauvre de cet ANI : la prévention primaire, qui recouvre l'ensemble des plans d'action concrets destinés à diminuer les risques professionnels, dont les risques psychosociaux (RPS), que l'accord définit comme l'ensemble des facteurs de risque de stress au travail pouvant notamment entraîner le burn out, la dépression, le suicide.
Le texte souligne que les RPS ont des « causes multiples », une façon de transférer les conséquences des organisations pathogènes du travail vers les conditions de vie et habitudes de vie des salariés. Aucun nouveau droit n'est créé en termes de prévention, dont l'évaluation s'appuie sur le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), un outil qui existe déjà dans les entreprises.
L'ANI stipule uniquement que les employeurs « sont incités […] à développer des actions de prévention ». Le patronat s'obstine toujours à refuser l'intervention des salariés dans l'organisation du travail, alors qu'ils en sont les premiers experts. « L'organisation du travail reste la prérogative de l'employeur alors que, pour nous, une véritable prévention sur les risques psychosociaux se base sur la possibilité des travailleurs de parler et d'organiser leur travail », rappelle Jérôme Vivenza.
Le ministère du Travail a estimé à 4 % du PIB le coût du mal-travail pour la Sécurité sociale et la collectivité. Seule avancée minime, le texte liste les risques dits « classiques » (physiques, chimiques, biologiques, d'accidents liés aux contraintes de situations de travail). Concernant le risque chimique, l'accord prône une meilleure traçabilité afin d'évaluer la polyexposition des salariés et, ainsi, « repérer » ceux devant faire l'objet d'un suivi post-professionnel.
Conséquence de la crise du coronavirus, « d'autres risques extérieurs » sont évoqués dans le texte, comme les risques « sanitaires ou environnementaux » pouvant « venir percuter l'activité de l'entreprise », et pour lesquels « les consignes de crise des pouvoirs publics [prennent] le relais de la réglementation ordinaire ».
Plusieurs autres points constituent une dégradation des droits et des moyens alloués aux travailleurs pour protéger leur santé et prévenir les risques. Pour pallier la pénurie de médecins du travail (moins de 5 000 professionnels dont de nombreux proches de la retraite), les employeurs souhaiteraient transférer le suivi médical des travailleurs à la médecine de ville, qui pourra suppléer les personnels de santé au travail « pour les visites médicales périodiques et de reprise du travail ».
Une manière de nier la spécificité de la médecine du travail, qui connaît la réalité des métiers et les risques liés à tel ou tel poste de travail. Le patronat entend par ailleurs faire du système de santé au travail un outil à son service : « Nous avons rappelé que ces SSTI (services de santé au travail interentreprises) avaient une mission de service public et d'intérêt général. Nous demandons leur rattachement à la Sécurité sociale, afin de pouvoir mettre en œuvre une véritable politique de santé au travail, avec un partage des données », a rappelé Jérôme Vivenza.
Les travailleurs n'ayant pas la chance d'avoir de représentants syndicaux vont aussi voir les prérogatives de leurs derniers soutiens, les préventeurs des Carsat (caisses d'assurance retraite et de la santé au travail), affaiblies. Ces derniers avaient déjà vu leurs missions mises à mal par la suppression de leurs moyens de fonctionnement. Les comités régionaux d'orientation des conditions de travail (Croct) souffrent aussi d'un manque de moyens : pour siéger, les représentants du personnel prennent souvent sur leur temps personnel ou celui alloué à d'autres instances.
Cette négociation est passée à côté de l'essentiel : la prévention primaire et une réelle possibilité pour les travailleurs d'agir sur l'organisation de leur travail pour qu'il ait du sens et une utilité. Aucune amélioration n'est non plus apportée au droit d'expression des travailleurs. Selon la CGT, tout travailleur devrait pouvoir s'exprimer sur son travail, sans risquer de subir une sanction ou une discrimination.
Le droit d'alerte devrait être à disposition de tous les salariés et s'appliquer aux questions de santé publique et de santé environnementale. La CGT milite aussi en faveur d'un accord incluant de nouveaux droits, comme, par exemple, le rattachement des services de santé au travail et de la médecine du travail à la Sécurité sociale, afin de mettre en œuvre une grande politique de santé au travail en toute indépendance.
L'organisation se bat également afin de promouvoir le retour des CHSCT, de surcroît dotés de plus de compétences, notamment sur l'impact environnemental des entreprises. La formation des représentants du personnel, les ébauches de traçabilité et les expressions de bonnes intentions constituent de bien maigres avancées qui ne peuvent justifier un tel accord régressif. Reste que les dispositions de cet ANI devront être transposées dans la loi. Une proposition de loi sur la santé au travail, portée par la députée LREM Charlotte Lecocq, est d'ores et déjà sur les rails.
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