Après la crise sanitaire, des mesures urgentes s'avèrent indispensables pour enrayer la crise économique et sociale. Mais au-delà, il s'agit aussi de construire un projet de société respectueux des droits sociaux et de l'environnement, et permettant une mondialisation fondée sur les solidarités. Alors que pour le Medef le monde d'après ressemble furieusement au monde d'avant, la bataille est engagée.
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C'était le 13 avril dernier. Tandis que face à la pandémie le pays, comme la majeure partie du monde, vivait confiné, Emmanuel Macron annonçait : « Nous retrouverons Les Jours heureux. » Une référence explicite au programme du Conseil national de la Résistance pourtant aux antipodes de la politique menée jusqu'à présent par l'actuel locataire de l'Élysée. De fait, la crise sanitaire inédite que le monde continue d'affronter a mis tragiquement en lumière l'impasse des politiques libérales, imposant un changement de cap radical.
Il suppose à la fois des mesures d'urgence face à la crise économique et sociale en cours, mais aussi un autre projet de société et de relations internationales, respectueux des droits humains, de l'environnement et de la biodiversité, fondé sur les solidarités.
La CGT, comme d'autres organisations et avec certaines d'entre elles, s'est attelée à élaborer des propositions en ce sens qu'elle soumet au débat. Mais ni le Medef ni l'exécutif ne sont prêts à renoncer à leurs vieilles antiennes et s'appuient même sur les conséquences de la crise pour tenter une nouvelle fois d'en faire payer la facture aux travailleurs et, au-delà, de mettre en cause leurs droits plus durablement. La lutte pour le Jour d'après a déjà commencé.
L'appel élyséen à l'unité nationale
La référence d'Emmanuel Macron au programme du Conseil national de la Résistance (CNR) n'est pourtant pas qu'anecdotique. Adopté en mars 1944 par les représentants des organisations fondatrices du CNR – dont Louis Saillant pour la CGT –, le programme des Jours heureux prévoyait à la fois un « plan d'action immédiate » pour la Résistance et des réformes majeures fondées, notamment, sur l'élargissement de la démocratie et le recul des inégalités.
À l'inverse, la politique mise en œuvre par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir, qui approfondit les réformes libérales de ses prédécesseurs, a consisté à démanteler le droit du travail, asphyxier les services publics – à commencer par l'hôpital ou la recherche –, restreindre les droits des privés d'emploi, réformer notre système de retraite, désarticuler la Sécurité sociale pour en transférer des pans entiers au marché de l'assurance privée, ou encore organiser la répression antisyndicale et des mouvements sociaux.
La recherche de profit à court terme s'est accélérée au détriment de l'emploi, des investissements en R&D, des salaires, de l'environnement. La politique du flux tendu et les délocalisations dans une logique de dumping social, écologique et fiscal ont contribué aux pénuries désastreuses de masques ou de respirateurs de réanimation… en dépit des dénégations officielles. Dans ce contexte, citer les Jours heureux, c'est tenter de faire oublier ces politiques et leurs conséquences, et d'enrôler le pays dans un consensus national. En quelque sorte, l'épisode 2 de la série « Nous sommes en guerre. »
La facture de la crise
Mais ce nouvel épisode commence mal. Déjà, dès le début de la crise, l'Élysée avait fait adopter un « état d'urgence sanitaire » lui conférant des pouvoirs spéciaux et lui permettant de décider par ordonnances des mesures dérogatoires au Code du travail bien au-delà de la période de confinement. Aujourd'hui, les soignants sont renvoyés à leurs médailles et au don de jours de congés par d'autres salariés. À la crise sanitaire succède le risque d'une crise économique et sociale d'ampleur.
Alors qu'une grande partie de l'économie a subi deux mois d'arrêt, l'État a trouvé les moyens d'aider nombre d'entreprises et de financer le chômage partiel, lequel a permis aux salariés de ne pas perdre l'intégralité de leurs revenus, sans rien coûter aux entreprises. Ce qui a aussi sauvé des emplois et des compétences. Le gouvernement se dit prêt à convertir en exonérations le report de cotisations sociales et de taxes fiscales de milliers d'entreprises.
L'Union européenne, elle, a fait voler en éclats ses règles budgétaires jusqu'alors intangibles. Question de choix politique et non d'absence ou non d'alternative, donc. Habitué aux diatribes contre les déficits publics, le Medef s'est réjoui cette fois de la largesse de l'État et de l'ampleur des aides publiques. Le gouvernement aurait pu les conditionner au respect des droits sociaux et des normes environnementales. Il n'en a rien été. Reste qu'une récession historique est annoncée et que le chômage explose dans un contexte d'inégalités accrues.
En avril, il a fait un bond de plus de 22 points en catégorie A, pour les trois quarts du fait d'une bascule des chômeurs en activité réduite. Des dizaines de milliers de jeunes s'inquiètent pour leur entrée sur le marché du travail. La Banque de France a même envisagé (le 9 juin) un taux de chômage supérieur à 11,5 % en 2021. Dans cette situation, deux visions s'affrontent.
Pour la CGT, il s'agit d'abord de mettre en œuvre des mesures d'urgence pour soutenir les plus précaires et les entreprises réellement menacées. Parmi les mesures à prendre : l'abandon de la réforme de l'assurance chômage (ce que demande l'ensemble des organisations syndicales), la prolongation d'un an renouvelable des allocataires, le paiement intégral du chômage partiel, l'élargissement du RSA aux jeunes de moins de 25 ans… Mais aussi l'augmentation des salaires (voir page 32), des pensions et des minima sociaux.
