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SÉCURITÉ SOCIALE

Sécu d'Orléans (CPAM) : une journée comme une autre

30 juillet 2025 | Mise à jour le 30 juillet 2025
Par | Photo(s) : ©CPAM-75 Brigitte POSTEC
Sécu d'Orléans (CPAM) : une journée comme une autre

Depuis que la Cnam roule sur la voie de l’automatisation et de la dématérialisation, les agents d’accueil ne peuvent plus apporter de réponses immédiates aux usagers. Reportage dans la CPAM du Loiret.

Depuis que la Cnam roule sur la voie de l'automatisation et de la dématérialisation, les agents d'accueil ne peuvent plus apporter de réponses immédiates à des usagers excédés par les paiements tardifs, les dossiers égarés et les demandes absurdes. Reportage dans la CPAM du Loiret.

Une sculpture en bronze du général de Gaulle a été dévoilée le 8 mai 2025 sur la place qui porte son nom à Orléans. C'est également à cette adresse que se trouve la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Loiret. Une proximité somme toute naturelle si l'on songe à la déclaration aux mouvements de résistance écrite par le Général et publiée dans la presse clandestine en juin 1942 : « Nous voulons que les Français puissent vivre dans la sécurité. […] À l'intérieur, il faudra que soient réalisées, contre la tyrannie du perpétuel abus, les garanties pratiques qui assureront à chacun la liberté et la dignité dans son travail et dans son existence. La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués. »

Aujourd'hui, les agents de cette caisse ont-ils encore les moyens de remplir correctement leurs missions de sécurité sociale ? Les élus CGT du comité social et économique (CSE) sont persuadés du contraire : « Ici, plus rien ne relève ni de la sécurité, ni du social, affirme Geneviève *, agent d'accueil. Nous avons assisté à une telle modification de nos emplois que nous en arrivons parfois à mettre les assurés dans la précarité au lieu de les en sortir. » L'État et la Cnam ont signé en 2023 une nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG), valable jusqu'en 2027. Au nombre de ses six objectifs, celui de « demeurer un service public facilement accessible par l'accueil physique, par l'accueil téléphonique ou par le déploiement de services numériques pour continuer à répondre aux besoins de ses assurés. » La phrase suivante laisse peu de doute sur la manière d'y parvenir : « En matière de relation avec les assurés, l'usage du compte Ameli sera privilégié avec une offre de services élargie et personnalisée. » Comme le résume Geneviève, « on ne veut plus recevoir les assurés mais on laisse les portes ouvertes ».

Aide-toi, le ciel t’aidera

Lorsqu'ils se présentent à la CPAM du Loiret, ceux des assurés possédant déjà un compte n'ont donc pas la possibilité d'échanger avec un agent d'accueil. Ils sont invités à se rendre à la borne multiservice extérieure accessible 24 heures sur 24, éventuellement munis d'un code donné à l'accueil s'ils ont besoin, par exemple, d'obtenir une attestation d'assuré. « Si les personnes ne parviennent pas à se débrouiller toutes seules, nous n'avons même pas le droit de sortir pour les aider, regrette Chloé, agente d'accueil. Il arrive que les agents de sécurité leur donnent un coup de main, alors que cela ne relève pas de leurs attributions. »

« Nous n’avons plus accès au dossier de l’assuré et nous ne lui donnons aucun renseignement. Beaucoup de personnes ignorent qu’il faut un rendez-vous préalable pour être reçu directement. » Chloé, agente d’accueil

Lili, assurée de 57 ans, longue natte blonde et yeux bleus, souligne que celui qui est venu à son secours était « gentil et poli ». Jean-David, 20 ans, et Franck, 19 ans, n'ont pas eu besoin d'aide. Et ils ont bien retenu la leçon : assis au pied de la silhouette filiforme du général de Gaulle, ils sont déjà en train de créer leur compte dans la foulée, « tranquille », selon Franck. À l'intérieur, une seconde ligne d'attente mène certains visiteurs aux agents d'accueil. En collant son visage à la vitre de séparation, une main au-dessus des yeux, une femme aux cheveux gris tente d'estimer leur nombre. Elle constate, affligée, qu'ils sont déjà une quinzaine. « Je veux juste un renseignement ! » confie-t-elle. Malheureusement, elle risque bien de ne pas l'obtenir.

