À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
Gaza

« Une mort lente et calculée de la population »

21 août 2025 | Mise à jour le 22 août 2025
Par | Photo(s) : Mahmoud Issa / Reuters
« Une mort lente et calculée de la population »

Samah Matar, une mère palestinienne déplacée, tient dans ses bras son fils Youssef, souffrant de malnutrition et de paralysie cérébrale, dans une école où ils s'abritent en pleine crise alimentaire, à Gaza, le 24 juillet. 18,5% des enfants de la ville de Gaza souffrent de malnutrition aigüe du fait du blocus.

L’opération militaire terrestre israélienne visant à prendre le contrôle de la ville de Gaza a démarré. Ce déploiement militaire, qui va entraîner de nouveaux déplacements forcés des populations civiles, risque d'aggraver les souffrances des Gazaouis dans un contexte de famine quasi généralisée due au blocus de l'aide humanitaire. La présidente d’Amnesty International France, Anne Savinel-Barras, nous alerte sur la dégradation des conditions d’existence dans la bande de Gaza et l’usage « délibéré » de la famine pour détruire le peuple gazaoui. L’ONU a pour sa part officiellement déclaré ce vendredi 22 août une situation de famine à Gaza, la première à toucher le Moyen Orient, avec 500 000 personnes concernées. 

Le plan d'opération militaire terrestre de Benyamin Nétanyahou visant à prendre le contrôle de la ville de Gaza démarré. Quelles sont les craintes que suscite ce projet militaire ?

C'est une opération extrêmement dangereuse pour la population gazaouie. La population à Gaza est dans un état de faiblesse alarmante : elle est affamée, sans soins, et subit des conditions de vie abominables. Ce sont des personnes qui ont déjà pour la plupart été déplacées à de très multiples reprises et qu'on va donc amener à se déplacer une nouvelle fois dans des conditions extrêmes, à pied, avec les enfants, les personnes âgées, handicapées. Ces déplacements forcés sont interdits en droit international et sont par ailleurs absolument inhumains, considérant l'état de la population de Gaza.

Quelle est la visée de ce plan ?

Depuis le début des attaques menées sur Gaza, le gouvernement israélien a montré son souhait de détruire ce territoire. Avec cette volonté de faire entrer les forces terrestres dans la ville de Gaza, l'armée israélienne augmente sa pression avec le même objectif : vouloir chasser à tout prix les personnes de chez elles, nettoyer le territoire de Gaza. On pousse depuis le début la population vers le sud. On peut parler de nettoyage ethnique. Mais cela est assorti d'actes génocidaires.

Quels sont les actes génocidaires dont Amnesty International accuse le gouvernement israélien dans ses rapports ?

Le génocide en droit international est décrit comme la volonté de détruire un groupe de personnes protégé, ethnique ou religieux, en partie ou en totalité. Il existe cinq actes génocidaires dans le droit international, mais un seul de ces cinq actes suffit à caractériser une situation de génocide. Dans notre rapport de décembre 2024, nous en avons décrit et étayé trois. Le premier acte génocidaire est celui du meurtre des personnes qui font partie d'un groupe. Nous avons cité les bombardements indiscriminés en pleine nuit sur des immeubles et des quartiers habités.

Les conditions de vie qui se sont installées à Gaza amènent à la mort lente et calculée de cette population et contribue à la faire disparaître.

Le deuxième acte est celui de porter des atteintes graves et durables à l'intégrité physique ou mentale des personnes membres du groupe protégé visé. Dans ce cadre, on peut mentionner toutes les blessures graves, telles les nombreuses amputations, mais aussi les traumatismes psychiques liés notamment aux bombardements et déplacements incessants. Les enfants gazaouis sont extrêmement traumatisés, leur santé mentale est très inquiétante. Le troisième acte est le fait de placer une population ciblée dans des conditions de vie incompatibles avec la vie et même la survie, ce qui amène obligatoirement à sa disparition. Les déplacements forcés répétés que subissent les Palestiniens en font partie, tout comme la famine qui leur est imposée, les bombardements de toutes les structures essentielles à l'avenir de ce peuple, les empêchements à la naissance et à la survie des enfants, etc.

Beaucoup d'ONG, dont la vôtre, accusent le gouvernement d'affamer volontaire la population de Gaza. Vous parlez d'usage de la famine comme d'une « arme de guerre ».

Oui, la famine à Gaza est délibérée, il y a une politique délibérée d'affamer la population palestinienne. Le fait de provoquer une famine est une infraction majeure au droit international et constitue un acte génocidaire. Elle est la conséquence des restrictions drastiques de livraisons d'aides humanitaires, pourtant absolument indispensables à l'alimentation avec aussi un blocage des médicaments et des fournitures médicales. Quand les hôpitaux réclament des antibiotiques ou des immunoglobulines pour les maladies qui se déclenchent à cause des infections et qu'on leur refuse la livraison de médicaments essentiels pour sauver des vies, aider des enfants malnutris, et qu'on leur refuse, c'est forcément délibéré.

Cette famine organisée provoque une catastrophe sanitaire, avec de plus en plus d'enfants en situation de malnutrition aiguë. Des personnes âgées nous disent, je suis un poids pour ma famille… L'absence de médicaments et de nourriture met en danger les enfants, les personnes handicapées, porteuses de maladies chroniques, les personnes âgées, les femmes enceintes ou qui allaitent.

