Philippe Martinez. Outre la rentrée sociale et les journées d'actions et de mobilisations des 22 et 29 septembre, le secrétaire général de la CGT évoque l'institutionnalisation de l'extrême droite, l'urgence climatique et sa future succession.
Les mesures de pouvoir d'achat ont été adoptées cet été. On sait la CGT très critique quant à certaines mesures comme la monétisation des RTT ou encore la suppression de la redevance, mais aucune des annonces faites ne trouvent-elles grâce à tes yeux ?
On voit bien que c'est parce qu'il y a des mobilisations que le gouvernement et le patronat sont contraints de lâcher du lest sur la question des salaires même si les mesures annoncées sont largement insuffisantes. Dans beaucoup d'entreprises des augmentations générales ont été obtenues mais nous sommes évidemment loin du compte ! Pour la fonction publique, qui a vu son point d'indice revalorisé, on peut se féliciter : 12 ans qu'il n'avait pas augmenté ! Aujourd'hui, l'idée qu'il faut des augmentations individuelles ou des salaires au mérite a pris du plomb dans l'aile !
Une loi sur le pouvoir d'achat sans une seule mesure sur les salaires, c'est quand même …. Fort !
Cela dit, la hausse du point d'indice n'est même pas au niveau de l'inflation, même remarque pour la hausse des pensions de 4%… Il faut donc de vraies mesures collectives d'augmentation générale avec un socle commun qui est le Smic, lequel là aussi est loin d'être au niveau des besoins. Dès début juillet, la CGT proposait dix mesures phares (voir Ensemble numéro septembre 2022) sur les salaires et le pouvoir d'achat comme l'augmentation du Smic à 2000 Euros bruts soit l'équivalent de 15 euros de l'heure, l'obligation de relever les minima de branches au-delà de l'augmentation du Smic, l'égalité salariale, une indemnisation pour tous les chômeurs etc.
La CGT a proposé sa propre loi sur les salaires et le pouvoir d'achat : pas question qu'une fois de plus, les exonérations de cotisations sociales, les baisses d'impôt le plus souvent pour les plus fortunés ou des primes ponctuelles soient la réponse à la baisse du pouvoir d'achat des Français. Une loi sur le pouvoir d'achat sans une seule mesure sur les salaires, c'est quand même …. Fort !
A ce sujet, l'agenda de la rentrée s'annonce chargé avec une mobilisation le 22 septembre sur les enjeux de santé et une autre en interprofessionnelle le 29 septembre sur la question des salaires. Dans quel cadre se bâtit cette dernière journée, sera-t-il unitaire ?
Elle se prépare bien évidemment en lien avec le sujet précédent. Outre le prix de l'essence et celui de l'alimentation, beaucoup n'en peuvent plus, n'y arrivent plus. Les queues devant les aides alimentaires n'ont pas baissé ! on prépare donc cette journée pour exiger du gouvernement de réelles mesures en faveur du pouvoir d'achat. A ce stade, cette journée se prépare avec Solidaires et les organisations de jeunesse mais rien n'est figé, tout peut encore évoluer*.
L'extrême droite, je le rappelle c'est la chasse aux immigrés, la remise en cause du droit des femmes et un programme économique ultralibéral. La CGT n'ira pas discuter avec eux…
Depuis juin dernier, la nouvelle Assemblée nationale comprend 89 députés du Rassemblement national, ce parti a décroché deux vice-présidences, notamment. Cela veut-il dire que la CGT va devoir discuter avec ce type de formation alors qu'elle s'y est toujours refusée ?
La séquence de la campagne des législatives a été marquée par les tentatives de confusion orchestrées par le gouvernement entre la gauche et l'extrême droite. Il faut une CGT qui réaffirme ses valeurs et marqueurs politiques, pour nous, il est hors de question de banaliser et d'institutionnaliser l'extrême droite et donc d'avoir des contacts quels qu'ils soient avec eux. L'extrême droite, je le rappelle c'est la chasse aux immigrés, la remise en cause du droit des femmes et un programme économique ultralibéral. La CGT n'ira pas discuter avec eux et c'est en ce sens qu'elle a écrit pour expliquer sa démarche.
Un certain nombre de syndiqués CGT a toutefois voté pour le Rassemblement National lors de l'élection présidentielle ou pour les législatives. Sur le terrain, la CGT organise pourtant des formations et ne fait pas mystère de son engagement contre l'extrême droite, que faire de plus ?
Rappelons que la CGT est certes indépendante des partis politiques, mais elle s'exprime sur un certain nombre de choses. La lutte contre le racisme, est par exemple dans les gènes de la CGT.
Evitons de cantonner l'activité du syndicat à des postures qui consistent à donner son avis sur des politiques d'entreprises ou de gouvernements. Certes ce sont des sujets délicats et bien souvent parce que ce sont des sujets délicats, on évite hélas d'en parler ! Les formations sont encore trop destinées à un cercle restreint de militants. Il n'y a pas assez de débats dans les syndicats sur ces questions-là.
Au-delà de la question des valeurs, il nous faut davantage démasquer le programme économique du RN, et dire qu'au-delà de slogans qui peuvent ressembler aux nôtres, que le volet social du RN, c'est de la poudre aux yeux : proposer d'augmenter les salaires en baissant les cotisations, cela fait des décennies que les gouvernements le font, c'est ce que fait la droite, c'est ce que propose le Medef… Le RN ne propose en aucun cas de rééquilibrer le partage des richesses entre le capital et le travail. D'ailleurs ce même RN vient de voter la loi « pouvoir d'achat », tout un symbole !