« Nous n'avons plus accès au dossier de l'assuré et nous ne lui donnons aucun renseignement, explique Chloé. Beaucoup de personnes ignorent qu'il faut un rendez-vous préalable pour être reçu directement. Aux autres, nous fixons un rendez-vous téléphonique qui durera environ quinze minutes. Le problème est que nous recevons beaucoup de personnes ne parlant pas français. On leur dit d'avoir un traducteur à côté d'eux au moment du rendez-vous téléphonique, mais ça n'est pas toujours possible. »

Aujourd'hui, Joana, 17 ans, est venue à la CPAM avec sa mère, Sylvia, car cette dernière ne s'exprime qu'en portugais. « Ça me fait plaisir de l'accompagner, mais je trouve qu'il faudrait prévoir des bornes à l'intérieur pour que les personnes soient aidées, ou alors que les employés de la Sécurité sociale maîtrisent plusieurs langues, propose la jeune fille. Ce serait normal, puisque la France est un pays qui accueille beaucoup d'étrangers. »

Depuis que la Cnam roule sur la voie de l'automatisation et de la dématérialisation, les agents d'accueil ne peuvent plus apporter de réponses immédiates aux usagers. Reportage dans la CPAM du Loiret.

©Vincent Isore. Pour Cécile Velasquez, la politique d'automatisation vise essentiellement à supprimer des postes d'agents, au détriment du service rendu aux usagers.

Le fait que la vingtaine d'employés affectés à l'accueil n'ait plus la main sur le dossier des assurés est lourd de conséquences. « Avant, nous avions accès à une application permettant de vérifier, par exemple, que l'employeur avait bien envoyé les attestations de salaire en cas d'arrêt, poursuit Chloé. Certains repartaient avec un paiement, ce qui était plus confortable pour eux. »

Annalia, 42 ans, toute de jean vêtue, cheveux rouges et bracelet assorti, n'en espérait pas moins aujourd'hui. Mais, lorsqu'on lui demande comment cela s'est passé à la CPAM, elle pose une main sur son front et s'exclame : « Oh là là ! Je n'ai toujours pas été payée alors que j'ai été en arrêt maladie en novembre dernier, après un accident du travail, et en janvier, à cause d'une opération. Mon employeur a pourtant fourni les attestations de salaire, mais il manque toujours un papier. Je suis endettée de 1 600 euros pour mon loyer et je ne mange pas. Comment je fais avec trois enfants à charge ? Avant, on venait et on voyait quelqu'un. Ça se passait bien. Là, j'ai un rendez-vous téléphonique cet après-midi. Je suis désespérée. Il vaut mieux éviter d'être malade, en fait. »

Le triangle des Bermudes

Ces papiers qui ne parviennent pas à la CPAM ou s'égarent : légende ou réalité ?

L'applicatif Diadème, un logiciel employé par l'utilisateur, est censé numériser les documents envoyés par l'assuré. « Parfois, cela ne fonctionne pas, mais il ne faut jamais dire que l'on a perdu un dossier, assure Samantha, agente d'accueil. Certains assurés en viennent même à se filmer en train de déposer des documents dans la boîte aux lettres pour prouver qu'ils l'ont bien fait ! » On ne saura pas si ce vieux monsieur aux longs cheveux blancs fera de même. Malgré sa canne, il se dirige en hâte vers La Poste et n'a qu'un adjectif pour qualifier le service rendu par l'Assurance maladie : « Catastrophique ! C'est la quatrième fois qu'ils me demandent un RIB… que je leur ai déjà fourni. »

« Je marche sur des œufs quand je dois annoncer à un assuré que le paiement ne tombera que dans plusieurs mois, témoigne Vincent, agent d'accueil. J'ai peur d'être un jour victime de violences physiques », Vincent, agent d'accueil.

Dans sa robe à fleurs marron et bleues, Fatiha, 51 ans, fait part de sa perplexité. « Je suis venue parce que ma fille de 19 ans n'a toujours pas de carte Vitale et elle en a besoin pour son inscription à l'université. Elle est déjà passée la semaine dernière. Les agents ne savent rien et n'ont pas trouvé le dossier. Combien de temps ça va prendre ? Nous sommes espagnols et, en Espagne, c'est plus facile. » Le délai de traitement des dossiers est un problème récurrent. « S'agissant d'un accident du travail, nous avons trente jours pour statuer, précise Geneviève. Mais lorsqu'on ne reçoit pas tous les documents nécessaires, on se donne au maximum deux mois de plus. »

« Je marche sur des œufs quand je dois annoncer à un assuré que le paiement ne tombera que dans plusieurs mois, témoigne Vincent, agent d'accueil. J'ai peur d'être un jour victime de violences physiques. En fait, j'ai l'impression qu'on attend que ça arrive pour changer les choses. » Des actes de violence se manifestent déjà. Quelques jours avant ce reportage, deux assurés, se disputant la même place dans la file d'attente, en sont venus aux mains.

Depuis que la Cnam roule sur la voie de l'automatisation et de la dématérialisation, les agents d'accueil ne peuvent plus apporter de réponses immédiates à des usagers excédés par les paiements tardifs, les dossiers égarés et les demandes absurdes. Reportage dans la CPAM du Loiret.

©CPAM-75 Brigitte POSTEC. Face aux nouvelles organisations de travail, les agents témoignent d'une perte de sens et se sentent déqualifiés.