Vous dites que le gouvernement israélien ne peut pas ignorer la dépendance à l'aide humanitaire d'une population de deux millions enfermée dans cette enclave.

Le blocus total a été instauré le 2 mars. Depuis, il y a très peu de camions qui entrent. Il y a actuellement quatre lieux de distribution de nourriture qui sont contrôlés par l'armée israélienne avec l'assistance d'une fondation américaine. On sait que ces points de distribution sont aussi des lieux de mort, puisque l'armée tire à vue sur les personnes qui viennent chercher à manger. La présence des soldats armés, qui ont ordre de tirer sur la foule, est complètement incompatible avec la distribution humanitaire.  On a des témoignages de personnes qui reviennent de ces centres de distribution avec des sacs de farine maculés de sang.

Israël est en train de détruire l'entraide qui caractérise les Gazaouis. Ils nous disent : ils nous ont réduit en cage et nous prennent notre humanité. Parce que quand on a faim, quand on joue sa vie, il n'y a plus d'entraide qui existe, c'est chacun pour soi.

l y a aussi eu une destruction systématique des infrastructures sanitaires et notamment celles qui servent à rendre l'eau potable. Les terres agricoles, les serres, le bétail ont été détruit. Ainsi que les écoles et les universités. Mais aussi les centres historiques, les musées, les églises, les mosquées, les cimetières, qui ont été rasées. Gaza est un champ de ruine. On a détruit à la fois le passé des Gazaouis, leur histoire, leur présent et leur avenir. Car quel pourra être l'avenir de ce peuple qui aujourd'hui n'a plus rien ?

De nombreux ministres du gouvernement Netanyahou, ainsi que des députés de la Knesset, ont fait des déclarations qui s'apparentent à des appels au génocide. Ils ont notamment appelé à « effacer Gaza de la surface de la terre ».

Oui, on a aujourd'hui suffisamment d'éléments pour démontrer l'intentionnalité du génocide. Le gouvernement ne peut pas ignorer la densité de population sur les endroits qui ont été bombardés. Car Gaza, c'est un mouchoir de poche. Dans un conflit armé, il y a obligation pour l'armée occupante de protéger les civils, les attaques indiscriminées sont interdites. Le gouvernement israélien se défend en disant, ce sont des dommages collatéraux. Mais quand bien même ils viseraient spécifiquement des responsables du Hamas, ils ont l'obligation de protéger la population.

Quant à la difficulté de faire admettre qu'un génocide est en train de se produire, je pense qu'il y a plusieurs raisons à cela. Le mot génocide est un mot très fort historiquement et symboliquement. On sait très bien qu'ici en France, en Europe, il fait référence à des moments extrêmement difficiles de notre histoire. Or nous, nous utilisons le mot génocide dans sa définition juridique sur le plan du droit international.

Amnesty International a condamné très fermement les actes qui ont eu lieu le 7 octobre, qui étaient des actes atroces, injustifiables, et qui constituent des crimes de guerre. Pour autant, ces crimes ne peuvent pas justifier le génocide.

Nous accusons la politique de Netanyahou et nous dénonçons l'amalgame qui est fait parfois entre les actes du gouvernement israélien et le peuple d'Israël ou pire encore, avec toutes les personnes de confession juive. Bon nombre d’entre elles dénoncent par ailleurs ce qui est en train de se passer à Gaza et disent : ce n'est pas en notre nom.

Le journaliste Anas Al Sharif et quatre autres journalistes de la chaîne Al Jazeera ont été assassinés dans une frappe israélienne ciblée sur leur tente presse. Cet acte a été revendiqué par Tsahal. Il existe une volonté délibérée de faire taire les journalistes qui documentent les crimes à Gaza ?

Plus de 200 journalistes ont été tués à Gaza depuis le début du conflit. Anas Al Sharif était témoin de violations des droits humains et il remontait ces informations avec beaucoup de courage. Il était connu des Palestiniens et leur redonnait de l'humanité. Ce n'est pas pour rien que l'armée israélienne interdit toute entrée de journalistes à Gaza. Les seules informations proviennent des journalistes palestiniens qui sont sur le territoire et qui font remonter des informations qui dérangent le gouvernement. On a tué ces cinq journalistes, comme on a tué la photographe qui avait fait l'objet d'un documentaire projeté à Cannes. C'est insupportable.

Quelles réactions attendez-vous aujourd’hui de la communauté internationale ?

Des réactions certainement beaucoup plus fortes qu'elles ne le sont aujourd'hui et qui ne sont pas à la hauteur de l'horreur en cours. On attend de la communauté internationale qu'elle respecte en premier lieu le droit international et la décision de la Cour pénale internationale en poursuivant Netanyahou. Tout comme on voudrait que le gouvernement français soit plus clair sur le fait de ne pas livrer d'armes et de composants d'armes à Israël. Cela me donne l'occasion de saluer l'action des dockers qui est absolument formidable. C'est un exemple de ce que nous pouvons faire, nous, société civile. Car nous devons nous mobiliser ensemble, au-delà de nos différences, pour faire pression sur nos gouvernements.