Malgré tout, la forte présence, dans l'Hémicycle, de députés issus de forces progressistes comme la Nupes est-elle de bonne augure ?
Le fait que le parti présidentiel n'ait pas de majorité absolue et que la coalition de gauche soit importante doit effectivement être un point d'appui pour nous, sur un certain nombre de sujets comme la taxation des profits par exemple. Cela étant l'essentiel est que nous puissions poursuivre et amplifier les mobilisations, sur le sujet des salaires notamment.
La CGT doit ainsi porter plus haut et plus fort la nécessité de conjuguer le social et l'environnemental
Tu as annoncé ne pas vouloir renouveler ton mandat lors du prochain congrès confédéral de Clermont Ferrand de mars 2023, quels défis devra relever la CGT au cours des années à venir ?
Même si les choses sont déjà engagées, la CGT devra accélérer son processus d'ouverture vers la diversité du monde du travail. Bien sûr des choses ont été faites envers les travailleurs sans contrat, ceux des plateformes etc., mais ne prenons pas encore suffisamment en compte cette diversité. Le monde tel qu'il est ne nous plait pas ce n'est pas pour autant qu'il faut laisser de côté ceux qui y travaillent.
Les salariés des TPE PME subissent peut-être encore plus que les autres les transformations du travail ou les pressions des grands groupes, et nous ne sommes pas assez à leurs côtés. La CGT doit aussi davantage s'ouvrir au monde associatif, aux ONG, pour que le rassemblement du monde du travail soit le plus large possible, notamment vis-à-vis de la jeunesse.
La CGT doit ainsi porter plus haut et plus fort la nécessité de conjuguer le social et l'environnemental, si elle ne le fait pas , elle passera à côté de quelque chose, on voit bien la fréquence du dérèglement, climatique, qui doit être une préoccupation majeure pour nous, on ne peut pas opposer questions sociales et environnementales.
Il ne s'agit de culpabiliser les citoyens comme le fait le gouvernement mais de s'attaquer par exemple aux inégalités sociales, à nos modes et nos lieux de production
Le thème est en effet porteur notamment auprès de la jeunesse, mais en interne, il ne va pas sans susciter quelques débats, notamment au sujet du collectif Plus Jamais Ça ! qui comprend en son sein des ONG antinucléaire telle que Greenpeace…
Plus Jamais Ça !
collectif né en janvier 2020, de la volonté de syndicats (CGT, Confédération paysanne, FSU, Solidaires…) et d'associations (Greenpeace, Attac, Oxfam, les Amis de la terre…) de défendre une vision sociale et environnementale de la société.
Je rencontre énormément de syndiqués, j'ai dû en voir plusieurs milliers l'an dernier, nulle part sur le terrain ces questions ne sont vécues comme un problème ! Partout je vois des collectifs qui se constituent avec une CGT qui garde son identité et ses valeurs et qui travaillent avec d'autres. J'ai rencontré à Marseille des camarades qui travaillent dans l'ingénierie du nucléaire, et qui eux aussi se posent des questions quant au sens de leur travail et les moyens qu'on leur donne pour bien le faire.
Mais les questions environnementales ne se limitent pas uniquement au nucléaire dont nous pensons qu'il reste une source de production d'énergie essentielle. L'épisode caniculaire que nous avons vécu et ses conséquences avec par exemple les incendies de forêt, montrent l'urgence de la situation climatique.
Il ne s'agit de culpabiliser les citoyens comme le fait le gouvernement mais de s'attaquer par exemple aux inégalités sociales, à nos modes et nos lieux de production etc. Se pose également la question du rôle et de la place de nos services publics que ce soit dans les collectivités territoriales, dans la santé, l'éducation…
Tu as proposé Marie Buisson, secrétaire générale de la Ferc-CGT, pour prendre ta suite, pour quelles raisons ?
Historiquement dans toutes les organisations de la CGT, quelles qu'elles soient, il y a une proposition faite en matière de succession et généralement elle est faite par celui ou celle qui occupe le mandat. Je n'ai en rien révolutionné cette façon de faire. C'est naturellement le CCN du 53ème congrès qui élira le ou la future secrétaire générale.
Cela étant dit, j'estime que nous avons besoin d'un.e dirigeante expérimentée dans l'animation d'une organisation, sur un champ d'activité qui mérite que la CGT progresse car se développer dans le monde de l'éducation est un enjeu essentiel. Sans omettre le fait que s'il est important de s'adresser aux fonctionnaires de l'éducation, nous devons aussi le faire envers les salariés du privé relevant de ce secteur. Marie symbolise aussi ce que j'ai décrit avant, à savoir une CGT ouverte aux enjeux sociaux et environnementaux, Marie a travaillé à mes côtés au sein du collectif Plus Jamais Ça !
Enfin, on peut avoir tous les discours du monde sur le besoin d'égalité entre les femmes et les hommes, mais une organisation telle que la nôtre, après 127 ans d'existence doit enfin avoir une femme à sa tête, surtout dans une période où les droits des femmes sont remis en cause partout dans le monde, mais pas seulement…
Marie est une féministe convaincue. Nous en avons besoin. Nous évoquions tout à l'heure le Rassemblement national, rappelons au passage que certains de ses députés sont des militants anti-IVG, sont contre le mariage pour tous, ont des réserves sur la contraception et sur la place des femmes dans le monde du travail.
*entretien réalisé le 23 aout 2022