À l'inverse, pour le grand patronat, la situation économique supposerait de réclamer davantage d'efforts aux travailleurs pour rattraper le manque à gagner. Comme après la crise de 2008, à eux de payer la facture. Certes, le Medef a (re)découvert l'importance d'une politique de la demande, quitte à solliciter la puissance publique. Mais, dans un entretien aux Échos le 10 juin, Geoffroy Roux de Bezieux, le patron du Medef, n'en réclame pas moins un déconfinement et une reprise plus rapides du travail. Et le Medef enfourche de vieux chevaux de bataille, comme l'augmentation du temps de travail.
La bataille du temps de travail
La loi d'urgence sanitaire a permis au patronat d'obtenir des dérogations aux limites du temps de travail des salariés. Insuffisant pour Geoffroy Roux de Bézieux qui, dans un entretien au Figaro du 10 avril, assénait : « Il faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire. »
L'Institut Montaigne, think tank libéral, a pris le relais. Dans une note du 6 mai, il avance une série de mesures pour « rebondir face au Covid-19 », dont l'« assouplissement » de la loi sur les 35 heures, des dispositifs permettant le paiement différé du temps de travail supplémentaire, la suppression du jeudi de l'Ascension férié, la possibilité de formations en dehors du temps de travail, la révision du temps de travail des fonctionnaires… Déjà, nombre d'entreprises tentent de négocier des accords dits de performance collective.
En cause : le temps et l'organisation du travail ou les rémunérations, au nom de l'emploi. Réduire le chômage pourtant, comme le soulignent la CGT et les associations de privés d'emploi, suppose au contraire de baisser le temps de travail. La loi Aubry sur les 35 heures avait ainsi permis de créer de 320 000 à 350 000 emplois directs selon les estimations. Passer à la semaine de 32 heures, comme le propose l'organisation syndicale, pourrait créer potentiellement quelque quatre millions d'emplois…
À la condition d'embaucher proportionnellement. Pour financer ce progrès, il est possible notamment de redistribuer les richesses créées en réduisant la part des dividendes des actionnaires. Pour le grand patronat, le monde d'après ressemble en tout cas furieusement au monde d'avant, avec des effets d'aubaine en plus. Comme si la pandémie et l'ampleur de ses conséquences mondiales n'obligeaient pas à penser autrement nos sociétés, le travail, les modes de production, de consommation…
Pour un avenir différent
C'est à cette réflexion que s'est attelée la CGT qui souligne à quel point cette crise « donne à voir l'échec du mode de développement capitaliste fondé sur l'exploitation de l'être humain et de la nature ». Aussi, à côté des mesures immédiates qu'elle exige pour « combattre les conséquences de la crise sanitaire et sociale », elle considère « urgent d'opérer des ruptures avec ces politiques et de construire un autre modèle de société par des transformations économiques, sociales et environnementales radicales ».
Partant de propositions qu'elle défend « parfois depuis longtemps », elle soumet au débat un « document pour un avenir différent ». Pour la confédération, il s'agit d'abord de « changer le travail » pour « améliorer la vie ». De fait, avec la pandémie, pour nombre de salariés, la question de la protection et de la santé a été centrale mais a aussi amené à poser celles du sens du travail, de sa finalité, de sa reconnaissance, de son organisation et des modalités de décision dans l'entreprise.
Montrant que « financer le progrès social, c'est possible ! » le document revient aussi sur les développements nécessaires de la Sécurité sociale. La confédération en appelle, par ailleurs, à la relocalisation notamment de productions indispensables, dans le respect de la planète, de même qu'à une agriculture favorisant les circuits courts, à la « reconquête des entreprises publiques et nationalisées » et au développement des services publics, dont la crise a montré le caractère primordial.
Elle appelle également à repenser tout l'aménagement du territoire. « Des ruptures » doivent aussi s'opérer « au niveau européen et mondial. C'est pourquoi nous voulons œuvrer avec d'autres organisations syndicales dans le monde pour mondialiser le progrès social, en donnant un caractère contraignant aux normes internationales et plus de pouvoirs aux organismes internationaux (OIT et OMS notamment) dont c'est la mission initiale », insiste la CGT.
Convergences
Mais il s'agit aussi de poursuivre le travail engagé ces derniers mois avec d'autres organisations, syndicales ou associatives. Le 18 janvier, dans une démarche inédite, plusieurs organisations (1. Les Amis de la Terre France, Attac France, CGT, Confédération paysanne, FSU, Greenpeace France, Oxfam France, Union syndicale Solidaires) appelaient ainsi ensemble à répondre aux urgences climatique et sociale indissociablement liées.
Ce travail s'est élargi au point que le 27 mars, 18 organisations signaient une tribune commune : « Plus jamais ça ! Préparons le Jour d'après » (Les Amis de la Terre France, Attac France, CGT, Confédération paysanne, FSU, Greenpeace France, Oxfam France, Union syndicale Solidaires, 350.org, Action non-Violente COP21, Alternatiba, CCFD-Terre Solidaire, Droit au Logement, FIDL, Le syndicat lycéen, Fondation Copernic, Syndicat de la magistrature, UNEF, UNL).
Ensemble, elles ont lancé une pétition signée massivement et appelé à se mobiliser le premier mai. Un « plan de sortie de crise » à soumettre au débat est né de ce travail, suscitant un intérêt citoyen et celui de plusieurs organisations politiques. L'enjeu est de taille. Il concerne notre avenir, celui des générations à venir, celui de la planète. L'avènement des Jours heureux est déjà un combat.
À retrouverTout le dossier sur le jour d'après dans la NVO de juin 2020