Un autre jour, on constatait que les vitres situées au premier étage des locaux de la CPAM avaient été vandalisées durant la nuit par un individu filmé par des caméras de sécurité. Inquiets, les élus CGT du CSE avaient déjà lancé en janvier dernier un droit d'alerte lors d'une commission de santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). « Nous n'avons eu le résultat de l'enquête qu'au mois de mai, déplore Geneviève. À en croire la direction, il n'y avait pas urgence puisqu'on n'était pas dans le cas d'un “salarié au bord d'une fenêtre”. » Les élus n'ont pu consulter la lettre de mission, confiée à un cabinet extérieur. Les conclusions, évoquant « une organisation syndicale meneuse », « un rejet de l'autorité et une opposition systématique » ou encore « un encadrement isolé et fragilisé par le clan des opposants », laissent peu de doute sur les changements qui résulteront de ce droit d'alerte : probablement aucun.

Big Brother

Pourtant, les conséquences de cette situation sur la santé mentale des agents d'accueil sont réelles. S'agissant du service accueil, le bilan 2024 de la psychologue du travail note : « Les salariés se sentent en difficulté, principalement parce qu'ils doivent fixer des rendez-vous pour les usagers au lieu de les aider dans leur questionnement. » La première problématique rencontrée par les agents est celle de la perte de sens. Chloé travaillait auparavant dans un bureau. Elle a choisi d'exercer à l'accueil par goût du service rendu. « Certains assurés me demandent à quoi on sert, confie-t-elle. Ça fait mal alors qu'on se démène avec les moyens du bord. »

« Ce système a ses limites. Je trouve que, dans certains cas, il manque un côté humain. », Colette.

Quant à Samantha, elle est exténuée de devoir se justifier auprès de ses superviseurs pour chaque demande en faveur d'un assuré. « C'est Big Brother. Je me sens traquée », confie-t-elle. Plusieurs agents ont également la sensation d'être déqualifiés. « Nous sommes capables d'instruire des dossiers, plaide Chloé. Alors, pourquoi nous déposséder de cette faculté ? Si je devais travailler ailleurs, je ne sais même pas quelles compétences je pourrais mettre en avant. » Un coach est intervenu auprès des salariés de la CPAM du Loiret, mais ces derniers ont déploré « que cela se fasse sans aborder l'origine des problématiques », souligne la psychologue du travail.

Pour Cécile Velasquez, secrétaire générale de la fédération CGT des personnels des organismes sociaux, cette politique d'automatisation vise essentiellement à supprimer des postes d'agents. « Lorsque le logiciel Arpège de calcul des indemnités journalières a été utilisé en test en Vendée et en Loire-Atlantique, en fin d'année dernière, l'objectif était de se passer d'environ 200 postes au niveau national, précise-t-elle. Le problème est que 5 000 personnes se sont retrouvées sans indemnités à cause de ce logiciel. Et maintenant, il faut plus de 200 agents pour résoudre cet échec… » Un nombre important de permanences de la CPAM ont également été supprimées ces dernières années.

Depuis que la Cnam roule sur la voie de l'automatisation et de la dématérialisation, les agents d'accueil ne peuvent plus apporter de réponses immédiates aux usagers. Reportage dans la CPAM du Loiret.

©Vincent Isore

Dans le département du Loiret ne subsistent plus que celles d'Orléans, de Gien, de Montargis et de Pithiviers, alors qu'il y en avait une vingtaine. « La Caisse nationale d'assurance maladie veut que le relais soit pris par les permanences France Services, explique Cécile Velasquez. Mais c'est un très mauvais palliatif. Elles dispensent un accompagnement pour les démarches administratives en ligne et aident les usagers à créer des espaces personnels pour les impôts, la retraite, le logement… Mais elles ne peuvent pas agir sur le dossier de l'assuré. Il faut également avoir en tête les zones blanches du territoire, dans lesquelles le réseau est insuffisant pour télécharger un dossier. »

En cette journée ensoleillée de mai, Colette, 72 ans, est passée à la CPAM du Loiret avec une triste mission : déposer l'avis de décès de sa belle-sœur. Un vigile lui a indiqué de le glisser dans la boîte aux lettres extérieure. « Je lui ai demandé si c'était fiable, raconte-t-elle. L'enveloppe contient quand même l'ancienne carte Vitale de ma belle-sœur. » Que pense-t-elle de la dématérialisation des démarches de la Sécurité sociale ? « Comme j'ai travaillé dans un bureau plus de trente ans, j'ai l'habitude de tout faire en passant par mon compte Ameli. Mais ce système a ses limites. Je trouve que, dans certains cas, il manque un côté humain. »

* Tous les prénoms ont été changés.

Cet article est tiré de la Vie Ouvrière #14 : « La Sécu, une idée toujours révolutionnaire »